ESSAI SUR LES MŒURS ET L'ESPRIT DES NATIONS - Partie 26

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ESSAI SUR LES MŒURS ET L'ESPRIT DES NATIONS - Partie 26

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ESSAI

 

SUR LES MŒURS ET L’ESPRIT DES NATIONS

 

 

 

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(Partie 26)

 

 

 

 

 

 

XLIX. SI LES JUIFS ONT ENSEIGNÉ LES AUTRES

NATIONS OU S’ILS ONT ÉTÉ ENSEIGNÉS

        PAR ELLES.

 

 

 

 

          Les livres sacrés n’ayant jamais décidé si les Juifs avaient été les maîtres ou les disciples des autres peuples, il est permis d’examiner cette question.

 

          Philon, dans la relation de sa mission auprès de Caligula, commence par dire qu’Israël est un terme chaldéen ; que c’est un nom que les Chaldéens donnèrent aux justes consacrés à Dieu, qu’Israël signifie voyant Dieu. Il paraît donc prouvé par cela seul que les Juifs n’appelèrent Jacob Israël, qu’ils ne se donnèrent le nom d’Israélite, que lorsqu’ils eurent quelque connaissance du chaldéen. Or, ils ne purent avoir connaissance de cette langue que quand ils furent esclaves en Chaldée. Est-il vraisemblable que dans les déserts de l’Arabie Pétrée ils eussent appris déjà le chaldéen ?

 

          Flavien Josèphe, dans sa réponse à Apion, à Lysimaque et à Molon, livre II, chap. V, avoue en propres termes « que ce sont les Egyptiens qui apprirent à d’autres nations à se faire circoncire, comme Hérodote le témoigne. » En effet, serait-il probable que la nation antique et puissante des Egyptiens eût pris cette coutume d’un petit peuple qu’elle abhorrait, et qui, de son aveu, ne fut circoncis que sous Josué ?

 

          Les livres sacrés eux-mêmes nous apprennent que Moïse avait été nourri dans les sciences des Egyptiens, et ils ne disent nulle part que les Egyptiens aient jamais rien appris des Juifs. Quand Salomon voulut bâtir son temple et son palais, ne demanda-t-il pas des ouvriers au roi de Tyr ? Il est dit même qu’il donna vingt villes au roi Hiram, pour  obtenir des ouvriers et des cèdres : c’était sans doute payer bien chèrement ; et le marché est étrange : mais jamais les Tyriens demandèrent-ils des artistes juifs ?

 

          Le même Josèphe, dont nous avons parlé, avoue que sa nation, qu’il s’efforce de relever, « n’eut longtemps aucun commerce avec les autres nations ; » qu’elle fut surtout inconnue des Grecs, « qui connaissaient les Scythes, les Tartares. Faut-il s’étonner, ajoute-t-il, livre I, chap. X, que « notre nation, éloignée de la mer, et ne se piquant point de rien écrire, ait été si peu connue ? »

 

          Lorsque le même Josèphe raconte, avec ses exagérations ordinaires, la manière aussi honorable qu’incroyable dont le roi Ptolémée Philadelphe acheta une traduction grecque des livres juifs, faite par des Hébreux dans la ville d’Alexandrie ; Josèphe, dis-je, ajoute que Démétrius de Phalère, qui fit faire cette traduction pour la bibliothèque de son roi, demanda à l’un des traducteurs, «  comment il se pouvait faire qu’aucun historien, aucun poète étranger n’eût jamais parlé des lois juives. » Le traducteur répondit : « Comme ces loi sont toutes divines, personne n’a osé entreprendre d’en parler, et ceux qui ont voulu le faire ont été châtiés de Dieu. Théopompe, voulant en insérer quelque chose dans son histoire, perdit l’esprit durant trente jours ; mais ayant reconnu dans un songe qu’il était devenu fou pour avoir voulu pénétrer dans les choses divines, et en faire part aux profanes (1), il apaisa la colère de Dieu par ses prières, et rentra dans son bon sens.

 

          Théodecte, poète grec, ayant mis dans une tragédie quelques passages qu’il avait tirés de nos livres saints, devint aussitôt aveugle, et ne recouvra la vue qu’après avoir reconnu sa faute. »

 

            Ces deux contes de Josèphe, indignes de l’histoire et d’un homme qui a le sens commun, contredisent, à la vérité, les éloges qu’il donne à cette traduction grecque des livres juifs ; car si c’était un crime d’en insérer quelque chose dans une autre langue, c’était sans doute un bien plus grand crime de mettre tous les Grecs à portée de les connaître. Mais au moins, Josèphe, en rapportant ces deux historiettes, convient que les Grecs n’avaient jamais eu connaissance des livres de sa nation.

 

          Au contraire, dès que les Hébreux furent établis dans Alexandrie, ils s’adonnèrent aux lettres grecques ; on les appela les Juifs hellénistes. Il est donc indubitable que les Juifs, depuis Alexandre, prirent beaucoup de choses des Grecs, dont la langue était devenue celle de l’Asie-Mineure et d’une partie de l’Egypte, et que les Grecs ne purent rien prendre des Hébreux.

 

 

1 – Josèphe, Histoire des Juifs, liv. XII, chap. II.

 

 

 

 

 

 

 

L. LES ROMAINS, COMMENCEMENTS DE LEUR EMPIRE

  ET DE LEUR RELIGION ; LEUR TOLÉRANCE.

 

 

 

 

          Les Romains ne peuvent point être comptés parmi les nations primitives : ils sont trop nouveaux. Rome n’existe que sept cent cinquante ans avant notre ère vulgaire. Quand elle eut des rites et des lois, elle les tint des Toscans et des Grecs. Les Toscans qui communiquèrent la superstition des augures, superstition pourtant fondée sur des observations physiques, sur le passage des oiseaux dont on augurait les changements de l’atmosphère. Il semble que toute superstition ait une chose naturelle pour principe, et que bien des erreurs soient nées d’une vérité dont on abuse.

 

          Les Grecs fournirent aux Romains la loi des douze Tables. Un peuple qui va chercher des lois et des dieux chez un autre devait être un peuple petit et barbare : aussi les premiers Romains l’étaient-ils. Leur territoire, du temps des rois et des premiers consuls, n’était pas si étendu que celui de Raguse. Il ne faut pas sans doute entendre, par ce nom de roi, des monarques tels que Cyrus et ses successeurs. Le chef d’un petit peuple de brigands ne peut jamais être despotique : les dépouilles se partagent en commun, et chacun défend sa liberté comme son bien propre. Les premiers rois de Rome étaient des capitaines de flibustiers.

 

          Si l’on en croit les historiens romains, ce petit peuple commença par ravir les filles et les biens de ses voisins. Il devait être exterminé ; mais la férocité et le besoin, qui le portaient à ces rapines, rendirent ces injustices heureuses ; il se soutient étant toujours en guerre ; et enfin, au bout de cinq siècles, étant bien plus aguerri que tous les autres peuples, il les soumit tous, les uns après les autres, depuis le fond du golfe Adriatique jusqu’à l’Euphrate.

 

          Au milieu du brigandage, l’amour de la patrie domina toujours jusqu’au temps de Sylla. Cet amour de la patrie consista, pendant plus de quatre cents ans, à rapporter à la masse commune ce qu’on avait pillé chez les autres nations : c’est la vertu des voleurs. Aimer la patrie, c’était tuer et dépouiller les autres hommes ; mais dans le sein de la république il y eut de très grandes vertus. Les Romains, policés avec le temps, policèrent tous les Barbares vaincus, et devinrent enfin les législateurs de l’Occident.

 

          Les Grecs paraissent, dans les premiers temps de leurs républiques, une nation supérieure en tout aux Romains. Ceux-ci ne sortent des repaires de leurs sept montagnes avec des poignées de foin, manipuli, qui leur servent de drapeaux, que pour piller des villages voisins ; ceux-là, au contraire, ne sont occupés qu’à défendre leur liberté. Les Romains volent à quatre ou cinq milles à la ronde les Eques, les Volsques, les Antiates ; les Grecs repoussent les armées innombrables du grand roi de Perse, et triomphent de lui sur terre et sur mer. Ces Grecs, vainqueurs, cultivent et perfectionnent tous les beaux-arts, et les Romains les ignorent tous, jusque vers le temps de Scipion l’Africain.

 

          J’observerai ici sur leur religion deux choses importantes : c’est qu’ils adoptèrent ou permirent les cultes de tous les autres peuples, à l’exemple des Grecs, et qu’au fond, le sénat et les empereurs reconnurent toujours un Dieu suprême, ainsi que la plupart des philosophes et des poètes de la Grèce (1).

 

          La tolérance de toutes les religions était une loi nouvelle, gravée dans les cœurs de tous les hommes ; car de quel droit un être créé libre pourrait-il forcer un autre être à penser comme lui ? Mais quand un peuple est rassemblé, quand la religion est devenue une loi de l’Etat, il faut se soumettre à cette loi ; or, les Romains par leurs lois adoptèrent tous les dieux des Grecs, qui eux-mêmes avaient des autels pour les dieux inconnus, comme nous l’avons déjà remarqué.

 

          Les ordonnances des douze Tables portent : « Separatim nemo habessit deos, nev e novos ; sed ne advenas, nisi pubice adscitos, privatim colunto ; » que personne n’ait des dieux étrangers et nouveaux sans la sanction publique. On donna cette sanction à plusieurs cultes ; tous les autres furent tolérés. Cette association de toutes les divinités du monde, cette espèce d’hospitalité divine, fut le droit des gens de toute l’antiquité, excepté peut-être chez un ou deux petits peuples.

 

          Comme il n’y eut point de dogmes, il n’y eut point de guerres de religion. C’était bien assez que l’ambition, la rapine, versassent le sang humain, sans que la religion achevât d’exterminer le monde.

 

          Il est encore très remarquable que chez les Romains on ne persécuta jamais personne pour sa manière de penser. Il n’y en a pas un seul exemple depuis Romulus jusqu’à Domitien ; et chez les Grecs il n’y eut que le seul Socrate.

 

          Il est encore incontestable que les Romains, comme les Grecs, adoraient un dieu suprême. Leur Jupiter était le seul qu’on regardât comme le maître du tonnerre, comme le seul que l’on nommât le dieu très grand et très bon, Deus optimus, maximus. Ainsi, de l’Italie à l’Inde et à la Chine, vous trouvez le culte d’un Dieu suprême, et la tolérance dans toutes les nations connues.

 

          A cette connaissance d’un Dieu, à cette indulgence universelle, qui sont partout le fruit de la raison cultivée, se joignit une foule de superstitions, qui étaient le fruit ancien de la raison commencée et erronée.

 

          On sait bien que les poulets sacrés, et la déesse Pertunda, et la déesse Cloacina, sont ridicules. Pourquoi les vainqueurs et les législateurs de tant de nations n’abolirent-ils pas ces sottises ? c’est qu’étant anciennes, elles étaient chères au peuple, et qu’elles ne nuisaient point au gouvernement. Les Scipion, les Paul-Emile, les Cicéron, les Caton, les César, avaient autre chose à faire qu’à combattre les superstitions de la populace Quand une vieille erreur est établie, la politique s’en sert comme d’un mors que le vulgaire s’est mis lui-même dans la bouche, jusqu’à ce qu’une autre superstition vienne la détruire, et que la politique profite de cette seconde erreur, comme elle a profité de la première.

 

 

1 – Voyez l’article DIEU dans le Dictionnaire philosophique. (G.A.)

 

 

 

 

 

LI. QUESTIONS SUR LES CONQUÊTES DES

ROMAINS, ET LEUR DÉCADENCE (1).

 

 

 

 

          Pourquoi les Romains, qui, sous Romulus, n’étaient que trois mille habitants, et qui n’avaient qu’un bourg de mille pas de circuit, devinrent-ils, avec le temps, les plus grands conquérants de la terre ? et d’où vient que les Juifs, qui prétendent avoir eu six cent trente mille soldats en sortant d’Egypte, qui ne marchaient qu’au milieu des miracles, qui combattaient sous le Dieu des armées, ne purent-ils jamais parvenir à conquérir seulement Tyr et Sidon dans leur voisinage, pas même à être jamais à portée de les attaquer ? Pourquoi ces Juifs furent-ils presque toujours dans l’esclavage ? Ils avaient tout l’enthousiasme et toute la férocité qui devaient faire des conquérants ; le Dieu des armées était toujours à leur tête ; et cependant ce sont les Romains, éloignés d’eux de dix-huit cent milles, qui viennent à la fin les subjuguer et les vendre au marché.

 

          N’est-il pas clair (humainement parlant, et ne considérant que les causes secondes) que si les Juifs, qui espéraient la conquête du monde, ont été presque toujours asservis, ce fut leur faute ? Et si les Romains dominèrent, ne le méritèrent-ils pas par leur courage et par leur prudence ? Je demande très humblement pardon aux Romains de les comparer un moment avec les Juifs.

 

          Pourquoi les Romains, pendant plus de quatre cent cinquante ans, ne purent-ils conquérir qu’une étendue de pays d’environ vingt-cinq lieues ? N’est-ce point parce qu’ils étaient en très petit nombre, et qu’ils n’avaient successivement à combattre que de petits peuples comme eux ? Mais enfin,  ayant incorporé avec eux leurs voisins vaincus, ils eurent assez de force pour résister à Pyrrhus.

 

          Alors toutes les petites nations qui les entouraient étant devenues romaines, il s’en forma un peuple tout guerrier, assez formidable pour détruire Carthage.

 

          Pourquoi les Romains employèrent-ils sept cents années à se donner enfin un empire à peu près aussi vaste que celui qu’Alexandre conquit en sept ou huit années ? est-ce parce qu’ils eurent toujours à combattre des nations belliqueuses, et qu’Alexandre eut affaire à des peuples amollis ?

 

          Pourquoi cet empire fut-il détruit par des Barbares ? ces Barbares n’étaient-ils pas plus robustes, plus guerriers que les Romains, amollis à leur tour sous Honorius et sous ses successeurs ? Quand les Cimbres vinrent menacer l’Italie, du temps de Marius, les Romains durent prévoir que les Cimbres, c’est-à-dire les peuples du Nord déchireraient l’empire lorsqu’il n’y aurait plus de Marius.

 

          La faiblesse des empereurs, les factions de leurs ministres et de leurs eunuques, la haine que l’ancienne religion de l’empire portait à la nouvelle, les querelles sanglantes élevées dans le christianisme, les disputes théologiques substituées au maniement des armes, et la mollesse à la valeur ; des multitudes de moines remplaçant les agriculteurs et les soldats, tout appelait ces mêmes Barbares qui n’avaient pu vaincre la république guerrière, et qui accablèrent Rome languissante, sous des empereurs cruels, efféminés et dévots.

 

          Lorsque les Goths, les Hérules, les Vandales, les Huns, inondèrent l’empire romain, quelles mesures les deux empereurs prenaient-ils pour détourner ces orages ? La différence de l’Homoiousios à l’Homoousios mettait le trouble dans l’Orient et dans l’Occident. Les persécutions théologiques achevaient de tout perdre. Nestorius, patriarche de Constantinople, qui eut d’abord un grand crédit sous Théodose II, obtint de cet empereur qu’on persécutât ceux qui pensaient qu’on devait rebaptiser les chrétiens apostats repentants, ceux qui croyaient qu’on devait célébrer la pâque le 14 de la lune de mars, ceux qui ne faisaient pas plonger trois fois les baptisés ; enfin il tourmenta tant les chrétiens, qu’ils le tourmentèrent à leur tour. Il appela la sainte Vierge Anthropotokos ; ses ennemis qui voulaient qu’on l’appelât Théotokos, et qui sans doute avaient raison, puisque le concile d’Ephèse décida en leur faveur, lui suscitèrent une persécution violente. Ces querelles occupèrent tous les esprits, et, pendant qu’on disputait, les Barbares se partageaient l’Europe et l’Afrique.

 

          Mais pourquoi Alaric, qui, au commencement du cinquième siècle, marcha des bords du Danube vers Rome, ne commença-t-il pas par attaquer Constantinople, lorsqu’il était maître de la Thrace. Comment hasarda-t-il de se trouver pressé entre l’empire d’Orient et celui d’Occident ? Est-il naturel qu’il voulût passer les Alpes et l’Apennin, lorsque Constantinople tremblante s’offrait à sa conquête ? Les historiens de ces temps-là, aussi mal instruits que les peuples étaient mal gouvernés, ne nous développent point ce mystère ; mais il est aisé de le deviner. Alaric avait été général d’armée sous Théodose Ier, prince violent, dévot et imprudent, qui perdit l’empire en confiant sa défense aux Goths. Il vainquit avec eux son compétiteur Eugène ; mais les Goths apprirent par là qu’ils pouvaient vaincre pour eux-mêmes. Théodose soudoyait Alaric et ses Goths. Cette paye devint un tribut, quand Arcadius, fils de Théodose, fut sur le trône de l’Orient. Alaric épargna donc son tributaire pour aller tomber sur Honorius et sur Rome.

 

          Honorius avait pour général le célèbre Stilicon, le seul qui pouvait défendre l’Italie, et qui avait déjà arrêté les efforts des Barbares. Honorius, sur de simples soupçons, lui fit trancher la tête sans forme de procès. Il était plus aisé d’assassiner Stilicon que de battre Alaric. Cet indigne empereur, retiré à Ravenne, laissa le Barbare, qui lui était supérieur en tout, mettre le siège devant Rome. L’ancienne maîtresse du monde se racheta du pillage au prix de cinq mille livres pesant d’or, trente mille d’argent, quatre mille robes de soie, trois mille de pourpre et trois mille livres d’épicerie. Les denrées de l’Inde servirent à la rançon de Rome.

 

          Honorius ne voulut pas tenir le traité ; il envoya quelques troupes qu’Alaric extermina : celui-ci entra dans Rome en 409, et un Goth y créa un empereur qui devint son premier sujet. L’année d’après, trompé par Honorius, il le punit en saccageant Rome. Alors tout l’empire d’Occident fut déchiré ; les habitants du Nord y pénétrèrent de tous côtés, et les empereurs d’Orient ne se maintinrent qu’en se rendant tributaires.

 

          C’est ainsi que Théodose II le fut d’Attila. L’Italie, les Gaules, l’Espagne, l’Afrique, furent la proie de quiconque voulut y entrer. Ce fut là le fruit de la politique forcée de Constantin, qui avait transféré l’empire romain en Thrace.

 

          N’y a-t-il pas visiblement une destinée qui fait l’accroissement et la ruine des Etats ? Qui aurait prédit à Auguste qu’un jour le Capitole serait occupé par un prêtre d’une religion tirée de la religion juive, aurait bien étonné Auguste. Pourquoi ce prêtre s’est-il enfin emparé de la ville des Scipions et des Césars ? c’est qu’il l’a trouvée dans l’anarchie. Il s’en est rendu le maître presque sans efforts ; comme les évêques d’Allemagne, vers le treizième siècle, devinrent souverains des peuples, dont ils étaient pasteurs.

 

          Tout événement en amène un autre auquel on ne s’attendait pas. Romulus ne croyait fonder Rome ni pour les princes goths, ni pour des évêques. Alexandre n’imagina pas qu’Alexandrie appartiendrait aux Turcs, et Constantin n’avait pas bâti Constantinople pour Mahomet.

 

 

1 – Ce chapitre répond au chap. I de la IIIe partie de l’Histoire universelle de Bossuet. « Les révolutions des empires, écrit Bossuet, sont réglées par la Providence et servent à humilier les princes. » Puis, poursuivant : « Ces empires ont, pour la plupart, une liaison nécessaire avec l’histoire du peuple de Dieu. Dieu s’est servi des Assyriens et des Babyloniens pour châtier ce peuple ; des Perses pour le rétablir ; d’Alexandre et des premiers successeurs pour le protéger ; d’Antiochus l’Illustre et de ses successeurs pour l’exercer ; des Romains pour soutenir sa liberté contre les rois de Syrie qui ne songeaient qu’à le détruire. Les Juifs ont duré jusqu’à Jésus-Christ sous la puissance des mêmes Romains. Quand ils l’ont méconnu et crucifié, ces mêmes Romains ont prêté leurs mains, sans y penser, à la vengeance divine, et ont exterminé ce peuple ingrat, etc., etc. Mais il faut ici vous découvrir les secrets jugements de Dieu sur l’empire romain et sur Rome même : mystère que le Saint-Esprit a révélé à saint Jean, et que ce grand homme, apôtre, évangéliste et prophète, a expliqué dans l’Apocalypse, etc., etc. Dieu livra aux Barbares cette ville enivrée du sang des martyrs, comme parle saint Jean, etc., etc. » Et voilà ce qu’on enseignait au dauphin de France, et voilà ce qu’on fait lire encore dans nos universités ! (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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