ESSAI SUR LES MŒURS ET L'ESPRIT DES NATIONS - Partie 23

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ESSAI SUR LES MŒURS ET L'ESPRIT DES NATIONS - Partie 23

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ESSAI

 

SUR LES MŒURS ET L’ESPRIT DES NATIONS

 

 

 

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(Partie 23)

 

 

 

 

 

 

 

 

XLIII. DES PROPHÈTES JUIFS.

 

 

 

 

 

          Nous nous garderons bien de confondre les Nabim, les Roheim des Hébreux, avec les imposteurs des autres nations. On sait que Dieu ne se communiquait qu’aux Juifs, excepté dans quelques cas particuliers, comme, par exemple, quand il inspira Balaam, prophète de Mésopotamie, et qu’il lui fit prononcer le contraire de ce qu’on voulait lui faire dire. Ce Balaam était le prophète d’un autre Dieu, et cependant il n’est point dit qu’il fût un faux prophète (1). Nous avons déjà remarqué que les prêtres d’Egypte étaient prophètes et voyants. Quel sens attachait-on à ce mot ? celui d’inspiré. Tantôt l’inspiré devinait le passé, tantôt l’avenir ; souvent il se contentait de parler dans un style figuré : c’est pourquoi l’on a donné le même nom aux poètes et aux prophètes, vates.

 

          Le titre, la qualité de prophète était-elle une dignité chez les Hébreux, un ministère particulier attaché par la loi à certaines personnes choisies, comme la dignité de pythie à Delphes ? Non : les prophètes étaient seulement ceux qui se sentaient inspirés, ou qui avaient des visions. Il arrivait de là que souvent il s’élevait de faux prophètes sans mission, qui croyaient avoir l’esprit de Dieu, et qui souvent causèrent de grands malheurs ; comme les prophètes des Cévennes au commencement de ce siècle.

 

          Il était très difficile de distinguer le faux prophète du véritable. C’est pourquoi Manassé, roi de Juda, fit périr Isaïe par le supplice de la scie. Le roi Sédécias ne pouvait décider entre Jérémie et Ananie, qui prédisaient des choses contraires, et il fit mettre Jérémie en prison. Ezéchiel fut tué par des Juifs, compagnons de son esclavage. Michée ayant prophétisé des malheurs aux rois Achab et Josaphat, un autre prophète, Tsedekia, fils de Canaa, lui donna un soufflet, en lui disant : L’esprit de l’Eternel a passé par ma main pour aller sur ta joue. Osée, chapitre IX, déclare que les prophètes sont des fous : stultum prophetam, insanum virum spiritualem. Les prophètes se traitaient les uns les autres de visionnaires et de menteurs. Il n’y avait donc d’autre moyen de discerner le vrai du faux, que d’attendre l’accomplissement des prédictions.

 

          Elisée étant allé à Damas en Syrie, le roi qui était malade, lui envoya quarante chameaux chargés de présents, pour savoir s’il guérirait ; Elisée répondit « que le roi pourrait guérir, mais qu’il mourrait. » Le roi mourut en effet. Si Elisée n’avait pas été un prophète du vrai Dieu, on aurait pu le soupçonner de se ménager une évasion à tout événement ; car si le roi n’était pas mort, Elisée avait prédit sa guérison en disant qu’il pouvait guérir, et qu’il n’avait pas spécifié le temps de sa mort. Mais ayant confirmé sa mission par des miracles éclatants, on ne pouvait douter de sa véracité.

 

          Nous ne rechercherons pas ici, avec les commentateurs, ce que c’était que l’esprit double qu’Elisée reçut d’Elie, ni ce que signifie le manteau que lui donna Elie, en montant au ciel dans un char de feu, traîné par des chevaux enflammés, comme les Grecs figurèrent en poésie le char d’Apollon. Nous n’approfondirons point quel est le type, quel est le sens mystique de ces quarante-deux petits enfants qui, en voyant Elisée dans le chemin escarpé qui conduit à Bethel, lui dirent en riant, Monte, chauve, monte ; et de la vengeance qu’en tira le prophète, en faisant venir sur-le-champ deux ours qui dévorèrent ces innocentes créatures. Les faits sont connus, et le sens peut en être caché.

 

          Il faut observer ici une coutume de l’Orient, que les Juifs poussèrent à un point qui nous étonne. Cet usage était non-seulement de parler en allégories, mais d’exprimer par des actions singulières, les choses qu’on voulait signifier. Rien n’était plus naturel alors que cet usage ; car les hommes n’ayant écrit longtemps leurs pensées qu’en hiéroglyphes, ils devaient prendre l’habitude de parler comme ils écrivaient.

 

          Ainsi les Scythes (si on en croit Hérodote) envoyèrent à Darah, que nous appelons Darius, un oiseau, une souris, une grenouille, et cinq flèches : cela voulait dire que si Darius ne s’enfuyait aussi vite qu’un oiseau, ou s’il ne se cachait comme une souris et comme une grenouille, il périrait par leurs flèches.

 

          Le conte peut n’être pas vrai ; mais il est toujours un témoignage des emblèmes en usage dans ces temps reculés.

 

          Les rois s’écrivaient en énigmes : on en a des exemples dans Hiram, dans Salomon, dans la reine de Saba. Tarquin-le-Superbe, consulté dans son jardin par son fils sur la manière dont il faut se conduire avec les Gabiens, ne répond qu’en abattant les pavots qui s’élevaient au-dessus des autres fleurs. Il faisait assez entendre qu’il fallait exterminer les grands et épargner le peuple.

 

          C’est à ces hiéroglyphes que nous devons les fables, qui furent les premiers écrits des hommes. La fable est bien plus ancienne que l’histoire.

 

          Il faut être un peu familiarisé avec l’antiquité pour n’être point effarouché des actions et des discours énigmatiques des prophètes juifs.

 

          Isaïe veut faire entendre au roi Achaz qu’il sera délivré dans quelques années du roi de Syrie et du melk ou roitelet de Samarie unis contre lui ; il lui dit : « Avant qu’un enfant soit en âge de discerner le mal et le bien, vous serez délivré de ces deux rois. Le Seigneur prendra un rasoir de louage, pour raser la tête, le poil du pénil (qui est figuré par les pieds), et la barbe,etc. » Alors le prophète prend deux témoins, Zacharie et Urie ; il couche avec la prophétesse, elle met au monde un enfant. Le Seigneur lui donne le nom de Maher-Salal-has-bas, Partagez vite les dépouilles ; et ce nom signifie qu’on partagera les dépouilles des ennemis (2).

 

          Je n’entre point dans le sens allégorique et infiniment respectable qu’on donne à cette prophétie ; je me borne à l’examen de ces usages étonnants aujourd’hui pour nous.

 

          Le même Isaïe marche tout nu dans Jérusalem, pour marquer que les Egyptiens seront entièrement dépouillés par le roi de Babylone.

 

          Quoi ! dira-t-on, est-il possible qu’un homme marche tout nu dans Jérusalem, sans être repris de justice ? Oui, sans doute : Diogène ne fut pas le seul dans l’antiquité qui eût cette hardiesse. Strabon, dans son quinzième livre, dit qu’il y avait dans les Indes une secte de brachmanes qui auraient été honteux de porter des vêtements. Aujourd’hui encore on voit des pénitents dans l’Inde qui marchent nus et chargés de chaînes, avec un anneau de fer attaché à la verge, pour expier les péchés du peuple. Il y en a dans l’Afrique et dans la Turquie. Ces mœurs ne sont pas nos mœurs, et je ne crois pas que du temps d’Isaïe il y eût un seul usage qui ressemblât aux nôtres.

 

          Jérémie n’avait que quatorze ans quand il reçut l’esprit. Dieu étendit sa main et lui toucha la bouche, parce qu’il avait quelque difficulté de parler. Il voit d’abord une chaudière bouillante tournée au nord ; cette chaudière représente les peuples qui viendront du septentrion, et l’eau bouillante figure les malheurs de Jérusalem.

 

          Il achète une ceinture de lin, la met sur ses reins, et va la cacher, par l’ordre de Dieu, dans un trou auprès de l’Euphrate : il retourne ensuite la prendre, et la trouve pourrie. Il nous explique lui-même cette parabole, en disant que l’orgueil de Jérusalem pourrira.

 

          Il se met des cordes au cou, il se charge de chaînes, il met un joug sur ses épaules : il envoie ces cordes, ces chaînes et ce joug aux rois voisins, pour les avertir de se soumettre au roi de Babylone, Nabuchodonosor, en faveur duquel il prophétise.

 

          Ezéchiel peut surprendre davantage (3) : il prédit aux Juif que les pères mangeront leurs enfants, et que les enfants mangeront leurs pères. Mais avant d’en venir à cette prédiction, il voit quatre animaux étincelants de lumière, et quatre roues couvertes d’yeux : il mange un volume de parchemin ; on le lie avec des chaînes. Il trace un plan de Jérusalem sur une brique ; il met à terre une poêle de fer ; il couche trois cent quatre-vingt-dix jours sur le côté gauche, et quarante jours sur le côté droit. Il doit manger du pain de froment, d’orge, de fèves, de lentilles, de millet, et le couvrir d’excréments humains. « C’est ainsi, dit-il, que les enfants d’Israël mangeront leur pain souillé, parmi les nations chez lesquelles ils seront chassés. » Mais Ezéchiel ayant témoigné son horreur pour ce pain de douleur, Dieu lui permet de ne le couvrir que d’excréments de bœuf.

 

          Il coupe ses cheveux, et les divise en trois parts ; il en met une partie au feu, coupe la seconde avec une épée autour de la vie, et jette au vent la troisième.

 

          Le même Ezéchiel a des allégories encore plus surprenantes. Il introduit le Seigneur, qui parle ainsi, chapitre XVI : « Quand tu naquis, on ne t’avait point coupé le nombril, et tu n’étais ni lavée, ni salée… tu es devenue grande, ta gorge s’est formée, ton poil a paru… J’ai passé, j’ai connu que c’était le temps des amants. Je t’ai couverte, et je me suis étendu sur ton ignominie… Je t’ai donné des chaussures et des robes de coton, des bracelets, un collier, des pendants d’oreille…Mais, pleine de confiance en ta beauté, tu t’es livrée à la fornication… et tu as bâti un mauvais lieu ; tu t’es prostituée dans les carrefours ; tu as ouvert tes jambes à tous les passants…  tu as recherché les plus robustes… On donne de l’argent aux courtisanes, et tu en as donné à tes amants, etc. »

 

          « Oolla a forniqué sur moi ; elle a aimé avec fureur ses amants : princes, magistrats, cavaliers… Sa sœur, Ooliba, s’est prostituée avec plus d’emportement. Sa luxure a recherché ceux qui avaient le … d’un âne, et qui … comme les chevaux. »

 

          Ces expressions nous semblent bien indécentes et bien grossières ; elles ne l’étaient point chez les Juifs, elles signifiaient les apostasies de Jérusalem et de Samarie. Ces apostasies étaient représentées très souvent comme une fornication, comme un adultère. Il ne faut pas, encore une fois, juger des mœurs, des usages, des façons de parler anciennes, par les nôtres ; elles ne se ressemblent pas plus que la langue française ne ressemble au chaldéen et à l’arabe.

 

          Le Seigneur ordonne d’abord au prophète Osée, chapitre I, de prendre pour sa femme une prostituée, et il obéit. Cette prostituée lui donne un  fils. Dieu appelle ce fils Jezraël : c’est un type de la maison de Jéhu, qui périra, parce que Jéhu, avait tué Joram dans Jezraël. Ensuite le Seigneur ordonne à Osée, chap.III, d’épouser une femme adultère, qui soit aimée d’un autre, comme le Seigneur aime les enfants d’Israël, qui regardent les dieux étrangers, et qui aiment le marc de raisin. Le Seigneur, dans la prophétie d’Amos, chap. IV, menace les vaches de Samarie de les mettre dans la chaudière. Enfin, tout est l’opposé de nos mœurs et de notre tour d’esprit ; et, si l’on examine les usages de toutes les nations orientales, nous les trouverons également opposés à nos coutumes, non-seulement dans les temps recueils, mais aujourd’hui même que nous les connaissons mieux.

 

 

1 – Nombres, chap. XXII.

2 – Nous avons annoté sur ce point dans le Dictionnaire philosophique. (G.A.)

3 – Voir l’article EZÉCHIEN, Dictionnaire philosophique. (G.A.)

 

 

 

 

 

XLIV. DES PRIÈRES DES JUIFS.

 

 

 

 

          Il nous reste peu de prières des anciens peuples ; nous n’avons que deux ou trois formules des mystères, et l’ancienne prière à Isis, rapportée dans Apulée. Les Juifs ont conservé les leurs.

 

          Si l’on peut conjecturer le caractère d’une nation par les prières qu’elle fait à Dieu, on s’apercevra aisément que les Juifs étaient un peuple charnel et sanguinaire. Ils paraissent, dans leurs Psaumes, souhaiter la mort du pécheur plutôt que sa conversion, et ils demandent au Seigneur, dans le style oriental, tous les biens terrestres.

 

          « Tu arroseras les montagnes, la terre sera rassasiée de fruits. »

 

          « Tu produis le foin pour les bêtes, et l’herbe pour l’homme. Tu fais sortir le pain de la terre, et le vin qui réjouit le cœur ; tu donnes l’huile qui répand la joie sur le visage. »

 

          « Juda est une marmite remplie de viandes ; la montagne du Seigneur est une montagne coagulée, une montagne grasse. Pourquoi regardez-vous les montagnes coagulées ? »

 

          Mais il faut avouer que les Juifs maudissent leurs ennemis dans un style non moins figuré.

 

          « Demande-moi et je te donnerai en héritage toutes les nations ; tu les régiras avec une verge de fer. »

 

          « Mon Dieu, traitez mes ennemis selon leurs œuvres, selon leurs desseins méchants ; punissez-les comme ils le méritent. »

 

          « Que mes ennemis impies rougissent, qu’ils soient conduits dans le sépulcre. »

 

          « Seigneur, prenez vos armes et votre bouclier, tirez votre épée, fermez tous les passages ; que mes ennemis soient couverts de confusion ; qu’ils soient comme la poussière emportée par le vent, qu’ils tombent dans le piège. »

 

          « Que la mort les surprenne, qu’ils descendent tout vivants dans la fosse. »

 

          « Ils souffriront la faim comme des chiens ; ils se disperseront pour chercher à manger, et ne seront point rassasiés. »

 

          « Je m’avancerai vers l’Idumée, et je la foulerai aux pieds. »

 

          « Réprimez ces bêtes sauvages ; c’est une assemblée de peuples semblables à des taureaux et à des vaches … Vos pieds seront baignés dans le sang de vos ennemis, et la langue de vos chiens en sera abreuvé. »

 

          « Faites fondre sur eux tous les traits de votre colère ; qu’ils soient exposés à votre fureur ; que leur demeure et leurs tentes soient désertes. »

 

          « Répandez abondamment votre colère sur les peuples à qui vous êtes inconnu. »

 

          « Mon Dieu, traitez-les comme les Madianites, rendez-les comme une roue qui tourne toujours, comme la paille que le vent emporte, comme une forêt brûlée par le feu. »

 

          « Asservissez le pécheur ; que le malin soit toujours à son côté droit. »

 

          « Qu’il soit toujours condamné quand il plaidera. »

 

          « Que sa prière lui soit imputée à péché ; que ses enfants soient orphelins, et sa femme veuve ; que ses enfants soient des mendiants vagabonds ; que l’usurier enlève tout son bien. »

 

          « Le Seigneur, juste, coupera leurs têtes : que tous les ennemis de Sion soient comme l’herbe sèche des toits. »

 

          « Heureux celui qui éventrera les petits enfants encore à la mamelle, et qui les écrasera contre la pierre. »

 

          On voit que si Dieu avait exaucé toutes les prières de son peuple, il ne serait resté que des Juifs sur la terre, car ils détestaient toutes les nations, ils en étaient détestés ; et, en demandant sans cesse que Dieu exterminât tous ceux qu’ils haïssaient, ils semblaient demander la ruine de la terre entière (1). Mais il faut toujours se souvenir que non-seulement les Juifs étaient le peuple chéri de Dieu, mais l’instrument de ses vengeances. C’était par lui qu’il punissait les péchés des autres nations, comme il punissait son peuple par elles. Il n’est plus permis aujourd’hui de faire les mêmes prières, et de lui demander qu’on éventre les mères et les enfants encore à la mamelle, et qu’on les écrase contre la pierre. Dieu étant reconnu pour le père commun de tous les hommes, aucun peuple ne fait ces imprécations contre ses voisins. Nous avons été aussi cruels quelquefois que les Juifs ; mais en chantant leurs Psaumes, nous n’en détournerons pas le sens contre les peuples qui nous font la guerre. C’est un des grands avantages que la loi de grâce a sur la loi de rigueur ; et plût à Dieu que, sous une loi sainte et avec des prières divines, nous n’eussions pas répandu le sang de nos frères et ravagé la terre au nom d’un Dieu de miséricorde !

 

 

1 – « L’intolérance des peuples sémitiques (Hébreux, Arabes, etc.), dit M. Renan, est la conséquence de leur monothéisme. Les Sémites, aspirant à fonder un culte indépendant des variétés provinciales, devaient déclarer mauvaises toutes les religions différentes de la leur. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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