CORRESPONDANCE - Année 1774 - Partie 23

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1774 - Partie 23

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à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

28 Novembre 1774 (1).

 

 

          Je vous remercie bien sensiblement, monseigneur, de m’avoir éclairé, par votre lettre du 19 sur cette affaire qui m’intéresse autant que vous-même. Je vois qu’en effet il y a eu un sous-secrétaire qui pourrait bien être un fripon. Le marquis de Vence dit partout que sa fille (2) n’en sait pas assez pour contrefaire si bien la main d’un autre ; il est fort vraisemblable qu’elle a été aidée dans son crime, très mal conduit et très mal exécuté. Ce que je ne saurais pardonner à M. le marquis de Vence, c’est d’avoir profané le nom d’Alcibiade, que je vous avais très justement donné il y a longtemps, quoique Alcibiade n’ait jamais rendu à la Grèce autant de services que vous en avez rendus à la France.

 

          L’idée que vous me semblez avoir de laisser paraître un mémoire, qui ne sera qu’un simple relevé du greffe du Châtelet, et qui ne vous compromettra point, me paraît très bonne et très digne de votre gloire. Ce ne sera point un manifeste, ce sera un exposé du vol et des démarches de la justice. Ce ne sera point un maréchal de France plaidant contre une catin. Je vous serai infiniment obligé de vouloir me faire parvenir deux ou trois exemplaires de ce mémoire contre-signés ; car la poste devient horriblement chère et moi horriblement pauvre, grâce aux attentions que M l’abbé Terray a eues pour moi dans son ministère. Si vous aimez mieux faire mettre le paquet dans une petite boite à mon adresse, à la diligence de Lyon, cela ne retarde la réception que de deux ou trois jours.

 

          Ce mémoire, qui ne sera point un plaidoyer de mon héros contre des brigands, est absolument nécessaire pour imposer silence à des ennemis qui sont accrédités dans Paris, et pour instruire les provinces et les pays étrangers. Il est bien cruel qu’on veuille obscurcir une affaire aussi claire. Je me flatte que tout sera mis au grand jour dans peu de temps.

 

          Vous me faites une plaisante querelle sur les folies de ma vieillesse, que vous me reprochez de ne pas vous envoyer, après les Lois de Minos que je vous ai dédiées, et que vous n’avez pas voulu faire représenter, quoiqu’elles eussent été répétées ! Je ne m’attendais pas à ce reproche. J’aurais bien, dans quelque temps, la lie de mon vin à vous présenter ; mais il faut auparavant que vos brigands aient avalé la coupe amère de leur turpitude, et que cette affaire, terminée comme elle doit l’être, vous laisse le temps de vous amuser. Rien ne doit troubler l’éclat. J’aurais voulu seulement que vous eussiez été le père de notre Académie, ainsi que je vous l’avais proposé dans ma dédicace des Lois de Minos.

 

          Ma vie est bien triste dans le moment présent ; mais vous savez si je vous serai attaché jusqu’à mon dernier jour. LE VIEUX MALADE V.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Madame de Saint-Vincent. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Thibouville.

 

A Ferney, 28 Novembre 1774 (1).

 

 

          Mon cher marquis, je voudrais vous apporter moi-même votre chaîne ; mais donnez-moi de la santé et de la vie, et je vous apporterai autant de diamants, vrais ou faux, qu’il vous plaira.

 

          Je viens de lire le discours du roi au parlement (2) ; je ne connais rien de si sage et de si noble. Le roi est le meilleur auteur de son royaume. Que les polissons qui nous accablent de brochures apprennent à penser et à écrire, ou plutôt à se taire.

 

          On dit que vous allez avoir Henri IV à la comédie Française, à l’Italienne et chez Nicolet (3) ; qu’on le fasse au moins parler comme il parlait.

 

           A propos, votre chaîne vous coûtera quatre louis, parce qu’il y a plus de karats que dans l’autre. Elle est chez M. d’Ogny, intendant général des postes. N’est-ce pas chez M. Germain, banquier, que vous avez envoyé le paiement de la première ? Je vous prie de m’en donner avis. Je suis à la tête d’une colonne ; il faut que tout soit en règle.

 

          Quoique je n’aie pas grande foi aux discours de Paris, voulez-vous bien cependant me mander ce qu’on pense dans cette babillarde ville de l’affaire de M. de Richelieu ? mais surtout dites-moi au juste en quel état est la santé de madame d’Argental, et n’oubliez pas de m’accuser la réception de la chaîne ; car, vous autres Parisiens, vous êtes fort sujets à oublier les provinciaux. Ayez pour moi ma bonté et exactitude.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Que Louis XVI réinstallait. (G.A.)

3 – La pantomine sur Henri IV, jouée chez Nicolet, était intitulée le Charbonnier maître chez lui. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marin.

 

30 Novembre 1774 (1).

 

 

          L’octogénaire malade, enseveli sous dix pieds de neige, n’a guère eu la force d’écrire ; à peine peut-il écrire son testament : il ne peut se résoudre à dicter une lettre à MM. les habitants de Paris que quand il a quelque chose à mander qui puisse en valoir la peine. Il a cette fois un sujet d’écrire, et le voici.

 

          Premièrement, mon cher ami, en supposant que vous êtes toujours lié avec M Linguet, je vous prie très instamment de lui demander si je puis lui confier, sous le secret le plus inviolable, une affaire très intéressante (2) dans laquelle il a déjà signalé, il y a quelques années, son éloquence et son courage avec un heureux succès, et dont les suites méritent assurément toute son attention, ses bons offices secrets et la circonspection la plus grande. S’il veut bien me promettre que cette affaire sera entre lui et moi, je lui réponds qu’elle lui fera un honneur infini lorsqu’elle sera terminée. Il ne s’agit point de plaider, mais d’instruire et de donner des conseils à des personnes qui attendent tout de ses lumières et de sa franchise. S’il veut bien vous donner sa parole qu’il ne me citera jamais, je le mettrai bientôt au fait. Je n’entends pour cela que votre réponse.

 

          La seconde grâce que j’ai à vous demander, c’est de vouloir bien vous informer si un officier, retiré après quarante ans de service, peut, à l’âge de soixante et huit ans, demander qu’on lui accorde le paiement entier des arrérages de sa pension de retraite : cette pension est de mille livres. On lui doit, comme aux autres, cinq ans d’arrérages : ces cinq années sont payées à sa veuve, s’il meurt. Y a-t-il quelque officier à qui on ait fait la grâce de lui payer ces cinq années dues ? Et en cas qu’on puisse se flatter d’obtenir cette faveur, faut-il s’adresser à M. le contrôleur général ? N’est-ce pas plutôt au ministre de la guerre qu’on doit avoir recours ?

 

          Quoique cette question ne soit pas immédiatement de votre ressort, cependant je présume que vous êtes assez répandu pour en être informé au juste, et je suis sûr que vous êtes assez bon pour m’en instruire.

 

          Si, en répondant à mes deux points, vous me parlez de Henri IV joué à la comédie Française, à l’Italienne et chez Nicolet, si vous me dites votre avis sur les opéras nouveaux et sur les mauvaises pièces nouvelles, ou sifflées ou applaudies, vous égaieriez le mourant transi qui vous sera très obligé.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – La révision de l’affaire La Barre et d’Etallonde. En 1766, Linguet avait signé et même rédigé une consultation d’avocats avant la sentence. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise du Deffand.

 

Le 2 Décembre 1774.

 

 

          Vous me donnez, madame, une rude commission. Tout le monde fait aisément des noëls malins, parce que tout le monde les aime ; mais on n’a jamais fait des noëls malins, parce que tout noëls galants à la louange de personne, pas même à celle de la sainte Famille, dont tous les chrétiens sont convenus de se moquer à la fin de décembre. Cependant, pour satisfaire à votre étrange empressement, j’ai invoqué l’ombre de l’abbé Pellegrin ; tenez, voilà des couplets qu’elle vous envoie. Elle recommande de taire l’auteur, non pas, hélas ! par les yeux de votre tête (1), mais par toute l’amitié, par le tendre attachement que le vieux Pellegrin a pour vous.

 

 

 

NOËLS POUR UN SOUPER.

 

(2)

 

 

Jésus dans sa cabane

Voyant venir Choiseul,

Malgré le bœuf et l’âne,

Lui faisant grand accueil,

Dit : « Je fais avec toi

Un pacte de famille ;

Tu sais garder ta foi ;

Et moi,

Je ne quitterai pas

Tes pas,

Pour chercher une fille. »

 

Quand madame sa femme

Vint baiser le bambin,

Marie au fond de l’âme

Eut un peu de chagrin ;

Cette bonne lui dit :

« J’ai quelque jalousie.

Lorsque le Saint-Esprit

Me prit.

Vous n’étiez donc pas là,

Là, là ?

Il vous aurait choisie. »

 

L’enfant, dans l’écurie,

D’un œil peu satisfait

Voyait Marthe et Marie,

Et sainte Elisabeth,

Et ses parents sans nom,

Et Joseph le beau-père ;

Mais en voyant Grammont,

Poupon,

Tu criais : « Celle-là,

Papa,

Est ma sœur ou ma mère. »

 

 

          Quand on aura chanté ces trois plats couplets, on pourra chanter en chœur celui-ci, qui n’est pas moins plat :

 

Laissez paître vos bêtes,

Vous, messieurs, qui ne l’êtes pas ;

A nos petites fêtes

Ne vous ennuyez pas,

Votre château

Est grand et beau,

Mais à Paris

Toujours chéris,

Faut-il ailleurs

Gagner des cœurs ?

Laissez paître vos bêtes,

Vous, messieurs, qui ne l’êtes pas, etc.

 

 

1 – Madame du Deffant était aveugle. (G.A.)

2 – Le souper devait avoir lieu le 24 Décembre, chez madame du Deffant. La famille Choiseul et quelques-uns de leurs amis y devaient assister ; l’air des couplets de Voltaire est celui de Tous les bourgeois de Chartres. (Beuchot.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise du Deffand.

 

5 Décembre 1774.

 

 

          L’ombre de l’abbé Pellegrin m’est encore apparue cette nuit, et m’a donné les deux couplets suivants, sur l’air : Or dites-nous, Marie :

 

Trois rois dans la cuisine

Vinrent de l’Orient ;

Une étoile divine

Marchait toujours devant.

Cette étoile nouvelle

Les fit très mal loger ;

Joseph et sa pucelle

N’avaient rien à manger.

 

Hélas ! mes pauvres sires,

Pourquoi voyagez-vous ?

Restez dans vos empires,

Ou soupez avec nous.

Si la cour vous ennuie,

Voyez-nous quelquefois :

La bonne compagnie

Doit toujours plaire aux rois.

 

          Mon cher abbé, lui ai-je dit, je reconnais bien, à votre style, l’auteur de ces fameux noëls :

 

Lisez la loi et les prophètes.

Profitez de ce qu’ils ont dit.

Quand on a perdu Jésus-Christ,

Adieu paniers, vendanges sont faites.

 

          Mais, après tout, vos couplets pour le souper de saint Joseph peuvent passer, parce que la bonne compagnie dont vous me parlez, et que vous ne connaissez guère, est indulgente. S’il y a quelque allusion dans les couplets de vos noëls, cette allusion ne peut être qu’agréable pour les intéressés, et ne peut choquer personne, pas même la sainte Vierge et son mari, qui ne se sont jamais piqués d’avoir à Bethléem le cuisinier du président Hénault. Mais surtout ne montrez pas vos noëls à l’ingénieux Fréron (1), qui a les petites entrées chez madame la marquise du Deffand, et qui ne manquerait pas de dire beaucoup de mal de son cuisinier et de son faiseur de noëls, quoiqu’il ne se connaisse ni en bonne chère ni en bons vers.

 

 

1 – Madame du Deffand lui répondit qu’elle n’avait jamais reçu ni même rencontré Fréron. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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