THÉÂTRE - Les lois de Minos - Partie 4
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LES LOIS DE MINOS.
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SCÈNE III.
LES PRÉCÉDENTS, ASTÉRIE.
DICTIME.
A son aspect, seigneur,
La pitié qui vous touche a pénétré mon cœur.
Que ma triste raison gémit sur ma patrie !
PHARÈS.
Captive des Crétois, remise entre mes mains,
Avant d’entendre ici l’arrêt de tes destins,
C’est à toi de parler, et de faire connaître
Quel est ton nom, ton rang, quels mortels t’ont fait naître.
ASTÉRIE.
Je veux bien te répondre. Astérie est mon nom ;
Ma mère est au tombeau ; le vieillard Azémon,
Mon digne et tendre père, a dès mon premier âge
Dans mon cœur qu’il forma fait passer son courage.
De rang, je n’en ai point ; la fière égalité
Est notre heureux partage, et fait ma dignité.
PHARÈS.
Sais-tu que Jupiter ordonne de ta vie ?
ASTÉRIE.
Le Jupiter de Crète, aux yeux de ma patrie,
Est un fantôme vain que ton impiété
Fait servir de prétexte à ta férocité.
PHARÈS.
Apprends que ton trépas, qu’on doit à tes blasphèmes,
Est déjà préparé par mes ordres suprêmes.
ASTÉRIE.
Je le sais, de ma mort indigne et lâche auteur ;
Je le sais, inhumain ; mais j’espère un vengeur.
Tous mes concitoyens sont justes et terribles ;
Tu les connais, tu sais s’ils furent invincibles.
Les foudres de ton dieu, par un aigle portés,
Ne te sauveront pas de leurs traits mérités :
Lui-même, s’il existe, et s’il régit la terre,
S’il naquit parmi vous, s’il lance le tonnerre,
Il saura bien sur toi, monstre de cruauté,
Venger son divin nom si longtemps insulté.
Puisse tout l’appareil de ton infâme fête,
Tes couteaux, ton bûcher, retomber sur ta tête !
Puisse le temple horrible où mon sang va couler,
Sur ma cendre, sur toi, sur les tiens s’écrouler !
Périsse ta mémoire ! et s’il faut qu’elle dure,
Qu’elle soit en horreur à toute la nature !
Qu’on abhorre ton nom, qu’on déteste tes dieux !
Voilà mes vœux, mon culte, et mes derniers adieux.
Et toi, que l’on dit roi, toi qui passes pour juste ;
Toi, dont un peuple entier chérit l’empire auguste,
Et qui, du tribunal où les lois t’ont porté,
Sembles tourner sur moi des yeux d’humanité,
Plains-tu mon infortune en coulant mon supplice ?
Non, de mes assassins tu n’es pas le complice.
MÉRIONE, archonte, à Teucer.
On ne peut faire grâce, et votre autorité
Contre un usage antique, et partout respecté,
Opposerait, seigneur, une force impuissante.
TEUCER.
Que je livre au trépas sa jeune innocente !...
MÉRIONE.
Il faut du sang au peuple, et vous le connaissez ;
Ménagez ses abus, fussent-ils insensés.
La loi qui vous révolte est injuste peut-être ;
Mais en Crète elle est sainte, et vous n’êtes pas maître
De secouer un joug dont l’Etat est chargé.
Tout pouvoir a sa borne, et cède au préjugé.
TEUCER.
Quand il est trop barbare, il faut qu’on l’abolisse.
MÉRIONE.
Respectons plus Minos.
TEUCER.
Aimons plus la justice.
Et pourquoi dans Minos voulez-vous révérer
Ce que dans Busiris on vous vit abhorrer ?
Oui, j’estime en Minos le guerrier politique ;
Mais je déteste en lui le maître tyrannique.
Il obtint dans la Crète un absolu pouvoir :
Je suis moins roi que lui, mais je crois mieux valoir ;
En un mot à mes yeux votre offrande est un crime.
(A Dictime.)
Viens, suis-moi.
PHARÈS se lève, les sacrificateurs aussi,
et descendent de l’estrade.
Qu’aux autels on traîne la victime.
TEUCER.
Vous osez !...
SCÈNE IV.
LES PRÉCÉDENTS, UN HÉRAUT arrive,
le caducée à la main. Le roi, les archontes,
les sacrificateurs sont debout.
LE HÉRAULT.
De Cydon les nombreux députés
Ont marché vers nos murs, et s’y sont présentés.
De l’olivier sacré les branches pacifiques,
Symbole de concorde, ornent leurs mains rustiques :
Ils disent que leur chef est parti de Cydon,
Et qu’il vient des captifs apporter la rançon.
PHARÈS.
Il n’est point de rançon, quand le ciel fait connaître
Qu’il demande à nos mains un sang dont il est maître.
TEUCER.
La loi veut qu’on diffère, elle ne souffre pas
Que l’étendard de paix et celui du trépas
Etalent à nos yeux un coupable assemblage.
Aux droits des nations nous ferions trop d’outrage.
Nous devons distinguer (si nous avons des mœurs)
Le temps de la clémence et le temps des rigueurs :
C’est par là que le ciel, si l’on en croit nos sages,
Des malheureux humains attira les hommages ;
Ce ciel peut-être enfin lui veut sauver le jour.
Allez, qu’on la ramène en cette même tour
Que je tiens sous ma garde, et dont on l’a tirée
Pour être en holocauste à vos glaives livrée.
Sénat, vous apprendrez un jour à pardonner.
ASTÉRIE.
Je te rends grâce, ô roi si tu veux m’épargner ;
Mon supplice est injuste autant qu’épouvantable :
Et, quoique j’y portasse un front inaltérable,
Quoique aux lieux où le ciel a daigné me nourrir,
Nos premières leçons soient d’apprendre à mourir,
Le jour m’est cher … hélas ! mais s’il faut que je meure,
C’est une cruauté que d’en différer l’heure.
(On l’emmène.)
TEUCER.
Le conseil est rompu. Vous, braves combattants,
Croyez que de Cydon les farouches enfants
Pourront malaisément désarmer ma colère.
Si je vois en pitié cette jeune étrangère,
Le glaive que je porte est toujours suspendu
Sur ce peuple ennemi par qui j’ai tout perdu.
Je sais qu’on doit punir, comme on doit faire grâce,
Protéger la faiblesse, et réprimer l’audace ;
Tels sont mes sentiments. Vous pouvez décider
Si j’ai droit à l’honneur d’oser vous commander,
Et si j’ai mérité ce trône qu’on m’envie.
Allez ; blâmez le roi, mais aimez la patrie ;
Servez-là ; mais surtout, si vous craignez les dieux,
Apprenez d’un monarque à les connaître mieux.