CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 11

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 11

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

à M. l’abbé de Voisenon.

 

15 Mai 1772 (1).

 

 

          Mon cher prélat, je suppose que la raison, ou le temps, ou quelque nouvelle maîtresse vous a consolé (2). Quoi qu’il en soit, voici Jean qui pleure et Jean qui rit, qui pourra vous amuser un moment.

 

          Je crois, mon cher historiographe de l’Europe, que ma première réponse à M. Le Roy était un peu trop virulente sur la fin ; il ne faut jamais se fâcher, mais rire de tout. Vous m’aviez promis la réponse au factum de M. de Morangiés. Je m’imagine qu’elle ne vaudra rien, mais je suis curieux.

 

          Je vous avertis que je ne crois pas un mot du partage de la Pologne.

 

          Par quelle fatalité n’y a-t-il rien de vous dans le Mercure ? Eh bien ! moi, je fournirai ma part ce mois-ci, si M. Louvet (3) veut bien le permettre. Mes compliments à M. Lacombe, qui vaut mieux que M. Louvet.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Sa maîtresse, madame Favart, était morte au mois d’avril. (G.A.)

3 – Père de l’auteur du Chevalier de Faublas. (A. François.)

 

 

 

 

 

à Madame de Beauharnais.

 

Le...

 

 

          On dit, madame, que les divinités apparaissaient autrefois aux solitaires dans les déserts ; mais elles n’écrivaient point de jolies lettres ; et j’aime mieux la lettre dont vous m’avez honoré, que toutes les apparitions de ces nymphes de l’antiquité. Il y a encore une chose qui me fait grand plaisir, c’est que vous ne m’auriez point écrit si vous aviez été dévote ou superstitieuse : il y a des confesseurs qui défendent à leur pénitentes de se jouer à moi. Je crois, madame, que si quelqu’un est assez heureux pour vous diriger, ce ne peut être qu’un homme du monde, un homme aimable qui n’a point de sots scrupules. Vous ne pouvez avoir qu’un directeur raisonnable, et fait pour plaire. Le comble de ma bonne fortune, c’est que vous écrivez naturellement, et que votre esprit n’a pas besoin d’art. On dit que votre figure est comme votre esprit. Que de raisons pour être enchanté de vos bontés ! Agréez, madame, la reconnaissance et le respect du vieux solitaire V.

 

 

 

 

 

à M. Vasselier.

 

A Ferney, mai 1772.

 

 

          Mon cher correspondant, j’aime mieux envoyer des montres à Genève pour Maroc, que des mémoires de l’avocat Duroncel (1) à M. le chancelier. Notre fabrique a l’air d’une grande correspondance. Elle envoie à la fois à Pétersbourg, à Constantinople, et au fond de l’Afrique ; mais jusqu’à présent elle n’en paraît pas plus riche. Il faut espérer que ce petit commerce, dans les quatre parties du monde, produira enfin quelque chose, et que j’en viendrai à mon honneur, qui a été le seul but de mon entreprise.

 

          Je fais réflexion que les équivoques gouvernent ce monde : on intitule une tragédie les Lois de Minos ; à ce mot de lois, un magistrat lyonnais croit qu’il s’agit de nos parlements, et un prêtre croit qu’il est question du droit canon ; mais la première loi des Français est le ridicule. Il ne faut songer qu’à cultiver son jardin et à soutenir sa colonie : c’est vous qui la soutenez.

 

          Pourriez-vous, mon cher ami, m’aider à rendre un petit service ? Il s’agirait de faire toucher six louis à un vieillard nommé Daumart (2), retiré depuis peu au Mans. J’imagine que le directeur de la poste du Mans pourrait les lui faire remettre. M. Scherer (3) vous donnerait ces six louis sur la seule inspection de mon billet ; mais s’il y a la moindre difficulté, le moindre inconvénient, n’en faites rien : je prierai M. Scherer de me rendre ce bon office. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Pseudonyme de Voltaire pour les Lois de Minos. (G.A.)

2 – Parent de Voltaire. (G.A.)

3 – Banquier à Lyon. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Diderot.

 

17 Mai 1772 (1).

 

 

          Non assurément, mon cher philosophe, je ne vous ai jamais soupçonné d’avoir eu la moindre part à ce libelle (2) que M. Le Roy s’est diverti à faire contre moi. Il est très permis sans doute de dire que je suis un plat auteur, un mauvais poète, un vieux radoteur ; mais il n’est pas honnête de dire que je suis jaloux et ingrat ; car, sur mon Dieu, je n’ai jamais été ni l’un ni l’autre.

 

          Je suis charmé que la petite leçon que M. Le Roy m’a faite m’ait value une de vos lettres ; vous n’écrivez que dans les grandes occasions : vous consolez vos amis, quand ils éprouvent des disgrâces. Je suis juste ; je n’en aime pas moins l’article INSTINCT de M. Le Roy dans ce grand dictionnaire, sur lequel je vous fais, de mon côté, mes compliments de condoléance. J’en dois aussi à notre pauvre Académie (3) ; nous sommes tous sub gladio, et nous ne dirons pas :

 

Et spes et ratio studiorum in Cæsare tantùm.

 

                                                                                                           JUV.

 

Cela pourrait se dire à Florence, où le grand-duc donne une somme considérable pour l’édition de l’Encyclopédie, malgré les notes qu’on y coud. Pour vous autres Welches, il faut bien que vous n’ayez aucun besoin des faveurs de la cour, car on ne vous les jette pas à la tête. Vous ressemblez au duc de Mazarin, à qui Louis XIV avait refusé un régiment : « Messieurs, il m’a trouvé tant d’agréments, qu’il m’a dit que je pouvais me passer de celui-là. » Au surplus, vous savez que

 

Levius fit patientia

Quidquid corrigere est nefas.

 

Jouissez, mon cher philosophe, de votre réputation que personne ne vous ôtera ; arrondissez votre fortune, mariez votre fille ; vivez heureux, soyez plus indulgent que M. Le Roy ; j’en ai besoin.

 

          J’irai bientôt voir Damilaville ; nous verrons qui, de lui ou de moi, avait raison. Je lui soutenais qu’il y avait dans la nature intelligence et matière ; il me niait intelligence, et nous étions bons amis.

 

Faccia ognumo secondo il suo cervello.

 

Soyez sûr que ma cervelle et mon cœur sont à vous. Si vous aviez pu lire quelque chose des Questions, vous auriez vu de quelle respectueuse estime le questionneur est pénétré pour vous.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A François. (G.A.)

2 – Réflexions sur la jalousie. (G.A.)

3 – A propos de l’exclusion de Delille et de Suard. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

18 Mai 1772.

 

 

          Mon cher ange, le jeune avocat Duroncel a non seulement renoncé aux âmes de fer et à son crédit, mais il a changé entièrement la troisième partie de son plaidoyer, et plusieurs paragraphes dans les autres.

 

          Vous avez la bonté de nous mander que M. le duc de Duras daigne s’intéresser à cette petite affaire, et qu’il doit la recommander au magistrat dont elle dépend. Si ce magistrat est M. le chancelier, sachez enfin qu’il la connaît déjà, et qu’il y a plus d’un mois que le plaidoyer de Duroncel est entre ses mains, par une aventure très bizarre et très ridicule. Il n’en a dit mot, ni moi non plus ; l’avocat n’a point paru. J’ai dû ignorer tout ; je me suis renfermé dans mon honnête silence. Il ne m’appartient pas de me mêler des affaires du barreau, on jugera bien cette cause sans moi ; mais M. le duc de Richelieu m’inquiète : j’ai lieu de croire qu’il est fâché qu’on se soit adressé à d’autres qu’à lui ; nous tâcherons de l’apaiser.

 

          On a suivi entièrement le conseil de l’ange très sage, dans la petite réponse à M. Le Roy. (1) Point d’injures, beaucoup d’ironie et de gaieté. Les injures révoltent, l’ironie fait rentrer les gens en eux-mêmes, la gaieté désarme.

 

          La Condamine n’aurait pas tant de tort ; comptons :

 

Les soldats de Corbulon………….…………………………       30

La Beaumelle et compagnie ……………………………….         5

Clément et compagnie…………....………………………...       15

Fréron et compagnie……………….………………………..       20

L’escadron volant ………………...………………………….       30

                                                                                                ______

 

                                                                                 Total       100

 

          Lesquels font au parterre une troupe formidable, soutenue de quatre mille hypocrites.

 

          Que faut-il opposer à cette armée ? force bons vers, et force bons acteurs : mais où les trouver ?

 

          Je me flatte que l’autre Teucer sera agissant dans les derniers actes, comme le mien.

 

          Je commence à croire qu’il y aura un long congrès à Yassi, car ma colonie y envoie des montres avec des cadrans à la turque.

 

          Je plains ce galant Danois (2) ; c’était l’Amour médecin (3), et, après tout, ni Astolphe ni Joconde ne firent couper le cou aux amants de leurs femmes. Je baise humblement les ailes de mes anges.

 

          Dites-moi donc comment je puis vous envoyer la Crète : pourquoi n’a-t-on pas encore représenté Pierre (4) ?

 

 

1 – Lettre sur un écrit anonyme. (G.A.)

2 – Struensée. (G.A.)

3 – Titre d’une comédie de Molière. (G.A.)

4 – Pierre-le-Cruel. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise du Deffand.

 

Ferney, 18 Mai 1772.

 

 

          Vraiment, madame, je me suis souvenu que je connaissais votre Danois (1). Je l’avais vu, il y a longtemps, chez madame de Bareuth ; mais ce n’était qu’en passant. Je ne savais pas combien il était aimable. Il m’a semblé que M. Bernstorff, qui se connaissait en hommes, l’avait placé à Paris, et que ce pauvre Struensée, qui ne se connaissait qu’en reines, l’avait envoyé à Naples. Je ne crois pas qu’il ait beaucoup à attendre actuellement du Danemark ni du reste du monde. Sa santé est dans un état déplorable : il voyage avec deux malades qu’il a trouvés en chemin. Je me suis mis en quatrième, et leur ai fait servir un plat de pilules à souper ; après quoi, je les ai envoyés chez Tissot, qui n’a jamais guéri personne, et qui est plus malade qu’eux tous, en faisant de petits livres de médecine.

 

          Ce monde-ci est plein, comme vous savez, de charlatans en médecine, en morale, en théologie, en politique, en philosophie. Ce que j’ai toujours aimé en vous, madame, parmi plusieurs autres genres de mérite, c’est que vous n’êtes point charlatane. Vous avez de la bonne foi dans vos goûts et dans vos dégoûts, dans vos opinions et dans vos doutes. Vous aimez la vérité, mais l’attrape qui peut. Je l’ai cherchée toute ma vie, sans pouvoir la rencontrer. Je n’ai aperçu que quelque lueur qu’on prenait pour elle ; c’est ce qui fait que j’ai toujours donné la préférence au sentiment sur la raison.

 

          A propos de sentiment, je ne cesserai jamais de vous répéter ma profession de foi pour votre grand’maman. Je vous dirai toujours qu’indépendamment de ma reconnaissance, qui ne finira qu’avec moi, elle et son mari sont entièrement selon mon cœur.

 

          N’avez-vous jamais vu la carte de Tendre dans Clélie (2) ? je suis pour eux à Tendre-sur-Enthousiasme. J’y resterai. Vous savez aussi, madame, que je suis pour vous, depuis vingt ans, à Tendre-sur-Regrets. Vous savez quelle serait ma passion de causer avec vous ; mais j’ai mis ma gloire à ne pas bouger ; et voilà ce que vous devriez dire à votre grand’maman.

 

          Adieu, madame : mes misères saluent les vôtres avec tout l’attachement et toute l’amitié imaginables.

 

 

1 – Le baron de Gleichen. (G.A.)

2 – Roman de mademoiselle de Scudéry. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article