CORRESPONDANCE - Année 1761 - Partie 23

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1761 - Partie 23

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à Madame de Saint-Julien.

 

A Ferney, 9 Novembre (1).

 

 

          La belle Diane, qui a soumis tant de cœurs et tué tant de perdrix, légère comme un papillon et philosophe comme Minerve, veut-elle bien recevoir l’hommage d’un vieux hibou du mont Jura ?

 

          Mon gendre, M. Dupuits, est bien heureux, il verra Diane ; il ne m’appartient que de lui présenter de loin mon respect et mes regrets.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

9 Novembre 1771.

 

 

          Mon cher ange, on ne trouve pas tous les jours des facilités d’envoyer des livres. M. Dupuits vous remettra le six et le sept (1). Je voudrais pouvoir vous envoyer quelque chose de plus agréable, car j’aime toujours mieux les vers que la prose ; mais actuellement je suis bien dérouté. Mes colonies, qui ne sont point du tout poétiques, sont pour moi une source d’embarras qui feraient tourner la tête à un jeune homme ; jugez ce qui doit arriver à celle d’un pauvre vieillard cacochyme. Cela n’empêchera pas que vous n’ayez vos montres dans quelque temps.

 

          M. Dupuits, ci-devant employé dans l’état-major, va solliciter la faveur d’être replacé. Je ne crois pas qu’on puisse trouver un meilleur officier, plus instruit, plus attaché à ses devoirs, et plus sage. Je m’applaudis tous les jours de l’avoir marié à notre Corneille ; ils font tous deux un petit ménage charmant. Je compte bien, mon cher ange, que vous le vanterez à M. le marquis de Monteynard. Il y a plaisir à recommander des gens qui ne vous attireront jamais de reproches. Mon gendre Dupuits a déjà quinze ans de service. Comme le temps va ! cela n’est pas croyable. Ce serait une grande consolation pour moi de le voir bien établi avant que je finisse ma chétive carrière.

 

          Je vous prie donc, et très instamment, de le protéger tant que vous pourrez auprès du ministre.

 

          J’ai été bien émerveillé de l’aventure de madame de La Garde (2), et du procès de M. Duhautoi contre M. de Soyecourt. Je ne conçois pas trop, quoique nous soyons dans un siècle de fer, comment des hommes de cette qualité se sont mis fermiers de forge.

 

          J’ai peine aussi à comprendre comment les étincelles de cette forge n’ont pas un peu roussi le manteau de M. l’abbé Terray. Je m’aperçois qu’il est toujours à la tête des finances, parce qu’on ne me paie point une partie de l’argent qu’il m’a pris dans mes poches, dans l’aventure des rescriptions.

 

          Ne pourriez-vous point me dire quelle est la porte qui conduit à son cabinet et à son coffre-fort ?

 

          J’ai toujours ouï dire que les ministres, pour se délasser de leurs travaux, avaient volontiers quelque catin à laquelle on pouvait s’adresser dans l’occasion.

 

          A propos de catin, n’avez-vous pas quelque actrice un peu passable à la Comédie qui puisse jouer Zaïre et Olympie ? Ce sont deux pièces que j’aime : Olympie d’ailleurs est faite pour le peuple ; il y a des prêtres et un bûcher. Je ne les verrai pas jouer ; mais on aime ses enfants, quoiqu’on soit éloigné d’eux. C’est ainsi que je vous aime, mon cher ange, et que je suis attaché à madame d’Argental avec le plus rendre respect.

 

 

1 – Les tomes VI et VII des Questions. (G.A.)

2 – Maîtresse de l’abbé Terray. Elle rançonnait tellement les solliciteurs que le ministre dut la chasser. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Rochefort.

 

9 Novembre 1771.

 

 

          Vous pardonnez sans doute, mon cher militaire philosophe, au vieux malade qui paraît si négligent ; mais il sera toujours pénétré pour vous de la plus tendre amitié. Je prends la liberté d’en dire autant à madame Dixneufans, qui est tout aussi philosophe que vous.

 

          Je ne vous ai point envoyé la Méprise d’Arras (1). Premièrement, le paquet serait trop gros ; en second lieu, ayant été mieux informé, j’ai su que l’avocat avait fait un roman plutôt qu’un factum, et qu’il avait joint au ridicule de sa déclaration puérile le malheur de mentir en cinq ou six endroits importants. Ce bavard m’avait induit en erreur ; ainsi on est obligé de supprimer la Méprise. Le malheureux qui a été condamné à la roue était assurément très innocent ; sa femme, condamnée à être brûlée, était plus innocente encore ; mais l’avocat n’en est qu’un plus grand sot d’avoir affaibli une si bonne cause par des faussetés, et d’avoir détruit des raisons convaincantes par des raisons pitoyables. J’ignore actuellement où cette affaire abominable en est ; je sais seulement que la malheureuse veuve de Montbailli n’a point été exécutée. Il est arrivé à cette infortunée la même chose qu’aux prétendus complices du chevalier de La Barre. Le supplice de ce jeune officier, qui serait certainement devenu un homme d’un très grand mérite, arracha tant de larmes et excita tant d’horreur, que les misérables juges d’Abbeville n’osèrent jamais achever le procès criminel de ces pauvres jeunes gens qui devaient être sacrifiés au fanatisme. Ces fatales catastrophes, qui arrivent de temps en temps, jointes aux malheurs publics, font gémir sur la nature humaine. Mais que mon militaire philosophe soit heureux avec madame Dixneufans ! il est de l’intérêt de la Providence que la vertu soit quelquefois récompensée.

 

          On vient de réformer le parlement de Dijon ; on en fait autant à Rennes et à Grenoble. Celui de Dombes, qui n’était qu’une excroissance inutile, est supprimé. Voilà toute cette grande révolution finie plus heureusement et avec plus de tranquillité qu’on n’avait osé l’espérer. La justice rendue gratuitement, et celle des seigneurs exercée aux dépens du roi, seront une plus grande époque, et la plus honorable de ce siècle. Un grand mal a produit un grand bien. Il y a de quoi se consoler de tant de malheurs attachés à notre pauvre espèce.

 

          Vous ne retournez à Paris qu’à la fin de décembre ; il faudra que vous alliez servir votre quartier ; vous n’aurez guère le temps de voir M. d’Alembert ; mais, si vous le voyez, je vous prie de lui dire que je voudrais passer le reste de ma vie entre vous et lui.

 

          Notre ermitage vous renouvelle les sincères assurances de l’amitié la plus inviolable.

 

 

1 – Voyez l’Affaire Montbailli. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Vasselier.

 

A Ferney, 11 Novembre 1771 (1).

 

 

          Dieu soit béni, et M. le chancelier ! Je n’écris point au premier ; je le verrai bientôt. Je fais mon compliment au second. Je vous prie, mon cher correspondant, de donner cours au petit paquet que je lui envoie. Puisse-t-on réformer la jurisprudence, comme on a réformé les jurisprudents !

 

          Je vois enfin que la révolution des parlements se fera aussi doucement que celle des jésuites ; cela est consolant. Mille tendres amitiés à M. Tabareau et à M. Vasselier.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Gustave III.

 

12 Novembre 1771.

 

 

          Sire, c’est avec ces larmes qu’arrachent l’attendrissement et l’admiration que j’ai lu l’éloge du roi votre père, composé par votre majesté. L’Europe prononce le vôtre ; permettez à un étranger de joindre sa voix à toutes celles qui font mille vœux pour vous. Si je ne suis pas né votre sujet, je le suis par le cœur, et les sentiments de ce cœur que vous avez pénétré sont l’excuse de la liberté que je prends. Je suis avec le plus profond respect, sire, de votre majesté, etc.

 

 

 

 

 

à M. de Thibouviller.

 

15 Novembre 1771 (1).

 

 

          Le vieux malade vous doit une réponse, mon cher marquis ; son état ne lui permet pas d’être le plus exact des correspondants. Il n’en est pas moins sensible. Vous aurez votre montre, que notre pauvre colonie a faite à très bon marché, et qui est très bonne. Vous aurez les Pélopides du jeune homme, qui ne sont pas bons, mais qui valent cent mille fois mieux que le Visigoth Atrée du barbare Crébillon. Mais il ne sait comment vous adresser le paquet. Démenez-vous un peu, et tâchez d’attraper quelque contre-seing. Portez-vous mieux que moi. Madame Denis est toujours bien paresseuse ; mais que voulez-vous qu’on vous mande du mont Jura ? C’est à MM. les Parisiens, qui sont au centre des belles nouvelles, à réjouir les campagnards casaniers.

 

          Nous avons, dans un de nos villages, une troupe de comédiens qu’on dit assez bonne. Je n’y vais jamais. Il y a une mademoiselle Camille (2), grande fille, bien faite, belle voix, de l’esprit, de l’âme. Pourquoi l’avez-vous laissée aller ? Vous auriez formé cela.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Elle entra à la Comédie-Italienne et y réussit. (A. François.)

 

 

 

 

 

à M. Baskerville.

 

A Ferney, par Genève, 16 Novembre 1771 (1).

 

 

          The old scribler, to whom you have benn so kind as to send your magnificcent editions of Virgil and Milton, thanks you heartily.

 

          He will send you, as soon as possible, his poor sheets duty corrected. They stand in great need of it;

 

          Your most, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. – « Le vieux griffonneur, à qui vous avez eu la bonté d’envoyer vos magnifiques éditions de Virgile et de Milton vous remercie de tout son cœur. Il vous enverra le plus tôt possible ses pauvres chiffons dûment corrigés ; ils en ont grand besoin. » (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

18 Novembre 1771.

 

 

          Le vieux malade et madame Denis font bien leurs compliments à M. Hennin, et souhaitent un bon voyage à M. et à madame Le Gendre.

 

          Le parlement de Grenoble est réduit à quarante membres.

 

          L’impôt sur la nouvelle noblesse est perçu depuis longtemps par les subdélégués. Il produit beaucoup, et n’est point affermé 300,000 livres.

 

          L’impôt de soixante livres par quintal, sur les livres étrangers, est enregistré depuis longtemps.

 

          Le conseil supérieur de Lyon a été reçu à sa rentrée avec des battements de mains.

 

          C’est une compagnie de Paris qui a traité des nouvelles charges d’agents de change à Lyon.

 

          L’impératrice de Russie a payé les artistes de Ferney.

 

          La peste n’est point à Moscou ; du moins on ne veut pas que ce soit la peste.

 

          Je reçois une lettre (1). Ce n’est point la peste.

 

          La peste est au trésor royal à Paris.

 

 

1 – Celle du 6/17 Octobre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Vasselier.

 

22 Novembre 1771 (1).

 

 

          Mon Dieu, mon cher ami, je ne vous ai pas remercié de votre jésuite Richeome (2) : c’est un bon impertinent. Il est bon d’avoir cela dans sa bibliothèque, et de voir jusqu’où l’esprit humain peut aller en fait de bêtise.

 

          Je vous prie de ne me pas oublier auprès de M. Tabareau, quand vous lui écrirez à Rome.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Auteur de deux volumes in-folio de controverses. Mort en 1625. (G.A.)

 

 

 

 

 

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