CORRESPONDANCE - Année 1770 - Partie 24

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1770 - Partie 24

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

à M. Duclos.

 

20 Auguste 1770.

 

 

          Monsieur, je présente mes très humbles remerciements à l’Académie ; elle n’a considéré que l’honneur qui rejaillit sur la littérature, dont elle est le modèle et la protectrice ; elle encourage les beaux-arts, en mettant dans ses archives la lettre d’un roi qui apprit d’elle à écrire si purement  notre langue. La part que j’ai dans cet événement, si honorable pour les gens de lettres, me fait sentir combien d’autres en sont plus dignes que moi, et cette justice que je dois me rendre augmente encore ma reconnaissance.

 

          Agréez tous les sentiments que je vous dois, et ayez la bonté, monsieur, d’assurer la compagnie du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être son très humble, très obéissant et très obligé serviteur.

 

 

 

 

 

à M. le comte de Schomberg.

 

Ferney, 25 Auguste 1770.

 

 

          Puisque vous poussez vos bontés, monsieur, jusqu’à vouloir bien honorer encore de votre présence la solitude du mont Jura, et consoler un vieux malade par les charmes de votre conversation, je vous avertis, pour vous encourager à cette bonne œuvre, que vous y trouverez probablement M. d’Alembert.

 

          Il a semblé bon au Saint-Esprit et à lui de passer par chez moi en allant voir le pape. On ne peut mieux prendre son temps. J’ai établi une colonie de huguenots ; c’est un petit commencement de réunion entre les deux plus belles sectes de philosophie qui font tant d’honneur à l’esprit humain, les papistes et les calvinistes. Vous ferez trêve pour quelques jours, dans ma retraite pour quelques jours, dans ma retraite pacifique, à votre grand art de tuer les hommes avec gloire et salaire. Que ne puis-je, tous les ans, me trouver sur votre route ! Agréez toujours, monsieur, mon respectueux attachement.

 

 

 

 

 

à M. le chancelier Maupeou.

 

Ferney, 22 auguste (1).

 

 

          Monseigneur, il ne faut point prendre la liberté de vous présenter des ouvrages nouveaux, parce que assurément vous pensez mieux que les auteurs de ce siècle ; une seule de vos lettres est mieux écrite que tous leurs livres. Mais peut-être dans les circonstances présentes, où le Système de la Nature fait tant de bruit dans l’Europe, il semble permis d’offrir au chef de la littérature (2) aussi bien que des lois la faible esquisse d’une réfutation.

 

          Si vous daignez, dans la multitude de vos grandes occupations, jeter les yeux un moment sur ce petit écrit, il vous en dira moins que votre esprit ne vous en dira moins que votre esprit ne vous en dira. Puissé-je avoir rencontré quelques-unes de vos idées ! Ce serait le seul moyen de n’être pas indigne de votre suffrage. J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, monseigneur, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2- La direction de la librairie était dans les attributions du chancelier. (A. François.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Ossun.

 

22 Auguste 1770, à Ferney (par Lyon).

 

 

          Monsieur, permettez que j’importune encore votre excellence par mes remerciements. Tout ce que vous daignez faire pour la petite colonie de nouveaux Français montre bien la générosité de votre cœur, et fait voir que vous représentez un roi de France.

 

          Je me suis vanté à M. le duc et à madame la duchesse de Choiseul des extrêmes bontés dont vous m’honorez ; j’en étais trop plein pour m’en taire. Je vous supplie de me pardonner cette indiscrétion ; elle ne dérobe rien à la reconnaissance que je vous dois. Le fort du commerce de mes colons étant en Espagne, jugez, monsieur, quelles obligations je vous ai. J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, etc.

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse de Choiseul.

 

Ferney, 27 Auguste 1770.

 

 

          Madame, après avoir embelli votre royaume de Chanteloup par vos bienfaits, vous venez encore, M. le duc de Choiseul et vous, d’étendre vos grâces sur notre hameau de Ferney. Peut-être apprendrez-vous tous deux avec quelque satisfaction que nos émigrants ont donné pour la Saint-Louis une petite fête qui a consisté en un très bon souper de cent couverts, avec illumination, feu d’artifice, et des vive le roi ! sans fin. Peut-être même M. le duc ne sera pas fâché d’apprendre au roi qu’il est aimé et célébré par ses nouveaux sujets comme par les anciens.

 

          Vos noms, madame, n’ont été oubliés ni en buvant, ni dans le feu d’artifice.

 

Nous étions tous fort attendris,

Voyant, du fond de nos tanières,

Des Choiseul les beaux noms écrits

En caractères de lumières

Sur nos vieux chênes rabougris,

Et parmi nos sèches bruyères.

 

 

          C’était un plaisir de voir nos huguenots et nos papistes être tous de la même religion, et montrant à leurs bienfaiteurs la même reconnaissance.

 

Rien n’est plus selon mon humeur

Que de voir ces bons hérétiques

Boire et chanter de si grand cœur

Avec nos pauvres catholiques.

Dans cet asile du bonheur,

Le prêche est ami de la messe ;

Ils se sont dit : Vivons heureux,

Et tolérons avec sagesse

Ceux qui se moquent de nous deux.

 

Que j’aime à voir notre vicaire

Appliquer assez pesamment

Un baiser, près du sanctuaire,

A la femme du prédicant !

 

          On voit bien après cela, monseigneur, qu’il n’y a pas moyen de refuser un édit de tolérance. Nos colons, vos protégés, se mettent à vos pieds, et nous supplions tous notre bienfaiteur et notre bienfaitrice d’agréer nos profonds respects et notre reconnaissance. LE VIEIL ERMITE DE FERNEY, secrétaire.

 

 

 

 

 

à M. Tabareau.

 

30 Auguste 1770 (1).

 

 

          Mille tendres compliments à M. Tabareau et à M. Vasselier. J’ai lu le très plat mémoire fait pour Grizel par l’avocat de l’archevêque. C’est un grand malheur que ce Grizel ne soit pas aussi ridicule que je le croyais ; à peine y a-t-il le mot pour rire dans son aventure et dans son factum. Cet animal a trompé le public, qui s’attendait à une scène très réjouissante.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise du Deffand.

 

2 Septembre 1770.

 

 

          Je vous envoie, madame, par votre grand’maman, la petite drôlerie (1) en faveur de la Divinité, contre le volume du Système de la Nature, que sûrement vous n’avez pas lu ; car la matière a beau être intéressante, je vous connais, vous ne voulez pas vous ennuyer pour rien au monde, et ce terrible livre est trop plein de longueurs et de répétitions pour que vous puissiez en soutenir la lecture. Le goût, chez vous, marche avant tout. Celui qui vous amusera le plus, en quelque genre que ce soit, aura toujours raison avec vous. Si je ne vous amuse pas, du moins je ne vous ennuierai guère, car je réponds en vingt pages à deux gros volumes.

 

          Je me flatte que votre grand’maman s’est enfin réconciliée avec Catherine II. Tant de sang ottoman doit effacer celui d’un ivrogne (2) qui l’aurait mise dans un couvent ; et, après tout, ma Catau vaut beaucoup mieux que Moustapha. Avouez, madame, que dans le fond du cœur vous êtes pour elle.

 

          Des lettres de Venise disent que la canaille musulmane a tué l’ambassadeur de France et presque toute sa suite, que l’ambassadeur d’Angleterre s’est sauvé en matelot, et que Moustapha a donné une garde de mille janissaires au baile (3) de Venise. Je veux ne point croire ces étranges nouvelles ; mais si malheureusement elles étaient vraies, votre grand’maman elle-même ferait des vœux pour que Catherine fût couronnée à Constantinople.

 

          Le roi de Prusse est allé en Moravie rendre à l’empereur sa visite familière. Il y a actuellement entre les souverains chrétiens une cordialité qui ne se trouve pas entre les ministres.

 

          Voilà, madame, tout ce que sait un vieux solitaire qui voit avec horreur les jours s’accourcir et l’hiver s’approcher. Conservez votre santé, votre gaieté, votre imagination, et votre bonté pour votre très vieux et très malingre serviteur, qui vous est bien et tendrement attaché pour le reste de ses jours.

 

 

1 – L’opuscule sur DIEU. (G.A.)

2 – Pierre III. (G.A.)

3 – Titre des résidents de Venise à Constantinople. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse de Choiseul.

 

A Ferney, 2 Septembre 1770.

 

 

          Madame, puisque votre petite-fille veut voir la cause du père défendue par un homme qui passe pour n’être pas l’ami du fils, je prends la liberté de la mettre (1) sous vos auspices. Au bout du compte quoi qu’elle en dise, la chose vaut la peine d’être examinée. Je n’ai pu encore, à mon âge, m’accoutumer à l’indifférence et à la légèreté avec laquelle des personnes d’esprit traitent la seule chose essentielle ; je ne m’accoutume pas plus aux sottises énormes dans lesquelles le fanatisme plonge tous les jours des têtes qui d’ailleurs n’ont pas perdu absolument le sens commun sur les choses ordinaires de la vie : ces deux contrastes m’étonnent encore tous les jours.

 

          Je n’ai dit que ce que je pense dans ma petite réponse à l’auteur du Système de la Nature ; il a dit aussi ce qu’il pensait ; et vous jugerez entre nous deux, madame, sans me dire tout ce que vous pensez.

 

          Une chose assez plaisante, c’est que le roi de Prusse m’a envoyé de son côté une réponse (2) sur le même objet. Il a pris le parti des rois, qui ne sont pas mieux traités que Dieu dans le Système de la Nature : pour moi, je n’ai pris que le parti des hommes.

 

          Je crois avoir deviné quelle est l’épreuve à laquelle ce capitaine du régiment de Bavière veut que vous le mettiez. Je crois qu’il ressemble à celui qui disait à la reine Anne d’Autriche : Madame, dites-moi qui vous voulez que je tue, pour vous faire ma cour.

 

          Il est vrai, madame, que je ne prends point tant de liberté avec M. le duc qu’avec vous ; mais c’est que j’imagine que vous avez un peu plus de temps que lui, quoique vous n’en ayez guère, et que votre département de faire du bien vous occupe beaucoup. Je me sers de vous effrontément pour lui faire parvenir les sentiments qui m’attachent à lui pour le reste de ma vie, et je mets ma reconnaissance sous votre protection, sans vous faire le même compliment qu’on faisait à la reine-mère car vous êtes trop douce et trop bonne.

 

          Si vous daignez lire mon rogaton théologique, je vous prie d’être bien persuadée que je ne crois point du tout à la Providence particulière ; les aventures de Lisbonne et de Saint-Domingue l’ont rayée de mes papiers.

 

          On dit que les Turcs ont assassiné votre ambassadeur de France ; cela serait fort triste ; mais le grand Etre n’entre pas dans ces détails Pardonnez, madame, au vieux bavard qui est à vos pieds avec le plus profond respect.

 

 

1 – Il s’agit toujours de la brochure intitulée : Dieu. (G.A.)

2 – Examen critique du livre intitulé : Système de la Nature. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

A Ferney, 3 Septembre 1770.

 

 

          Vous ne me mandez point, mon cher philosophe militaire, où vous logez à Paris. Je hasarde ma réponse à l’hôtel d’Entragues, où il me semble que vous étiez à votre dernier voyage. Vous sentez bien qu’il ne convient guère à un vieux pédant comme moi d’oser me mêler des affaires des colonels, et que cette indiscrétion de ma part servirait plutôt à reculer vos affaires qu’à les avancer.

 

          Horace dit qu’il faut que chacun reste dans sa peau ; mais je tâcherai de trouver quelque ouverture pour me mettre à portée de parler de vous comme je le dois, et de satisfaire mon cœur. Je regarderai d’ailleurs cette démarche comme une des clauses de mon testament ; car j’approche tout doucement du moment où les philosophes et les imbéciles ont la même destinée. Je suis furieusement tombé, et il n’y a plus de société pour moi. La vôtre seule me serait précieuse, si l’état où je suis me permettait d’en jouir aussi agréablement qu’autrefois. Je n’ai plus guère que des sentiments à vous offrir ; car, pour les idées, elles s’enfuient. L’esprit s’affaiblit avec le corps ; les souffrances augmentent, et les pensées diminuent ; tout le monde en vient là ; il n’y a que du plus ou du moins. Il faut avouer que nous sommes de pauvres machines ; mais il est bon d’avoir fait sa provision de philosophie et de constance pour les temps d’affaiblissement : on arrive au tombeau d’un pas plus ferme et plus délibéré. Jouissez de la santé, sans laquelle il n’y a rien ; établissez MM. vos enfants ; vivez, et vivez pour eux et pour vous ; conservez-moi vos bontés, qui sont des soutiens de ma petite philosophie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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