SATIRE - Notes sur la lettre de M. de Voltaire à M. Hume - Partie 2
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NOTES SUR LA LETTRE DE M. DE VOLTAIRE.
A M. HUME.
- 1766 -
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- Partie 2 -
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EXTRAIT
Des lettres du sieur Jean-Jacques Rousseau, employé dans la maison de M. le comte de Montaigu, écrites, en l’an 1744, à M. Du Theil, premier commis des affaires étrangères. Ces lettres ont été conservées par hasard chez les héritiers de M. Du Theil.
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PREMIÈRE LETTRE, du 8 Août, reçue le 23.
« J’ose porter jusqu’à vous mes justes et très respectueuses plaintes contre un ambassadeur du roi et contre un maître dont j’ai mangé le pain… Il y a quatorze mois que je suis entré chez M. le comte de Montaigu en qualité de secrétaire (1) … Monsieur l’ambassadeur … voulut avant-hier me faire mon compte… Son Excellence ne pouvant m’obliger à consentir à passer ce compte comme elle le voulait, me proposa en termes très nets d’y souscrire, ou de sauter par la fenêtre, etc… Il m’ordonna, en me voyant sortir, de vider son palais, et de n’y jamais remettre les pieds… Pardonnez, monsieur, la liberté que je prends d’implorer votre protection contre les traitements que monsieur l’ambassadeur exerce sur le plus zélé et le plus fidèle domestique qu’il aura jamais… Je sais, monsieur, combien de préjugés sont contre moi ; je sais que dans les démêlés entre le maître et le domestique, c’est toujours ce dernier qui a tort… Votre générosité et mon bon droit sont mes seuls protecteurs…
J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. »
A Venise, le 8 Août 1744.
1 – Il n’était que sous-secrétaire. (G.A.)
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SECONDE LETTRE, du 15 Août, reçue le 29.
« Monsieur,
Depuis la lettre que j’eus l’honneur de vous écrire le 8 de ce mois, monsieur l’ambassadeur m’a menacé de me faire périr sous le bâton : il m’a envoyé sept ou huit fois son gentilhomme avec le solde du compte, m’intimant l’ordre de partir sur-le-champ de Venise, sous peine d’être assommé de coups de bâton matin et soir. »
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LA TROISIÈME LETTRE est du 11 Octobre 1744,
reçue au vieux Brisach le 16, et datée de Paris à l’hôtel
d’Orléans, rue du Chantre, près le Palais-Royal.
Elle dit à peu près les mêmes choses ; il ajoute seulement : « J’implore votre protection et quelques marques de votre bonté, qui me réhabilitent aux yeux du public. »
Il s’imaginait dès lors que le public avait les yeux fixés sur lui. Toutes ces lettres sont signées Rousseau avec paraphe. Il ne paraît pas qu’on trouvât ses plaintes bien fondées ; et Jean-Jacques Rousseau, pour se réhabiliter, alla chercher ailleurs des maîtres qui lui donnassent des gages. Il faut avouer que voilà un plaisant secrétaire d’ambassade ; il a reçu de grands honneurs, et sa vanité est tout à fait bien placée !
La nouvelle Julie, ou la Nouvelle Héloïse, est un roman en six volumes, imprimé à Amsterdam chez Marc-Michel Rey, en 1761.
Ce roman (1) est un recueil de lettres que s’écrivent deux amants suisses, à l’imitation des romans anglais de Pamela et de Clarice. Mais l’imitation est si mauvaise, que ce roman est aujourd’hui entièrement oublié. Il n’y a ni exposition, ni nœud, ni dénouement, ni aventures intéressantes, ni raison, ni esprit. C’est un précepteur lâche et insolent qui fait un enfant à sa pupille, et qui en reçoit de l’argent ; qui veut se battre contre un pair d’Angleterre, et qui en reçoit l’aumône. La pupille, grosse du précepteur, épouse un Russe dans un village de Suisse ; et, pour se tirer d’affaire, elle accouche d’un faux germe.
Comme les auteurs se peignent assez dans leurs ouvrages, le précepteur va fréquenter à Paris les mauvais lieux. C’est de ces honnêtes retraites qu’il insulte les dames de la cour, c’est de là qu’il écrit à sa Julie des invectives contre la musique de Rameau, et qu’il dit que ses airs ressemblent à la course d’une oie grasse, ou à une vache qui galope.
Le héros de ce roman moral prononce devant sa chaste Suissesse de ces mots trop usités par la canaille ; et sa maîtresse lui dit qu’elle a entendu quelquefois ces paroles dans la bouche des portefaix. Il peint noblement des valets qui polissonnent dans une cour. Il dit que les âmes humaines veulent être accouplées ; qu’on mesure à Paris ses maximes à la toise, que les dîners de Paris ne diffèrent pas beaucoup des tables d’auberge. Ce n’était pas sur ce ton que madame de La Fayette écrivait la Princesse de Clèves et Zaïde.
Jean-Jacques conseille ailleurs au dauphin de France, au prince de Galles, et à l’archiduc, d’épouser la fille du bourreau si elle est belle et honnête, car c’est toujours l’honnêteté qui dirige Jean-Jacques.
Ce qu’on peut remarquer dans ce roman, c’est le commencement de la préface. « Il faut, dit l’auteur, des spectacles dans les grandes villes, et des romans aux peuples corrompus. J’ai vu les mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres. »
Il est assez étrange qu’un homme qui s’avoue publiquement un corrupteur ait voulu faire ensuite le législateur ; mais il instruit les hommes comme il dirige les filles.
Ce maître fou quitta, en 1762, les lieux honnêtes où il allait penser à Julie avec des officiers suisses, pour enseigner à l’Europe les Principes du droit politique, ou Contrat social, qu’on a nommé (2) le Contrat insocial. C’est un ouvrage obscur, mal digéré, plein de contradictions et d’erreurs. Les satires mêmes, dont il fourmille, n’ont pu lui donner de la vogue. Il a beau dire que ceux qui parviennent dans les monarchies ne sont le plus souvent que de petits brouillons, de petits fripons, de petits intrigants, à qui les petits talents, qui font parvenir aux grandes places, ne servent qu’à montrer leur ineptie aussitôt qu’ils y sont parvenus…
On est si accoutumé à ces lieux communs d’impertinences, qu’ils n’ont pas fait la plus légère sensation. Ce style insolent et violent qu’on a voulu mettre à la mode, n’est plus de mode ; on commence à revenir à la raison ; on sent enfin que la sagesse et la décence doivent conduire la plume de tout écrivain qui veut mériter l’approbation des honnêtes gens. Sapere est et principium et fons.
Il est dit dans cet ouvrage qu’il n’y a qu’un pays dans l’Europe capable de législation, et que ce pays est l’île de Corse.
C’est là qu’il est dit que les Tartares subjugueront bientôt infailliblement la Russie, l’Allemagne et la France. C’est là qu’il est dit que le peuple anglais pense être libre, mais qu’il est esclave, et qu’il le mérite bien.
Il n’a pas apparemment envie d’aller chercher un asile à Venise. Il dit que la noblesse y est peuple, que c’est une multitude de Barnabotes ; que la bourgeoisie de Genève représente exactement le patriciat vénitien, et que les paysans de Genève représentent les sujets de terre ferme. Il ignore que parmi les sujets de terre ferme, à Padoue, à Vicence, à Vérone, à Brescia, à Bergame, à Crème, etc., il y a mille familles de la plus ancienne noblesse.
Ainsi, en insultant toutes les nations, toutes les conditions de la vie, tous les arts qu’il a voulu lui-même cultiver, et tous les hommes avec lesquels il a vécu, cet écrivain s’est flatté d’usurper, par une insolence cynique, une réputation qu’on n’acquiert jamais que par le génie. Il a calomnié les philosophes qui l’avaient reçu, protégé et instruit ; ingrat envers ses maîtres, envers ses amis, envers ses bienfaiteurs, recevant l’aumône d’un bourgeois inconnu, parce qu’il croit qu’on n’en saura rien, et la refusant de la main d’un prince, parce qu’il croit qu’on le saura : il s’est imaginé que ses bizarreries lui feraient un nom.
Il appelle M. Tronchin (3) jongleur, dans sa lettre à M. Hume, tandis que lui-même pousse le charlatanisme jusqu’à s’habiller à l’orientale à Paris et en Angleterre, pour attirer sur lui les regards de la populace qui le dédaigne.
Il parle de mœurs et de décence, et de la sainte vertu. Cela s’accorde mal avec les suites (4) des récréations philosophiques qu’il prenait dans ces lieux honnêtes où il oubliait la Suissesse russe, madame de Volmar. Celui qu’il traite de jongleur lui a fourni le chirurgien dont la main, tout habile qu’elle est, n’a pas plus guéri son corps par ses opérations gratuites, que les remontrances de ses amis n’ont pu guérir son cœur.
Il a mis le trouble dans sa patrie avant d’en sortir, comme un incendiaire qui s’enfuit après avoir allumé la mèche. Celui-là, certes, a eu raison, qui a dit que Jean-Jacques descendait en droite ligne du barbet de Diogène accouplé avec une des couleuvres de la Discorde.
On n’aurait pas reproché à d’autres sans doute ces opprobres ou connus ou secrets, dont on est forcé de montrer ici la turpitude. Il y a des faiblesses et des humiliations qu’on doit laisser dans les ténèbres, quand les affligés rentent dans une obscurité modeste, quand ils ne lèvent point une tête audacieuse, quand ils ne distillent point le fiel et l’outrage. Mais c’est ici un procès personnel qui exclut tous les égards ; et puisqu’il est permis à un Diogène subalterne et manqué, d’appeler jongleur le premier médecin de monseigneur le duc d’Orléans, un médecin qui a été son ami, qui l’a visité, traité, qui a été au rang de ses bienfaiteurs, il est permis à un ami de M. Tronchin de faire voir ce que c’est que le personnage qui ose l’insulter. On peut, sur le fumier où il est couché, et où il grince les dents contre le genre humain, lui jeter du pain s’il en a besoin ; mais il a fallu le faire connaître, et mettre ceux qui peuvent le nourrir à l’abri de ses morsures.
Finissons par faire sentir qu’un charlatan qui a lassé la pitié de ses bienfaiteurs et l’indignation publique n’a pu déshonorer que lui-même, et non pas la littérature.
1 – Voyez l’Aloïsia. Il y a ici beaucoup de réminiscences de la première critique. (G.A.)
2 – Voltaire lui-même. (G.A.)
3 – Le célèbre médecin. (G.A.)
4 – Voyez le Sentiment des citoyens et la Nouvelle Eloïse. (G.A.)