MÉLANGES HISTORIQUES - LE PYRRHONISME DE L'HISTOIRE - Partie 11

Publié le par loveVoltaire

MÉLANGES HISTORIQUES - LE PYRRHONISME DE L'HISTOIRE - Partie 11

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LE PYRRHONISME DE L’HISTOIRE.

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXV.

 

 

Bévue sur le maréchal d’Ancre.

 

 

 

 

 

 

          Le même auteur dit que « le maréchal d’Ancre et sa femme furent écrasés pour ainsi dire par la foudre. » L’un ne fut à la vérité écrasés qu’à coups de pistolet, et d’autre fut brûlée en qualité de sorcière. Un assassinat et un arrêt de mort rendu contre une maréchale de France, dame d’atour de la reine, réputée magicienne, ne font honneur ni à la chevalerie ni à la jurisprudence de ce temps-là. Mais je ne sais pourquoi l’historien s’exprime en ces mots : « Si ces deux misérables n’étaient pas complices de la mort du roi, ils méritaient du moins les plus rigoureux châtiments. Il est certain que, du vivant même du roi, Concini et sa femme avaient avec l’Espagne des liaisons contraires aux desseins du roi. »

 

          C’est ce qui n’est point du tout certain, cela n’est pas même vraisemblable. Ils étaient Florentins : le grand-duc de Florence avait reconnu le premier Henri IV ; il ne craignait rien tant que le pouvoir de l’Espagne en Italie ; Concini et sa femme n’avaient point de crédit du temps de Henri IV. S’ils avaient ourdi quelque trame avec le conseil de Madrid, ce ne pouvait être que pour la reine. C’est donc accuser  la reine d’avoir trahi son mari ; et, encore une fois, il n’est pas permis d’inventer de telles accusations sans preuve. Quoi ! un écrivain dans son grenier pourra prononcer une diffamation que les juges et les plus éclairés du royaume trembleraient d’écouter sur leur tribunal !

 

          Pourquoi appeler un maréchal de France et sa femme, dame d’atour de la reine, ces deux misérables ? Le maréchal d’Ancre, qui avait levé une armée à ses frais contre les rebelles, mérite-t-il une épithète qui n’est convenable qu’à Ravaillac, à Cartouche, aux voleurs publics, aux calomniateurs publics ?

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXVI.

 

 

Réflexion.

 

 

 

 

          Il n’est que trop vrai qu’il suffit d’un fanatique pour commettre un parricide sans aucun complot. Damiens n’en avait point. Il a répété quatre fois dans son interrogatoire qu’il n’a commis son crime que par principe de religion. Je puis dire qu’ayant été autrefois à portée de connaître les convulsionnaires, j’en ai vu plus de vingt capables d’une pareille horreur (1), tant leur démence était atroce ! La religion mal entendue est une fièvre que la moindre occasion fait tourner en rage.

 

          Le propre du fanatisme est d’échauffer les têtes. Quand le feu qui fait bouillir les cervelles superstitieuses a fait tomber quelques flammèches dans une âme insensée et atroce ; quand un ignorant furieux croit imiter saintement Phinée, Aod, Judith, et leurs semblables, cet ignorant a plus de complices qu’il ne pense. Bien des gens l’ont excité au parricide sans le savoir. Quelques personnes profèrent des paroles indiscrètes et violentes ; un domestique les répète il les amplifie, il les enfuneste encore (2), comme disent les Italiens ; un Châtel, un Ravaillac, un Damiens les recueillent : ceux qui les ont prononcées ne se doutent pas du mal qu’ils ont fait ; ils sont complices involontaires ; mais il n’y a eu ni complot, ni instigation. En un mot, on connaît bien mal l’esprit humain, si l’on ignore que le fanatisme rend la populace capable de tout (3).

 

1 – Un entre autres dont il a été question dans le procès de Damiens. (G.A.)

2 – On trouve le mot funester au chapitre CLXXXII de l’Essai. (G.A.)

3 – Ce petit chapitre est dirigé contre les jansénistes parlementaires. (G.A.)

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXVII.

 

 

Du dauphin François.

 

 

 

 

 

          Le dauphin François, fils de François Ier, joue à la paume ; il boit beaucoup d’eau fraîche dans une transpiration abondante ; on accuse l’empereur Charles-Quint de l’avoir fait empoisonner ! Quoi ! le vainqueur aurait craint le fils du vaincu ! Quoi ! il aurait fait périr à la cour de France le fils de celui dont alors il prenait deux provinces, et il aurait déshonoré toute la gloire de sa vie par un crime infâme et inutile ! Il aurait empoisonné le dauphin en laissant deux frères pour le venger ! L’accusation est absurde ; aussi je me joints à l’auteur, toujours impartial, de l’Essai sur les mœurs, pour détester cette absurdité.

 

          Mais le dauphin François avait auprès de lui un gentilhomme italien, un comte Montécuculli, qui lui avait versé l’eau fraîche dont il résulta une pleurésie. Ce comte était né sujet de Charles-Quint ; il lui avait parlé autrefois, et sur cela seul on l’arrête, on le met à la torture ; des médecins ignorants affirment que les tranchées causées par l’eau froide sont causées par l’arsenic. On fait écarteler Montécuculli, et toute la France traite d’empoisonneur le vainqueur de Soliman, le libérateur de la chrétienté, le triomphateur de Tunis, le plus grand homme de l’Europe : Quels juges condamnèrent Montécuculli ? je n’en sais rien ; ni Mézeri, ni Daniel ne le disent. Le président Hérault dit : « Le dauphin François est empoisonné par Montécuculli, son échanson, non sans soupçon contre l’empereur. »

 

          Il est clair qu’il faut au moins douter du crime de Montécuculli ; ni lui, ni Charles-Quint n’avaient aucun intérêt à la commettre. Montécuculli attendait de son maître une grande fortune, et l’empereur n’avait rien à craindre d’un jeune homme tel que François. Ce procès funeste peut donc être mis dans la foule des cruautés juridiques que l’ivresse de l’opinion, celle de la passion, et l’ignorance ont trop souvent déployées contre les hommes les plus innocents.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXVIII.

 

 

De Samblançay.

 

 

 

 

          Ne peut-on pas mettre dans la même classe le supplice de Samblançay ? Le crime qu’on lui impute est beaucoup plus raisonnable que celui de Montécuculli. Il est bien plus ordinaire de voler le roi que d’empoisonner les dauphins. Cependant aujourd’hui les historiens sensés doutent que Samblançay fût coupable. Il fut jugé par des commissaires ; c’est déjà un grand préjugé en sa faveur. La haine que lui portait le chancelier Duprat est encore un préjugé plus fort. On est réduit, lorsqu’on lit les grands procès criminels, à suspendre au moins son jugement entre les condamnés et les juges, témoin les arrêt rendus contre Jacques Cœur, contre Enguerrand de Marigny, et tant d’autres. Comment pourrait-on croire aveuglément mille anecdotes rapportées par des historiens, puisqu’on ne peut même en croire des magistrats qui ont examiné les procès pendant des années entières ? On ne peut s’empêcher de faire ici une réflexion sur François Ier. Quel était donc le caractère de ce grand homme qui fait pendre le vieillard innocent Samblançay, qu’il appelait son père ; qui fait écarteler un gentilhomme italien, parce que ses médecins sont des ignorants ; qui dépouille le connétable de Bourbon de ses biens par l’injustice la plus criante ; qui, ayant été vaincu par lui et fait prisonnier, met ses deux enfants en captivité pour aller revoir Paris ; qui jure et promet même, en parole d’honneur, de rendre la Bourgogne à Charles-Quint, son vainqueur, et qui est obligé de se déshonorer par politique ; qui accorde aux Turcs, dans Marseille, la liberté d’exercer leur religion, et qui fait brûler à petit feu, dans la place de l’Estrapade, de malheureux luthériens, tandis qu’il leur met les armes à la main en Allemagne ? Il a fondé le collège Royal : oui, mais est-on grand pour cela, et un collège répare-t-il tant d’horreurs et tant de bassesses ?

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXIX.

 

 

Des Templiers.

 

 

 

 

          Que dirons-nous du massacre ecclésiastique juridique des Templiers ? leur supplice fait frémir d’horreur. L’accusation laisse dans nos esprits plus que de l’incertitude. Je crois bien plus à quatre-vingts gentilshommes qui protestent de leur innocence devant Dieu en mourant, qu’à cinq ou six prêtres qui les condamnent.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XL.

 

 

Du pape Alexandre VI.

 

 

 

 

 

          Le cardinal Bembo, Paul Jove, Tomasi, et enfin Guichardin, semblent croire que le pape Alexandre VI mourut du poison qu’il avait préparé de concert avec son bâtard César Borgia, au cardinal Saint-Agnolo, au cardinal de Capoue, à celui de Modène, à plusieurs autres ; mais ces historiens ne l’assurent pas positivement. Tous les ennemis du saint-Siège ont accrédité cette horrible anecdote (1). Je suis comme l’auteur de l’Essai sur les mœurs, etc., je n’en crois rien, et ma grande raison, c’est qu’elle n’est point du tout vraisemblable. Le pape et son bâtard étaient sans contredit les deux plus grands scélérats parmi les puissances de l’Europe ; mais ils n’étaient pas des fous.

 

          Il est évident que l’empoisonnement d’une douzaine de cardinaux, à souper, aurait rendu le père et le fils si exécrables, que rien n’aurait pu les sauver de la fureur du peuple romain et de l’Italie entière. Un tel crime n’aurait jamais pu être caché, quand même il n’aurait pas été puni par l’Italie conjurée ; il était d’ailleurs directement contraire aux vues de César Borgia. Le pape son père était sur le bord de son tombeau  Borgia avec sa brigue pouvait faire élire une de ses créatures ; est-ce un moyen pour gagner les cardinaux que d’en empoisonner douze ?

 

          Enfin les registres de la maison d’Alexandre VI le font mourir d’une fièvre double tierce, poison assez dangereux pour une vieillard qui est dans sa soixante et treizième année.

 

 

1 – Et l’anecdote passe aujourd’hui pour certaine. Voyez une de nos notes au chapitre CXI de l’Essai. (G.A.)

 

 

 

 

 

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