MÉLANGES HISTORIQUES - LE PYRRHONISME DE L'HISTOIRE - Partie 10

Publié le par loveVoltaire

MÉLANGES HISTORIQUES - LE PYRRHONISME DE L'HISTOIRE - Partie 10

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LE PYRRHONISME DE L’HISTOIRE.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXIX.

 

 

Bévue énorme de Chiniac.

 

 

 

 

          Le prétendu Chiniac de la Bastide Duclaux a répondu que les paroles par lui citées se trouvent dans le Militaire philosophe (1), non pas précisément et mot à mot, mais dans le même sens. Ce Militaire philosophe est, dit-on, du sieur Saint-Hyacinthe (2), qui fut cornette de dragons en 1685, et employé dans la fameuse dragonnade à la révocation de l’édit de Nantes. Mais examinons les paroles dans ce Militaire :

 

    « Voici, après de mûres réflexions, le jugement que je porte de la religion chrétienne. Je la trouve absurde, extravagante, injurieuse à Dieu, pernicieuse aux hommes, facilitant et même autorisant les rapines, les séductions, l’ambition, l’intérêt de ses ministres, et la révélation des secrets des familles ; je la vois comme une source intarissable de meurtres, de crimes, et d’atrocités commises sous son nom ; elle me semble un flambeau de discorde, de haine, de vengeance, et un masque dont se couvre l’hypocrisie pour tromper plus adroitement ceux dont la crédulité lui est utile ; enfin j’y vois le bouclier de la tyrannie contre les peuples qu’elle opprime, et la verge des bons princes quand ils ne sont pas superstitieux. Avec cette idée de votre religion, outre le droit de l’abandonner, je suis dans l’obligation la plus étroite d’y renoncer et de l’avoir en horreur, de plaindre ou de mépriser ceux qui la prêchent, et de vouer à l’exécration publique ceux qui la soutiennent par leurs violences et leurs persécutions. »

 

          Ce morceau est une invective sanglante contre les abus de la religion chrétienne, telle qu’elle a été pratiquée depuis tant de siècles, mais non pas contre la personne de Jésus-Christ, qui a recommandé tout le contraire. Jésus n’a point ordonné la révélation des secrets des familles. Loin de favoriser l’ambition, il l’a anathématisée ; il a dit en termes formels : « Il n’y aura ni premier ni dernier parmi vous ; - Le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » C’est un mensonge sacrilège de dire que notre Sauveur a autorisé la rapine. Ce n’est pas assurément la prédication de Jésus ? « qui est une source intarissable de meurtres, de crimes, et d’atrocités commises sous son nom. » Il est visible qu’on a abusé de ces paroles : « Je ne suis point venu apporter la paix mais le glaive ; » de ces autres passages : « Que celui qui n’écoute pas l’Eglise soit comme un païen ou comme un douanier : - Contrains-les d’entrer. Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père, et sa mère, et sa femme, et ses enfants, et ses frères, et ses sœurs, et encore son ami, il ne peut être mon disciple ; » et enfin des paraboles dans lesquelles il est dit que le maître « fait jeter dans les ténèbres extérieures, pieds et mains liés, celui qui n’avait pas la robe nuptiale à un repas. » Ces discours, ces énigmes, sont assez expliqués par toutes les maximes évangéliques qui n’enseignent que la paix et la charité. Ce ne fut même jamais aucun de ces passages qui excita le moindre trouble. Les discordes, les guerres civiles, n’ont commencé que par des disputes sur le dogme. L’amour-propre fait naître l’esprit de parti, et l’esprit de parti fait couler le sang. Si on s’en était tenu à l’esprit de Jésus, le christianisme aurait été toujours en paix. M. de Saint-Hyacinthe a donc tort de reprocher au christianisme ce qu’on ne doit reprocher qu’à plusieurs chrétiens.

 

          La proposition du Militaire philosophe est donc aussi dure que le blasphème du prétendu Chiniac est affreux.

 

          Concluons que le pyrrhonisme historique est très utile ; car si, dans cent ans, le Commentaire des libertés gallicanes et le Militaire philosophe tombent dans les mains d’un de ceux qui aiment les recherches, les anecdotes, et si ces deux livres ne sont pas réfutés dans leur temps, ne sera-t-on pas en droit de croire que dans le siècle de ces auteurs on blasphémait ouvertement Jésus-Christ ? Il est donc très important de les confondre de bonne heure, et d’empêcher Chiniac de calomnier son siècle.

 

          Il n’est pas surprenant que ce même Chiniac, ayant ainsi outragé Jésus-Christ notre Sauveur, outrage aussi son vicaire. « Je ne vois pas, dit-il, comment le pape tient le premier rang entre les princes chrétiens. » Cet homme n’a pas assisté au sacre de l’empereur, il aurait vu l’archevêque de Mayence tenir le premier rang entre les électeurs ; il n’a jamais dîné avec un évêque, il aurait vu qu’on lui donne toujours la place d’honneur : il devait savoir que par toute l’Europe on traite les gens d’église comme les femmes, avec beaucoup de déférence ; ce n’est pas à dire qu’il faille leur baiser les pieds, excepté peut-être dans un transport de passion. Mais revenons au pyrrhonisme de l’histoire.

 

 

1 – Par Naigeon (G.A.)

2 – Voyez, sur Saint-Hyacinthe, les Conseils à un Journaliste, tome IV. (G.A.)

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXX.

 

 

Anecdote historique très hasardée.

 

 

 

 

          Duhaillan (1) prétend, dans un de ses opuscules, que Charles VIII n’était pas fils de Louis XI ; c’est peut-être la raison secrète pour laquelle Louis XI négligea son éducation, et le tint toujours éloigné de lui. Charles VIII ne ressemblait à Louis XI ni par l’esprit ni par le corps. Enfin la tradition pouvait servir d’excuse à Duhaillan ; mais cette tradition était fort incertaine, comme presque toutes le sont. La dissemblance des pères et des enfants est encore moins une preuve d’illégitimité que la ressemblance n’est une preuve du contraire.

 

          Que Louis XI ait haï Charles VIII, cela ne conclut rien. Un si mauvais fils pouvait aisément être un mauvais père. Quand même douze Duhaillan m’auraient assuré que Charles VIII était né d’un autre que Louis XI, je ne devrais pas les croire aveuglément. Un lecteur sage doit, ce me semble, prononcer comme les juges, Pater est quem nuptiœ demobstrant (2).

 

 

1 – 1535 – 1610. Historiographe de France, ayant écrit avec une certaine liberté. (G.A.)

2 – Cette anecdote et les cinq articles suivants furent reproduits dans les Questions sur l’Encyclopédie. On les retrouve dans cette édition à l’article ANECDOTES du Dictionnaire philosophique. (G.A.)

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXI.

 

 

Autre anecdote plus hasardée.

 

 

 

 

 

          On a dit que la duchesse de Montpensier avait accordé ses faveurs au moine Jacques Clément, pour l’encourager à assassiner son roi. Il eût été plus habile de les promettre que de les donner : mais ce n’est pas ainsi qu’on excite un prêtre fanatique au parricide ; on lui montre le ciel et non une femme. Son prieur Bourgoin était bien plus capable de le déterminer que la plus grande beauté de la terre. Il n’avait point de lettres d’amour dans sa poche quand il tua le roi, mais bien les histoires de Judith et d’Aod, toutes déchirées, toutes grasses à force d’avoir été lues.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXI.

 

 

De Henri IV.

 

 

 

 

          Je pense entièrement comme l’auteur de l’Essai sur les mœurs, etc., sur la mort de Henri IV ; je pense que ni Jean Châtel ni Ravaillac n’eurent aucun complice ; leur crime était celui du temps ; le cri de la religion fut leur seul complice. Je ne crois point que Ravaillac ait fait le voyage de Naples, ni que le jésuite Alagona ait prédit dans Naples la mort de ce prince, comme le répète encore notre Chiniac. Les jésuites n’ont jamais été prophètes ; s’ils l’avaient été, ils auraient prédit leur destruction : mais au contraire ces pauvres gens ont toujours assuré qu’ils dureraient jusqu’à la fin des siècles. Il ne faut jamais jurer de rien.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXIII.

 

 

De l’abjuration de Henri IV.

 

 

 

 

 

          Le jésuite Daniel a beau me dire, dans sa très sèche et très fautive Histoire de France, que Henri IV, avant d’abjurer, était depuis longtemps catholique, j’en croirai plus Henri IV lui-même que le jésuite Daniel ; sa lettre à la belle Gabrielle, C’est demain que je fais le saut périlleux, prouve au moins qu’il avait encore dans le cœur autre chose que du catholicisme. Si son grand cœur avait été depuis longtemps si pénétré de la grâce efficace, il aurait peut-être dit à sa maîtresse, Ces évêques m’édifient ; mais il lui dit : Ces gens-là m’ennuient. Ces paroles sont-elles d’un bon catéchumène ?

 

          Ce n’est pas un sujet de pyrrhonisme que les lettres de ce grand homme à Corisande d’Andoui, comtesse de Grammont ; elles existent encore en original. L’auteur de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations rapporte plusieurs de ces lettres intéressantes ; en voici des morceaux curieux : « Tous ces empoisonneurs sont tous papistes. J’ai découvert un tueur pour moi. – Les prêcheurs romains prêchent tout haut qu’il n’y a plus qu’une mort à voir ; ils admonestent tout bon catholique de prendre exemple sur l’empoisonnement du prince de Condé. – Et vous êtes de cette religion ! – Si je n’étais huguenot, je me ferais turc. »

 

          Il est difficile, après tous ces témoignages de la main de Henri IV, d’être fermement persuadé qu’il fût catholique dans le cœur.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXIV.

 

 

Bévue sur Henri IV.

 

 

 

 

 

          Un autre historien moderne de Henri IV (1) accuse du meurtre de ce héros le duc de Lerme : C’est, dit-il, l’opinion la mieux établie. Il est évident que c’est l’opinion la plus mal établie. Jamais on n’en a parlé en Espagne : et il n’y eut en France que le continuateur du président de Thou (2) qui donna quelque crédit à ces soupçons vagues et ridicules. Si le duc de Lerme premier ministre employa Ravaillac, il le paya bien mal. Ce malheureux était presque sans argent quand il fut saisi. Si le duc de Lerme l’avait séduit ou fait séduire sous la promesse d’une récompense proportionnée à son attentat, assurément Ravaillac l’aurait nommé lui et ses émissaires, quand ce n’eût été que pour se venger. Il nomma bien le jésuite d’Aubigny, auquel il n’avait fait que montrer un couteau. Pourquoi aurait-il épargné le duc de Lerme ? C’est une obstination bien étrange que celle de ne pas croire Ravaillac dans son interrogatoire et dans les tortures. Faut-il insulter une grande maison espagnole sans la moindre apparence de preuves ?

 

 

Et voilà justement comme on écrit l’histoire (3).

 

 

          La nation espagnole n’a guère recours à ces crimes honteux  et les grands d’Espagne ont eu dans tous les temps une fierté généreuse qui ne leur a pas permis de s’avilir jusque-là.

 

          Si Philippe II mit à prix la tête du prince d’Orange, il eut du moins le prétexte de punir un sujet rebelle, comme le parlement de Paris mit à cinquante mille écus la tête de l’amiral Coligny, et, depuis, celle du cardinal Mazarin. Ces proscriptions publiques tenaient de l’horreur des guerres civiles ; mais comment le duc de Lerme se serait-il adressé secrètement à un misérable tel que Ravaillac ?

 

 

1 – De Bury. (G.A.)

2 – Rigault. (G.A.)

3 – Vers de Charlot. Voyez au THÉÂTRE. (G.A.)

 

 

 

 

 

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