CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 30

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 30

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à M. le marquis de Ximenès.

 

1er Septembre 1769 (1).

 

 

          Vraiment, monsieur le marquis, vous auriez rendu un grand service à trois ou quatre cent mille hommes qui soupirent après la tolérance, si vous aviez engagé M. le maréchal de Richelieu à faire jouer les Guèbres à Fontainebleau. Mais n’y a-t-il point quelque méprise ? N’a-t-on point pris les Scythes pour les Guèbres ? Le jeune auteur n’est pas à portée de se mêler de cette affaire. On m’a dit qu’il vivait dans la plus profonde retraite, loin du tripot de la comédie, et loin de tous les autres tripots. Personne ne s’est chargé de solliciter les représentations des Guèbres, personne n’en a été prié ; vous êtes le seul qui en ayez parlé à M. le maréchal de Richelieu, et c’est à vous seul qu’on en aurait l’obligation, si la chose réussissait.

 

          On m’a mandé que l’auteur y a fait quelques additions. Je suis persuadé qu’il vous enverrait sa pièce avec ses changements, et qu’il serait infiniment sensible à vos bons offices.

 

          Je ne vois pas pourquoi le premier gentilhomme de la chambre aurait besoin, à Fontainebleau, du lieutenant de police de Paris pour faire jouer une tragédie imprimée. Le roi n’est-il pas le maître chez lui, et l’empereur Gallien ne peut-il pas débiter devant lui les maximes les plus sages et les plus favorables aux hommes, sans l’approbation par écrit d’un censeur royal ?

 

          Au reste, je doute fort que le magistrat de la police prenne sur lui d’approuver ouvertement cette pièce ; il est trop circonspect, et les ennemis de la raison sont trop acharnés. Si vous pouvez l’encourager et le déterminer, vous ferez une bien belle action, et en qualité de tolérant, je vous aurai la même obligation que les premiers chrétiens avaient à ceux qui faisaient cesser les persécutions.

 

          Les derniers chapitres de l’Histoire dont vous me parlez ne peuvent pas sans doute être de la même main que les autres. Ils sont remplis de fautes grossières et de faussetés évidentes. Les noms sont estropiés, les méprises sont absurdes…. (La fin de cette lettre manque.)

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. – C’est à tort que ces éditeurs ont classé cette lettre à l’année 1767. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. ***

 

1er Septembre 1769.

 

 

          Monsieur, les nouvelles de Nervis (1) sont aussi bonnes que celles de M. Boursier. Un de nos voisins (2) ayant écrit à M. l’abbé Foucher une lettre insérée page 151 du Mercure de France (juin 1769), cet académicien répondit page 144 du second volume de juillet ; on lui écrivit page 122 du volume d’août, et l’abbé mettra sans doute dans le Mercure de septembre sa seconde réponse reçue le 26 août, et répondue le 31 du même mois  le tout au sujet du Sadder.

 

          On a aussi imprimé la prétendue Profession de foi de M. de Voltaire, dont le confesseur et le curé de ce savant ont pris acte le 15 avril devant le notaire de Ferney, qui avait donné acte le 1er dudit mois d’avril à M. de Voltaire du pardon public des Huyon, Nonnotte, etc. Cette profession de foi n’est point signée de M. de Voltaire, ni des témoins qui ont signé les actes du 31 mars et du 1er avril : ce qui en rend la vérité et l’authenticité plus que suspectes à ceux qui lisent avec réflexion.

 

          Voici la lettre qu’une religieuse de Paris (3), laquelle a été quelque temps à Gex, vient d’écrire à ce sujet à M. le curé de Ferney, avec un extrait qu’elle lui envoie de ces quatre actes. Vous aurez la bonté de me renvoyer cette lettre et de faire parvenir à ladite religieuse la réponse de M. le curé, que vous cachèterez après l’avoir lue, et vous la ferez mettre à la petite poste.

 

          M. Delean a une médaille en plomb qu’il aura l’honneur de vous remettre, ou à M. de La Haye, qui voudra bien lui porter le petit billet ci-joint, et se charger de sa réponse que vous m’enverrez avec la lettre de la religieuse au curé, et celle que m’a promis l’homme de confiance de M. le comte de Sch. (4), qui porta une bagatelle à une dame respectable dont j’attends des nouvelles avec les vôtres, à votre arrivée à Paris.

 

          Les melons seront bientôt mûrs ; on n’oubliera pas GG. Ni SS.

 

          Quand M. Waechter vous aura envoyé des médailles de cuivre, on rendra celle de plomb à M. Delean.

 

 

1 – Sirven. (G.A.)

2 – Les lettres de Voltaire à Foucher sont signées : Bigex. (G.A.)

3 – On n’a pas cette pièce. (G.A.)

4 – Schomberg. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Audra.

 

Ferney, le 4 Septembre 1769.

 

 

          Je ne conçois pas, monsieur, pourquoi cet infortuné Sirven se hâte si fort de se remettre en prison à Mazamet, puisque vous serez à la campagne jusqu’à la saint-Martin. Il faut qu’il s’abandonne entièrement à vos conseils. Je crains pour sa tête dans une prison où il sera probablement longtemps. Il m’a envoyé la consultation des médecins et chirurgiens de Montpellier. Il est clair que le rapport de ceux de Mazamet était absurde, et que l’ignorance et le fanatisme ont condamné, flétri, ruiné une famille entière, et une famille très vertueuse. J’ai eu tout le temps de la connaître ; elle demeure, depuis six ans, dans mon voisinage. La mère est morte de douleur en me venant voir ; elle a pris Dieu à témoin de son innocence à son dernier moment ; elle n’avait pas même besoin d’un tel témoin.

 

          Ce jugement est horrible, et déshonore la France dans les pays étrangers. Vous travaillez, monsieur, non seulement pour secourir l’innocence opprimée, mais pour rétablir l’honneur de la patrie.

 

          J’espère beaucoup dans l’équité et dans l’humanité de M. le procureur général. M. le prince de Beauvau lui a écrit, et prend cette affaire fort à cœur ; mais je crois qu’on n’a besoin d’aucune sollicitation dans une cause que vous défendez. Je suis même persuadé que le parlement embrassera avec zèle l’occasion de montrer à l’Europe qu’il ne peut être séduit deux fois par le fanatisme du peuple, et par de malheureuses circonstances qui peuvent tromper les hommes les plus équitables et les plus habiles. J’ai toujours été convaincu qu’il y avait dans l’affaire des Calas de quoi excuser les juges. Les Calas étaient très innocents, cela est démontré ; mais ils s’étaient contredits. Ils avaient été assez imbéciles pour vouloir sauver d’abord le prétendu honneur de Marc-Antoine leur fils, et pour dire qu’il était mort d’apoplexie, lorsqu’il était évident qu’il s’était défait lui-même. C’est une aventure abominable ; mais enfin on ne peut reprocher aux juges que d’avoir trop cru les apparences. Or il n’y a ici nulle apparence contre Sirven et sa famille. L’alibi est prouvé invinciblement ; cela seul devait arrêter le juge ignorant et barbare qui l’a condamné.

 

          On m’a mandé que le parlement avait déjà nommé d’autres juges pour revoir le procès en première instance. Si cette nouvelle est vraie, je tiens la réparation sûre ; si elle est fausse, je serai affligé. Je voudrais être en état de faire dès à présent le voyage de Toulouse. Je me flatte que les magistrats me verraient avec bonté, et qu’ils me verraient avec d’autant moins mauvais gré d’avoir pris si hautement le parti des Calas, que j’ai toujours marqué dans mes démarches le plus profond respect pour le parlement, et que je n’ai imputé l’horreur de cette catastrophe qu’au fanatisme dont le peuple était enivré. Si les hommes connaissaient le prix de la tolérance, si les lois romaines, qui sont le fond de votre jurisprudence, étaient mieux suivies, on verrait moins de ces crimes et de ces supplices qui effraient la nature. C’est le seul esprit d’intolérance qui assassina Henri III et Henri IV, votre premier président Duranti, et l’avocat général Raffis ; c’est lui qui a fait la Saint-Barthélemy ; c’est lui qui a fait expirer Calas sur la roue. Pourquoi ces abominations n’arrivent-elles qu’en France ? pourquoi tant d’assassinats religieux, et tant de lettres de cachet prodiguées par le jésuite Letellier ? Sont-ils le partage d’un peuple si renommé pour la danse et pour l’opéra-comique ?

 

          Tant que vous aurez des pénitents blancs, gris, et noirs, vous serez exposés à toutes ces horreurs. Il n’y a que la philosophie qui puisse vous en tirer ; mais la philosophie vient à pas lents, et le fanatisme parcourt la terre à pas de géant.

 

          Je me consolerai, et j’aurai quelque espérance de voir les hommes devenirs meilleurs, si vous faites rendre aux Sirven une justice complète. Je vous prie, monsieur, de ne vous point rebuter des irrégularités dans lesquelles peut tomber un homme accablé d’une infortune de sept années, capable de déranger la meilleure tête.

 

          Au reste, il doit avoir encore assez d’argent, et il n’en manquera pas. Je suis tout prêt de faire ce que veut M. d’Arquier. Je pense entièrement comme lui ; il m’a pris par mon faible, et vous augmentez beaucoup l’envie que j’ai de rendre ce petit service à la littérature. Il faudrait pour cela être sur les lieux, il faudrait passer l’hiver à Toulouse. C’est une grande entreprise pour un vieillard de soixante-quinze ans, qui aime passionnément les beaux-arts, mais qui n’a que des désirs et point de force.

 

          J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec tous les sentiments d’estime, et j’ose dire d’amitié que vous méritez, votre, etc.

 

 

P.S. – Notre ami l’abbé Morellet a donc écrasé la compagnie des Indes (1) ; mais cette compagnie a fait couper le cou à Lally, qui, à mon gré, ne le méritait pas. Il y avait quelques gens employés aux Indes qui méritaient mieux une pareille catastrophe ; c’est ainsi que va le monde. Tout ira bien dans la Jérusalem céleste.

 

 

1 – Par son Mémoire sur la situation de ladite compagnie. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

Ferney, 4 Septembre 1769 (1).

 

 

          Mon héros, je suis un imbécile ; je voulais qu’elle (2) trouvât sur sa toilette ce qui est à la gloire de son amant et de son ami. On n’a pas le temps de lire dans le pays où vous êtes, et j’avais mis le doigt sur les endroits qu’on doit lire avec plaisir.

 

          La lettre dont mon héros m’honore, du 26 auguste (que les Welches appellent barbarement août), a été croisée par celle de son vieux serviteur, qui lui demandait les Scythes très humblement et très instamment, au lieu de Mérope et après Mérope.

 

          Je vous remercie de tout mon cœur, monseigneur, de vos bontés pour la Princesse de Navarre. La musique est charmante, et, en vérité, il y a quelquefois d’assez jolies choses dans les paroles. Je n’aurais pas osé vous la demander. Vous mettez, à votre ordinaire, des grâces dans vos bienfaits. Mais il faut que mon héros ait le diable au corps d’imaginer que je parle de la musique de Pandore , sans l’avoir entendue. J’en ai entendu trois actes dans mon ermitage ; madame Denis, qui s’y connaît parfaitement, en a été très contente. M. le duc d’Aumont, qui avait pris d’autres engagements, demandait qu’une belle dame lui forçât un peu la main. Je suppose que mon ami La Borde a fait sur cela son devoir et ses diligences.

 

          Mon héros est encore possédé d’un autre diable, en croyant que je m’adresse à M. d’Argental pour les bagatelles du théâtre. J’en suis bien loin. Mais il est rempli de l’esprit divin en faisant de belles réflexions sur les vanités et sur les tracasseries de ce monde. Le grand Condé disait à Chantilly qu’ayant tâté de tout, il était lassé de tout. Vous êtes encore dans la fleur de l’âge, vous n’avez que soixante-onze ans ; quand vous en aurez soixante-seize, comme moi, vous serez bien plus grand philosophe que je ne puis l’être ; vous verrez d’un œil bien plus aguerri toutes les pauvretés de ce monde, et vous jouirez de votre belle âme en paix. A Dieu ne plaise que je mette les beaux-arts dans le rang des misères dont on doit être dégoûté ; cela serait horrible en parlant au doyen de l’Académie française.

 

          Je ne sais si une tragédie nouvelle, intitulée les Guèbres, est parvenue jusqu’à vous ; si vous vouliez vous en amuser, je vous en enverrais une édition, quoiqu’elle me soit dédiée ; vous verriez qu’on peut faire quelque chose du jeune auteur.

 

          Agréez, monseigneur, mon très tendre respect et ma vive reconnaissance.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – La du Barry. Voyez la lettre à Richelieu du 31 Juillet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la Duchesse de Choiseul.

 

Ferney, 4 septembre 1769.

 

 

          Madame Gargantua, pardon de la liberté grande ; mais comme j’ai appris que monseigneur votre époux forme une colonie dans les neiges de mon voisinage, j’ai cru devoir vous montrer à tous deux ce que notre climat, qui passe pour celui de la Sibérie sept mois de l’année, peut produire d’utile.

 

          Ce sont mes vers à soie qui m’ont donné de quoi faire ces bas ; ce sont mes mains qui ont travaillé à les fabriquer chez moi, avec le fils de Calas ; ce sont les premiers bas qu’on ait faits dans le pays.

 

          Daignez les mettre, madame, une seule fois ; montrez ensuite vos jambes à qui vous voudrez ; et si on n’avoue pas que ma soie est plus forte et plus belle que celle de Provence et d’Italie, je renonce au métier ; donnez-les ensuite à une de vos femmes, ils lui dureront un an.

 

          Il faut donc que monseigneur votre époux soit bien persuadé qu’il n’y a point de pays si disgracié de la nature qu’on ne puisse en tirer parti.

 

Je me mets à vos pieds, j’ai sur eux des desseins ;

Je les prie humblement de m’accorder la joie

De les savoir logés dans ces mailles de soie

Qu’au milieu des frimas je formai de mes mains.

Si La Fontaine a dit : Déchaussons ce que j’aime (1),

J’ose prendre un plus noble soin ;

Mais il vaudrait bien mieux (j’en juge par moi-même)

Vous contempler de près que vous chausser de loin.

 

          Vous verrez, madame Gargantua, que j’ai pris tout juste la mesure de votre soulier. Je ne suis fait pour contempler ni vos yeux ni vos pieds, mais je suis tout fier de vous présenter de la soie de mon cru. Si jamais il arrive un temps de disette, je vous enverrai, dans un cornet de papier, du blé que je sème, et vous verrez si je ne suis pas un bon agriculteur digne de votre protection.

 

          On dit que vous avez reçu parfaitement un petit médecin (2) de votre colonie  mais un laboureur est bien plus utile qu’un médecin. Je ne suis plus typographe ; je m’adonne entièrement à l’agriculture, depuis le poème des Saisons de M. de Saint-Lambert. Cependant, s’il paraît quelque chose de bien philosophique qui puisse vous amuser, je serai toujours à vos ordres.

 

          Agréez, madame, le profond respect de votre ancien colporteur, laboureur, et manufacturier. GUILLEMET.

 

 

1 – Dans la Courtisane amoureuse. (G.A.)

2 – Coste. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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