THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 7

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 7

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

LES SCYTHES.

 

 

_______________

 

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

ATHAMARE, HIRCAN.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ATHAMARE.

 

Je demeure immobile. O ciel ! ô destinée !

O passion fatale à me perdre obstinée !

Il n’est plus temps, dit-il : il a pu sans pitié

Voir son roi repentant, son maître humilié ?

Ami, quand nous percions cette horde assemblée,

J’ai vu près de l’autel une femme voilée,

Qu’on a soudain soustraite à mon œil égaré.

Quel est donc cet autel de guirlandes paré ?

Quelle était cette fête en ces lieux ordonnée ?

Pour qui brûlaient ici les flambeaux d’hyménée ?

Ciel ! quel temps je prenais ! A cet aspect d’horreur

Mes remords douloureux se changent en fureur.

Grands dieux, s’il était vrai !

 

HIRCAN.

 

Dans les lieux où vous êtes

Gardez-vous d’écouter ces fureurs indiscrètes :

Respectez, croyez-moi, les modestes foyers

D’agrestes habitants, mais de vaillants guerriers,

Qui, sans ambition, comme sans avarice,

Observateurs zélés de l’exacte justice,

Ont mis leur seule gloire en leur égalité,

De qui vos grandeurs même irritent la fierté.

N’allez point alarmer leur noble indépendance ;

Ils savent la défendre ; ils aiment la vengeance ;

Ils ne pardonnent point quand ils sont offensés.

 

ATHAMARE.

 

Tu t’abuses, ami ; je les connais assez ;

J’en ai vu dans nos camps, j’en ai vu dans nos villes,

De ces Scythes altiers, à nos ordres dociles,

Qui briguaient, en vantant leurs stériles climats,

L’honneur d’être comptés au rang de nos soldats (1).

 

HIRCAN.

 

Mais, souverains chez eux…

 

ATHAMARE.

 

Ah ! c’est trop contredire

Le dépit qui me ronge, et l’amour qui m’inspire.

Ma passion m’emporte, et ne raisonne pas.

Si j’eusse été prudent, serais-je en leurs Etats ?

Au bout de l’univers Obéide m’entraîne ;

Son esclave échappé lui rapporte sa chaîne,

Pour l’enchaîner moi-même au sort qui me poursuit,

Pour l’arracher des lieux où sa douleur me fuit,

Pour la sauver enfin de l’indigne esclavage

Qu’un malheureux vieillard impose à son jeune âge ;

Pour mourir à ses pieds d’amour et de fureur,

Si ce cœur déchiré ne peut fléchir son cœur.

 

HIRCAN.

 

Mais si vous écoutiez…

 

ATHAMARE.

 

Non… je n’écoute qu’elle.

 

HIRCAN.

 

Attendez.

 

ATHAMARE.

 

Que j’attende ! et que de la cruelle

Quelque rival indigne, à mes yeux possesseur,

Insulte mon amour, outrage mon honneur !

Que du bien qu’il m’arrache il soit en paix le maître !

Mais trop tôt, cher ami, je m’alarme peut-être ;

Son père à ce vil choix pourra-t-il la forcer ?

Entre un Scythe et son maître a-t-elle à balancer ?

Dans son cœur autrefois j’ai vu trop de noblesse

Pour croire qu’à ce point son orgueil se rabaisse.

 

HIRCAN.

 

Mais si dans ce choix même elle eût mis sa fierté ?

 

ATHAMARE.

 

De ce doute offensant je suis trop irrité.

Allons  si mes remords n’ont pu fléchir son père,

S’il méprise mes pleurs… qu’il craigne ma colère.

Je sais qu’un prince est homme, et qu’il peut s’égarer ;

Mais lorsqu’au repentir facile à se livrer,

Reconnaissant sa faute, et s’oubliant soi-même,

Il va jusqu’à blesser l’honneur du rang suprême,

Quand il répare tout, il faut se souvenir

Que s’il demande grâce, il la doit obtenir.

 

 

 

 

1 – Il s’agit ici des Suisses mercenaires au service de la France. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

 

 

SCÈNE I.

 

ATHAMARE, HIRCAN.

 

 

 

 

 

 

 

ATHAMARE.

 

Quoi ! c’était Obéide ! Ah ! j’ai tout pressenti ;

Mon cœur désespéré m’avait trop averti :

C’était elle, grands dieux !

 

HIRCAN.

 

Ses compagnes tremblantes

Rappelaient ses esprits sur ses lèvres mourantes…

 

ATHAMARE.

 

Elle était en danger ? Obéide !

 

HIRCAN.

 

Oui, seigneur ;

Et, ranimant à peine un reste de chaleur,

Dans ces cruels moments, d’une voix affaiblie,

Sa bouche a prononcé le nom de la Médie.

Un Scythe me l’a dit, un Scythe qu’autrefois

La Médie avait vu combattre sous nos lois.

Son père et son époux sont encore auprès d’elle.

 

ATHAMARE.

 

Qui ? son époux, un scythe ?

 

HIRCAN.

 

Eh quoi ! cette nouvelle

A votre oreille encor, seigneur, n’a pu voler ?

 

ATHAMARE.

 

Eh ! qui des miens, hors toi, m’ose jamais parler ?

De mes honteux secrets quel autre a pu s’instruire ?

Son époux, me dis-tu ?

 

HIRCAN.

 

Le vaillant Indatire,

Jeune, et de ces cantons l’espérance et l’honneur,

Lui jurait ici même une éternelle ardeur,

Sous ces mêmes cyprès, à cet autel champêtre,

Aux clartés des flambeaux que j’ai vus disparaître.

Vous n’étiez pas encore arrivé vers l’autel

Qu’un long tressaillement, suivi d’un froid mortel,

A fermé les beaux yeux d’Obéide oppressée.

Des filles de Scythie une foule empressée

La portait en pleurant sous ces rustiques toits,

Asile malheureux dont son père a fait choix :

Ce vieillard la suivait d’une démarche lente,

Sous le fardeau des ans affaiblie et pesante,

Quand vous avez sur vous attiré ses regards.

 

ATHAMARE.

 

Mon cœur, à ce récit, ouvert de toutes parts,

De tant d’impressions sent l’atteinte subite ;

Dans ses derniers replis un tel combat s’excite,

Que sur aucun parti je ne puis me fixer,

Et je démêle mal ce que je puis penser.

Mais d’où vient qu’en ce temple Obéide rendue

En touchant cet autel est tombée éperdue ?

Parmi tous ces pasteurs elle aura d’un coup d’œil

Reconnu des Persans le fastueux orgueil

Ma présence à ses yeux a montré tous mes crimes.

Mes amours emportés, mes feux illégitimes,

A l’affreuse indigence un père abandonné,

Par un monarque injuste à la mort condamné,

Sa fuite, son séjour en ce pays sauvage,

Cette foule de maux qui sont tous mon ouvrage,

Elle aura rassemblé ces objets de terreur :

Elle imite son père, et je lui fais horreur.

 

HIRCAN.

 

Un tel saisissement, ce trouble involontaire,

Pourraient-ils annoncer la haine et la colère ?

Les soupirs, croyez-moi, sont la voix des douleurs,

Et les yeux irrités ne versent point de pleurs.

 

ATHAMARE.

 

Ah ! lorsqu’elle m’a vu, si son âme surprise

D’une ombre de pitié s’était au moins éprise ;

Si, lisant dans mon cœur, son cœur eût éprouvé

Un tumulte secret faiblement élevé !...

Si l’on me pardonnait ! Tu me flattes peut-être ;

Ami, tu prends pitié des erreurs de ton maître.

Qu’ai-je fait ? que ferai-je ? et quel sera mon sort ?

Mon aspect en tout temps lui porta donc la mort !

Mais, dis-tu, dans le mal qui menaçait sa vie,

Sa bouche a prononcé le nom de sa patrie ?

 

HIRCAN.

 

Elle l’aime, sans doute.

 

ATHAMARE.

 

Ah ! pour me secourir

C’est une arme du moins qu’elle daigne m’offrir.

Elle aime sa patrie !... elle épouse Indatire !...

Va, l’honneur dangereux où le barbare aspire

Lui coûtera bientôt un sanglant repentir :

C’est un crime trop grand pour ne le pas punir.

 

HIRCAN.

 

Pensez-vous être encor dans les murs d’Echatane ?

Là votre voix décide, elle absout ou condamne ;

Ici vous péririez. Vous êtes dans les dieux

Que jadis arrosa le sang de vos aïeux.

 

ATHAMARE.

 

Eh bien ! j’y périrai.

 

HIRCAN.

 

Quelle fatale ivresse !

Age des passions, trop aveugle jeunesse,

Où conduis-tu les cœurs  à leurs penchants livrés !

 

ATHAMARE.

 

Qui vois-je donc paraître en ces champs abhorrés ?

 

 

(Indatire passe dans le fond du théâtre,

à la tête d’une troupe de guerriers.)

 

 

Que veut, le fer en main, cette troupe rustique ?

 

HIRCAN.

 

On m’a dit qu’en ces lieux c’est un usage antique ;

Ce sont de simples jeux par le temps consacrés,

Dans les jours de l’hymen noblement célébrés.

Tous leurs jeux sont guerriers ; la valeur les apprête :

Indatire y préside ; il s’avance à leur tête.

Tout le sexe est exclu de ces solennités ;

Et les mœurs de ce peuple ont des sévérités

Qui pourraient des Persans condamner la licence (1).

 

ATHAMARE.

 

Grands dieux ! vous me voulez conduire en sa présence !

Cette fête du moins m’apprend que vos secours

Ont dissipé l’orage élevé sur ses jours.

Oui, mes yeux la verront.

 

HIRCAN.

 

Oui, seigneur, Obéide

Marche vers la cabane où son père réside.

 

ATHAMARE.

 

C’est elle ; je la voix. Tâche de désarmer

Ce père malheureux que je n’ai pu calmer…

Des chaumes ! des roseaux ! voilà donc sa retraite !

Ah ! peut-être elle y vit tranquille et satisfaite ;

Et moi…

 

 

 

1 – Voltaire dépeint ici les tirs suisses. (G.A.)

 

 

 

Publié dans Théâtre

Commenter cet article