THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 6
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LES SCYTHES.
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SCÈNE II.
OBÉIDE, SULMA, INDATIRE.
INDATIRE.
Cet autel me rappelle en ces forêts si chères ;
Tu conduis tous mes pas ; je devance nos pères :
Je viens lire en tes yeux, entendre de ta voix
Que ton heureux époux est nommé par ton choix :
L’hymen est parmi nous le nœud que la nature
Forme entre deux amants de sa main libre et pure :
Chez les Persans, dit-on, l’intérêt odieux,
Les folles vanités, l’orgueil ambitieux,
De cent bizarres lois la contrainte importune,
Soumettent tristement l’amour à la fortune :
Ici le cœur fait tout, ici l’on vit pour soir ;
D’un mercenaire hymen on ignore la loi ;
On fait sa destinée. Une fille guerrière
De son guerrier chéri court la noble carrière,
Se plaît à partager ses travaux et son sort,
L’accompagne aux combats, et sait venger sa mort (1).
Préfères-tu nos mœurs aux mœurs de ton empire ?
La sincère Obéide aime-t-elle Indatire ?
OBÉIDE.
Je connais tes vertus, j’estime ta valeur,
Et de ton cœur ouvert la naïve candeur ;
Je te l’ai déjà dit, je l’ai dit à mon père ;
Et son choix et le mien doivent te satisfaire.
INDATIRE.
Non ; tu sembles parler un langage étranger,
Et même en m’approuvant tu viens de m’affliger.
Dans les murs d’Ecbatane est-ce ainsi qu’on s’explique ?
Obéide, est-il vrai qu’un astre tyrannique
Dans cette ville immense a pu te mettre au jour ?
Est-il vrai que tes yeux brillèrent à la cour,
Et que l’on t’éleva dans ce riche esclavage
Dont à peine en ces lieux nous concevons l’image ?
Dis-moi, chère Obéide, aurais-je le malheur
Que le ciel t’eût fait naître au sein de la grandeur ?
OBÉIDE.
Ce n’est point ton malheur, c’est le mien… Ma mémoire
Ne me retrace plus cette trompeuse gloire,
Je l’oublie à jamais.
INDATIRE.
Plus ton cœur adoré
En perd le souvenir, plus je m’en souviendrai.
Vois-tu d’un œil content cet appareil rustique,
Le monument heureux de notre culte antique,
Où nos pères bientôt recevront les serments
Dont nos cœurs et nos dieux sont les sacrés garants ?
Obéide, il n’a rien de la pompe inutile
Qui fatigue ces dieux dans ta superbe ville ;
Il n’a pour ornement que des tissus de fleurs,
Présents de la nature, images de nos cœurs.
OBÉIDE.
Va, je crois que des cieux le grand et juste maître
Préfère ce saint culte et cet autel champêtre
A nos temples fameux que l’orgueil a bâtis.
Les dieux qu’on y fait d’or y sont bien mal servis.
INDATIRE.
Sais-tu que ces Persans venus sur ces rivages
Veulent voir notre fête et nos riants bocages ?
Par la main des vertus ils nous verront unis.
OBÉIDE.
Les Persans… que dis-tu ? … Les Persans !
INDATIRE.
Tu frémis !
Quelle pâleur, ô ciel sur ton front répandue !
Des esclaves d’un roi peux-tu craindre la vue ?
OBÉIDE.
Ah ! ma chère Sulma !
SULMA.
Votre père et le sien
Viennent former ici votre éternel lien.
INDATIRE.
Nos parents, nos amis, tes compagnes fidèles,
Viennent tous consacrer nos fêtes solennelles.
OBÉIDE, à Sulma.
Allons, je l’ai voulu.
1 – Ces vers préparent le cinquième acte. (G.A.)
SCÈNE III.
OBÉIDE, SULMA, INDATIRE, SOZAME, HERMODAN.
(Des filles couronnées de fleurs, et des Scythes sans armes,
font un demi-cercle autour de l’auteur.)
HERMODAN.
Voici l’autel sacré,
L’autel de la nature à l’amour préparé,
Où je fis mes serments, où jurèrent nos pères.
(A Obéide.)
Nous n’avons point ici de plus pompeux mystères ;
Notre culte, Obéide, est simple comme nous.
SOZAME, à Obéide.
De la main de ton père accepte ton époux.
(Obéide et Indatire mettent la main sur l’autel.)
INDATIRE.
Je jure à ma patrie, à mon père, à moi-même,
A nos dieux éternels, à cet objet que j’aime,
De l’aimer encor plus quand cet heureux moment
Aura mis Obéide aux mains de son amant ;
Et toujours plus épris, et toujours plus fidèle,
De vivre, de combattre, et de mourir pour elle.
OBÉIDE.
Je me soumets, grands dieux ! à vos augustes lois ;
(Ici Athamare et des Persans paraissent.)
Je jure d’être à lui… Ciel ! qu’est-ce que je vois ?
SULMA.
Ah ! madame.
OBÉIDE.
Je me meurs ; qu’on m’emporte.
INDATIRE.
Ah ! Sozame,
Quelle terreur subite a donc frappé son âme ?
Compagnes d’Obéide, allons à son secours.
(Les femmes scythes sortent avec Indatire.)
SCÈNE IV.
SOZAME, HERMODAN, ATHAMARE, HIRCAN, SCYTHES.
ATHAMARE. (1)
Scythes, demeurez tous…
SOZAME.
Voici donc de mes jours
Le jour le plus étrange et le plus effroyable !
ATHAMARE.
Me reconnais-tu bien ?
SOZAME.
Quel sort impitoyable
T’a conduit dans ces lieux de retraite et de paix ?
Tu dois être content des maux que tu m’as faits.
Ton indigne monarque avait proscrit ma tête ;
Viens-tu la demander ? malheureux ! elle est prête ;
Mais tremble pour la tienne. Apprends que tu te vois
Chez un peuple équitable et redouté des rois.
Je demeure étonné de l’audace inouïe
Qui t’amène si loin pour hasarder ta vie.
ATHAMARE.
Peuple juste, écoutez ; je m’en remets à vous :
Le neveu de Cyrus vous fait juge entre nous.
HERMODAN.
Toi ! neveu de Cyrus ! et tu viens chez les Scythes ?
ATHAMARE.
L’équité m’y conduit… Vainement tu t’irrites,
Infortuné Sozame à l’aspect imprévu
Du fatal ennemi par qui tu fus perdu.
Je te persécutai ; ma fougueuse jeunesse
Offensa ton honneur, accabla ta vieillesse ;
Un roi t’a dépouillé de tes biens, de ton rang ;
Un jugement inique a poursuivi ton sang.
Scythes, ce roi n’est plus ; et la première idée
Dont après son trépas mon âme est possédée,
Est de rendre justice à cet infortuné.
Oui, Sozame, à tes pieds les dieux m’ont amené
Pour expier ma faute, hélas ! trop pardonnable :
La suite en fut terrible, inhumaine, exécrable ;
Elle accabla mon cœur : il la faut réparer :
Dans tes honneurs passés daigne à la fin rentrer :
Je partage avec toi mes trésors, ma puissance ;
Ecbatane est du moins sous mon obéissance :
C’est tout ce qui demeure aux enfants de Cyrus ;
Tout le reste a subi les lois de Darius.
Mais je suis assez grand si ton cœur me pardonne ;
Ton amitié, Sozame, ajoute à ma couronne.
Nul monarque avant moi sur le trône affermi
N’a quitté ses Etats pour chercher un ami ;
Je donne cet exemple, et ton maître te prie ;
Entends sa voix de ton roi qui vient te rappeler,
Cède aux pleurs qu’à tes yeux mes remords font couler.
HERMODAN.
Je me sens attendri d’un spectacle si rare.
SOZAME.
Tu ne me séduis point, généreux Athamare.
Si le repentir seul avait pu t’amener,
Malgré tous mes affronts je saurais pardonner.
Tu sais quel est mon cœur, il n’est point inflexible ;
Mais je lis dans le tien ; je le connais sensible ;
Je vois trop les chagrins dont il est désolé ;
Et ce n’est pas pour moi que tes pleurs ont coulé.
Il n’est plus temps ; adieu. Les champs de la Scythie
Me verront achever ma languissante vie.
Instruit bien chèrement, trop fier et trop blessé,
Pour vivre dans ta cour où tu m’as offensé,
Je mourrai libre ici… Je me tais ; rends-moi grâce
De ne pas révéler ta dangereuse audace.
Ami, courons chercher et ma fille et ton fils.
HERMODAN.
Viens, redoublons les nœuds qui nous ont tous unis.
1 – Imaginez un marquis français. (G.A.)