THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 11
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LES SCYTHES.
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SCÈNE III.
INDATIRE, HERMODAN, SOZAME, UN SCYTHE.
HERMODAN, à Indatire, qui est près de sortir.
Te remettra, mon fils, ton épouse fidèle.
Viens, le festin t’attend.
INDATIRE.
Bientôt je vous suivrai :
Allez… O cher objet ! je te mériterai.
(Il sort.)
SCÈNE IV.
HERMODAN, SOZAME, UN SCYTHE.
SOZAME.
Pourquoi ne pas nous suivre ? Il diffère…
HERMODAN.
Ah ! Sozame,
Cher ami, dans quel trouble il a jeté mon âme !
As-tu vu sur son front des signes de fureur ?
SOZAME.
Quel en serait l’objet ?
HERMODAN.
Peut-être que mon cœur
Conçoit d’un vain danger la crainte imaginaire ;
Mais son trouble était grand. Sozame, je suis père :
Si mes yeux par les ans ne sont point affaiblis,
J’ai cru voir ce Persan qui menaçait mon fils.
SOZAME.
Tu me fais frissonner… avançons ; Athamare
Est capable de tout.
HERMODAN.
La faiblesse s’empare
De mes esprits glacés, et mes sens éperdus
Trahissent mon courage, et ne me servent plus…
(Il s’assied en tremblant sur le banc de gazon.)
SOZAME.
Mon fils ne revient point… j’entends un bruit horrible.
(Au Scythe qui est auprès de lui.)
Je succombe… Va cours, en ce moment terrible,
Cours, assemble au drapeau nos braves combattants.
LE SCYTHE.
Rassure-toi, j’y vole ; ils sont prêts en tout temps.
SOZAME, à Hermodan.
Ranime ta vertu, dissipe tes alarmes.
HERMODAN, se relevant à peine.
Oui, j’ai pu me tromper ; oui, je renais (2).
1 – Voltaire flétrit ici les hauts seigneurs de Berne, qui faisaient commerce d’hommes avec la France. (G.A.)
2 – « La scène des deux vieillards au IVe acte, écrivait Voltaire, attendrit tous ceux qui n’ont point abjuré les sentiments de la simple nature. » (G.A.)
SCÈNE V.
HERMODAN, SOZAME,
ATHAMARE, l’épée à la main ;
HIRCAN, SUITE.
ATHAMARE.
Aux armes !
Aux armes, compagnons, suivez-moi, paraissez !
Où la trouver ?
HERMODAN, effrayé, en chancelant.
Barbare…
SOZAME.
Arrête.
ATHAMARE, à ses gardes.
Obéissez,
De sa retraite indigne enlevez Obéide ;
Courez, dis-je, volez ; que ma garde intrépide,
Si quelque audacieux tentait de vains efforts,
Se fasse un chemin prompt dans la foule des morts.
C’est toi qui l’as voulu, Sozame inexorable.
SOZAME.
J’ai fait ce que j’ai dû.
HERMODAN.
Va, ravisseur coupable,
Infidèle Persan, mon coeur saura venger
Le détestable affront dont tu viens nous charger.
Dans ce dessein, Sozame, il nous quittait sans doute.
ATHAMARE.
Indatire ? ton fils ?
HERMODAN.
Oui, lui-même.
ATHAMARE.
Il m’en coûte
D’affliger ta vieillesse et de percer ton cœur ;
Ton fils eût mérité de servir ma valeur.
HERMODAN.
Que dis-tu ,
ATHAMARE, à ses soldats.
Qu’on épargne à ce malheureux père
Le spectacle d’un fils mourant dans la poussière ;
Fermez-lui ce passage.
HERMODAN.
Achève tes fureurs ;
Achève… N’oses-tu ? Quoi ! tu gémis !... Je meurs.
Mon fils est mort, ami !...
(Il tombe sur le banc de gazon.)
ATHAMARE.
Toi, père d’Obéide,
Auteur de tous mes maux, dont l’âpreté rigide,
Dont le cœur inflexible à ce coup m’a forcé,
Que je chéris encor quand tu m’as offensé,
Il faut dans ce moment la conduire et me suivre.
SOZAME.
Moi ! ma fille !
ATHAMARE.
En ces lieux il t’est honteux de vivre.
(A ses soldats.)
Attends mon ordre ici. Vous, marchez avec moi.
SCÈNE VI.
SOZAME, HERMODAN.
SOZAME, se courbant vers Hermodan.
Tous mes malheurs, ami, sont retombés sur toi…
Espère en la vengeance… Il revient… Il soupire.
Hermodan !
HERMODAN, se relevant avec peine.
Mon ami, fais au moins que j’expire
Sur le corps étendu de mon fils expirant !
Que je te doive, ami, cette grâce en mourant.
S’il reste quelque force à ta main languissante,
Soutiens d’un malheureux la marche chancelante ;
Viens, lorsque de mon fils j’aurai fermé les yeux,
Dans un même sépulcre enferme-nous tous deux.
SOZAME.
Trois amis y seront ; ma douleur te le jure.
Mais déjà l’on s’avance, on venge notre injure,
Nous ne mourrons pas seuls.
HERMODAN.
Je l’espère ; j’entends
Les tambours, nos clairons, les cris des combattants :
Nos Scythes sont armés… Dieux, punissez les crimes !
Dieux, combattez pour nous, et prenez vos victimes !
Ayez pitié d’un père.
SCÈNE VII.
SOZAME, HERMODAN, OBÉIDE.
SOZAME.
O ma fille ! est-ce vous ?
HERMODAN.
Chère Obéide… hélas !
OBÉIDE.
Je tombe à vos genoux.
Dans l’horreur du combat avec peine échappée
A la pointe des dards, au tranchant de l’épée,
Aux sanguinaires mains de mes fiers ravisseurs,
Je viens de ces moments augmenter les horreurs.
(A Hermodan.)
Ton fils vient d’expirer ; j’en suis la cause unique :
De mes calamités l’artisan tyrannique
Nous a tous immolés à ses transports jaloux ;
Mon malheureux amant a tué mon époux
Sous vos yeux, sous les miens, et dans la place même
Où, pour le triste objet qu’il outrage et qu’il aime,
Pour d’indignes appas, toujours persécutés,
Des flots de sang humain coulent de tous côtés.
On s’acharne, on combat sur le corps d’Indatire ;
On se dispute encor ses membres qu’on déchire :
Les Scythes, les Persans, l’un par l’autre égorgés,
Sont vainqueurs et vaincus, et tous meurent vengés.
(A tous deux.)
Où voulez-vous aller et sans force et sans armes ?
On aurait peu d’égards à votre âge, à vos larmes.
J’ignore du combat quel sera le destin ;
Mais je mets sans trembler mon sort en votre main.
Si le Scythe sur moi veut assouvir sa rage,
Il le peut, je l’attends, je demeure en otage.
HERMODAN.
Ah ! j’ai perdu mon fils, tu me restes du moins ;
Tu me tiens lieu de tout.
SOZAME.
Ce jour veut d’autres soins :
Armons-nous, de notre âge oublions la faiblesse ;
Si les sens épuisés manquent à la vieillesse,
Le courage demeure, et c’est dans un combat
Qu’un vieillard comme moi doit tomber en soldat.
HERMODAN.
On nous apporte encore de fatales nouvelles.