THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 12

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 12

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LES SCYTHES.

 

 

_______________

 

 

 

 

 

SCÈNE VIII.

 

SOZAME, HERMODAN, OBÉIDE, UN SCYTHE.

 

 

 

 

 

 

 

LE SCYTHE.

 

Enfin nous l’emportons.

 

HERMODAN.

 

Déités immortelles,

Mon fils serait vengé ! n’est-ce point une erreur ?

 

LE SCYTHE.

 

Le ciel nous rend justice, et le Scythe est vainqueur :

Tout l’art que les Persans ont mis dans le carnage,

Le grand art de la guerre enfin cède au courage.

Nous avons manqué d’ordre, et non pas de vertu ;

Sur nos frères mourants nous avons combattu.

La moitié des Persans à la mort est livrée ;

L’autre, qui se retire, est partout entourée

Dans la sombre épaisseur de ces profonds taillis

Où bientôt sans retour ils seront assaillis.

 

HERMODAN.

 

De mon malheureux fils le meurtrier barbare

Serait-il échappé ?

 

LE SCYTHE.

 

Qui ? ce fier Athamare ?

Sur nos Scythes mourants qu’a fait tomber sa main,

Epuisé, sans secours, enveloppé soudain,

Il est couvert de sang, il est chargé de chaînes.

 

OBÉIDE.

 

Lui !

 

SOZAME.

 

Je l’avais prévu… puissances souveraines,

Princes audacieux, quel exemple pour vous !

 

HERMODAN.

 

De ce cruel enfin nous serons vengés tous ;

Nos lois, nos justes lois seront exécutées.

 

OBÉIDE.

 

Ciel !... Quelles sont ces lois ?

 

HERMODAN.

 

Les dieux les ont dictées.

 

SOZAME, à part.

 

O comble de douleur et de nouveaux ennuis !

 

OBÉIDE.

 

Mais enfin les Persans ne sont pas tous détruits ;

On verrait Ecbatane, en secourant son maître,

Du poids de sa grandeur vous accabler peut-être.

 

HERMODAN.

 

Ne crains rien… Toi, jeune homme, et vous, braves guerriers

Préparez votre autel entouré de lauriers.

 

OBÉIDE.

 

Mon père !

 

HERMODAN.

 

Il faut hâter ce juste sacrifice.

Mânes de mon cher fils, que ton ombre en jouisse !

Et toi qui fut l’objet de ses chastes amours,

Qui fus ma fille chère, et le seras toujours,

Qui de ta piété filiale et sincère

N’as jamais altéré le sacré caractère,

C’est à toi de remplir ce qu’une austère loi

Attend de mon pays, et demande de toi.

 

(Il sort.)

 

OBÉIDE.

 

Qu’a-t-il dit ? que veut-on de cette infortunée ?

Ah ! mon père, en quels lieux m’avez-vous amenée ?

 

SOZAME.

 

Pourrai-je t’expliquer ce mystère odieux ?

 

OBÉIDE.

 

Je n’ose le prévoir… je détourne les yeux.

 

SOZAME.

 

Je frémis comme toi, je ne puis m’en défendre.

 

OBÉIDE.

 

Ah ! laissez-moi mourir, seigneur, sans vous entendre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE CINQUIÈME.

 

 

 

 

 

 

SCÈNE I.

 

OBÉIDE, SOZAME, HERMODAN, TROUPE DE SCYTHES.

 

armés de javelots.

 

 

 

(On apporte un autel couvert d’un crêpe et entouré de lauriers.

Un Scythe met un glaive sur l’autel.)

 

 

 

 

 

OBÉIDE, entre Sozame et Hermodan.

 

Vous vous taisez tous deux : craignez-vous de me dire

Ce qu’à mes sens glacés votre loi doit prescrire ?

Quel est cet appareil terrible et solennel ?

 

SOZAME.

 

Ma fille… il faut parler … voici le même autel

Que le soleil naissant vit dans cette journée

Orné de fleurs par moi pour ton saint hyménée,

Et voit d’un crêpe affreux couvert à son couchant.

 

HERMODAN.

 

As-tu chéri mon fils ?

 

OBÉIDE.

 

Un vertueux penchant,

Mon amitié pour toi, mon respect pour Sozame,

Et mon devoir surtout, souverain de mon âme,

M’ont rendu cher ton fils… mon sort suivait son sort :

J’honore sa mémoire, et j’ai pleuré sa mort.

 

HERMODAN.

 

L’inviolable loi qui régit ma patrie

Veut que de son époux une femme chérie

Ait le suprême honneur de lui sacrifier,

En présence des dieux, le sang du meurtrier ;

Que l’autel de l’hymen soit l’autel des vengeances,

Que du glaive sacré qui punit les offenses

Elle arme sa main pure, et traverse le cœur,

Le cœur du criminel qui ravit son bonheur (1)

 

OBÉIDE.

 

Moi, vous venger ?... sur qui ? de quel sang ? ah ! mon père !

 

HERMODAN.

 

Le ciel t’a réservé ce sanglant ministère.

 

UN SCYTHE.

 

C’est ta gloire et la nôtre.

 

SOZAME.

 

Il me faut révérer

Les lois que vos aïeux ont voulu conserver ;

Mais le danger les suit : les Persans sont à craindre ;

Vous allumez la guerre et ne pourrez l’éteindre.

 

LE SCYTHE.

 

Ces Persans, que du moins nous croyons égaler,

Par ce terrible exemple apprendront à trembler.

 

HERMODAN.

 

Ma fille, il n’est plus temps de garder le silence ;

Le sang d’un époux crie, et ton délai l’offense.

 

OBÉIDE.

 

Je dois donc vous parler… Peuple, écoutez ma voix :

Je pourrais alléguer, sans offenser vos lois,

Que je naquis en Perse, et que ces lois sévères

Sont faites pour vous seuls, et me sont étrangères ;

Qu’Athamare est trop grand pour être un assassin ;

Et que si mon époux est tombé sous sa main,

Son rival opposa, sans aucun avantage,

Le glaive seul au glaive, et l’audace au courage ;

Que de deux combattants d’une égale valeur

L’un tue et l’autre expire avec le même honneur.

Peuple, qui connaissez le prix de la vaillance :

Commandez, mais jugez ; voyez si c’est à moi

D’immoler un guerrier qui dut être mon roi.

 

LE SCYTE.

 

Si tu n’oses frapper, si ta main trop timide

Hésite à nous donner le sang de l’homicide,

Tu connais ton devoir, nos mœurs, et notre loi ;

Tremble.

 

OBÉIDE.

 

Et si je demeure incapable d’effroi,

Si votre loi m’indigne, et si je vous refuse ?

 

HERMODAN.

 

L’hymen t’a fait ma fille, et tu n’as point d’excuse ;

Il n’en mourra pas moins, tu vivras sans honneur.

 

LE SCYTHE.

 

Du plus cruel supplice il subira l’horreur.

 

HERMODAN.

 

Mon fils attend de toi cette grande victime.

 

LE SCYTHE.

 

Crains d’oser rejeter un droit si légitime.

 

OBÉIDE, après quelques pas et un long silence.

 

Je l’accepte (2).

 

SOZAME.

 

Ah ! grands dieux !

 

LE SCYTHE.

 

Devant les immortels

En fais-tu le serment ?

 

OBÉIDE.

 

Je le jure, cruels ;

Je le jure, Hermodan. Tu demandes vengeance,

Sois-en sûr, tu l’auras… Mais que de ma présence

On ait soin de tenir le captif écarté,

Jusqu’au moment fatal par mon ordre arrêté.

Qu’on me laisse en ces lieux m’expliquer à mon père,

Et vous verrez après ce qui vous reste à faire.

 

LE SCYTHE, après avoir regardé tous ses compagnons.

 

Nous y consentons tous.

 

HERMODAN.

 

La veuve de mon fils

Se déclare soumise aux lois de mon pays ;

Et ma douleur profonde est un peu soulagée

Si par ses nobles mains cette mort est vengée.

Amis, retirons-nous.

 

OBÉIDE.

 

A ces autels sanglants

Je vous rappellerai quand il en sera temps.

 

 

1 – Les amis de Voltaire critiquaient vivement cette loi atroce qu’il avait imaginée là. Mais le philosophe déclarait que la loi qui avait permis aux calvinistes génevois de brûler Servet n’était pas moins atroce, et qu’il s’en était autorisé. (G.A.)

 

2 – « Nous croyons, écrivait Voltaire à Lekain, que ce Je l’accepte, prononcé avec un ton de désespoir et de fermeté, après un morne silence, fait l’effet le plus tragique. Nous pensons que l’étonnement, le doute, et la curiosité du spectateur, doivent suivre ce mouvement de l’actrice. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

SOZAME, OBÉIDE.

 

 

 

 

 

 

OBÉIDE.

 

Eh bien ! qu’ordonnez-vous ?

 

SOZAME.

 

Il fut un temps peut-être

Où le plaisir d’Athamare aurait conduit ta main ;

De son monarque ingrat j’aurais percé le sein ;

Il le méritait trop : ma vengeance lassée

Contre les malheureux ne peut être exercée ;

Tous mes ressentiments sont changés en regrets.

 

OBÉIDE.

 

Avez-vous bien connu mes sentiments secrets ?

Dans le fond de mon cœur avez-vous daigné lire ?

 

SOZAME.

 

Mes yeux t’ont vu pleurer sur le sang d’Indatire ;

Mais je pleure sur toi dans ce moment cruel ;

J’abhorre tes serments.

 

OBÉIDE.

 

Vous voyez cet autel,

Ce glaive dont ma main doit frapper Athamare ;

Vous savez quels tourments un refus lui prépare :

Après ce coup terrible… et qu’il me faut porter,

Parlez… sur son tombeau voulez-vous habiter ?

 

SOZAME.

 

J’y veux mourir.

 

OBÉIDE.

 

Vivez, ayez-en le courage.

Les Persans, disiez-vous, vengeront leur outrage,

Les enfants d’Ecbatane, en ces lieux détestés,

Descendront du Taurus à pas précipités :

Les grossiers habitants de ces climats horribles

Sont cruels, il est vrai, mais non pas invincibles.

A ces tigres armés voulez-vous annoncer

Qu’au fond de leur repaire on pourrait les forcer ?

 

SOZAME.

 

On en parle déjà ; les esprits les plus sages

Voudraient de leur patrie écarter ces orages.

 

OBÉIDE.

 

Achevez donc, seigneur, de les persuader :

Qu’ils méritent le sang qu’ils osent demander ;

Et tandis que ce sang de l’offrande immolée

Baignera sous vos yeux leur féroce assemblée,

Que tous nos citoyens soient mis en liberté,

Et repassent les monts sur la foi d’un traité.

 

SOZAME.

 

Je l’obtiendrai, ma fille, et j’ose t’en répondre ;

Mais ce traité sanglant ne sert qu’à nous confondre ;

De quoi t’auront servi ta prière et mes soins ?

Athamare à l’autel en périra-t-il moins ?

Les Persans ne viendront que pour venger sa cendre,

Ce sang de tant de rois que ta main va répandre,

Ce sang que j’ai haï, mais que j’ai révéré,

Qui, coupable envers nous, n’en est pas moins sacré.

 

OBÉIDE.

 

Il l’est… Mais je suis Scythe… et le fus pour vous plaire :

Le climat quelquefois change le caractère.

 

SOZAME.

 

Ma fille !

 

OBÉIDE.

 

C’est assez, seigneur, j’ai tout prévu ;

J’ai pesé mes destins, et tout est résolu.

Une invincible loi me tient sous son empire :

La victime est promise au père d’Indatire ;

Je tiendrai ma parole… Allez, il vous attend.

Qu’il me garde la sienne… il sera trop content.

 

SOZAME.

 

Tu me glaces d’horreur.

 

OBÉIDE.

 

Allez, je la partage.

Seigneur, le temps est cher, achevez votre ouvrage,

Laissez-moi m’affermir ; mais surtout obtenez

Un traité nécessaire à ces infortunés.

Vous prétendez qu’au moins ce peuple impitoyable

Sait garder une foi toujours inviolable ;

Je vous en crois… le reste est dans la main des dieux.

 

SOZAME.

 

Ils ne présagent rien qui ne soit odieux :

Tout est horrible ici. Ma faible voix encore

Tentera d’écarter ce que mon cœur abhorre ;

Mais après tant de maux mon courage est vaincu :

Quoi qu’il puisse arriver, ton père a trop vécu.

 

 

 

 

 

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