NOTES, REMARQUES, PENSÉES - Lettre de M. de Voltaire

Publié le par loveVoltaire

NOTES, REMARQUES, PENSÉES - Lettre de M. de Voltaire

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LETTRE DE M. DE VOLTAIRE.

 

 

- 1767 -

 

 

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          Parmi un grand nombre de lettres anonymes, j’en ai reçu une de Lyon, datée du 17 avril, commençant par ces mots : J’ose risquer une 95e lettre anonyme. Je l’ai envoyée au ministère, qui fait réprimer ces délits, et qui est persuadé que tout écrivain de lettres anonymes est un lâche et un coquin ; un lâche parce qu’il se cache, et un coquin parce qu’il trouble la société.

 

          Cet homme, entre autres sottises, me reproche d’avoir dit qu’un nommé La Beaumelle est huguenot (1). Je ne me souviens point de l’avoir dit, et je ne sais si on s’est servi de mon nom pour le dire. Il m’importe fort peu que l’on soi huguenot. Il est assez public que je n’ai jamais regardé ce titre comme une injure, et il n’est pas moins public que j’ai rendu des services assez importants à des personnes de cette communion. Mais ceux qui ont dit ou écrit que La Beaumelle était protestant et prédicant, ne se sont certainement pas trompés ; et l’auteur de la lettre anonyme a menti quand il a écrit le contraire.

 

          On trouve dans les registres de la compagnie des ministres de Genève, que Laurent Anglevieux (2) dit La Beaumelle, natif du Languedoc, fut reçu proposant en théologie, le 12 octobre 1745, sous le rectorat de M. Ami de La Rive. Il prêcha à l’hôpital et dans plusieurs églises pendant deux ans. Il fut précepteur du fils de M. Budé de Boissi. Il alla ensuite solliciter à Copenhague une place de professeur, et fut ensuite chassé de Copenhague.

 

          Si cet homme s’était contenté de faire de mauvais sermons, je me dispenserais de répondre à la lettre anonyme, quoiqu’elle soit la quatre-vingt-quinzième que j’ai reçue : mais La Beaumelle est le même homme qui, ayant falsifié l’histoire de Louis XIV, la fit imprimer, avec des notes, à Francfort, chez Eslinger, en 1752. Il dit dans ces notes, en parlant de Louis XIV et de Louis XV, qu’un roi qui veut le bien est un être de raison. Il ose soupçonner Louis XIV d’avoir empoisonné le marquis de Louvois ; il insulte la mémoire du maréchal de Villars, et de M. le marquis de La Vrillière, de M. le marquis de Torcy, de M. de Chamillart. Il pousse la démence jusqu’à faire entendre que le duc d’Orléans, régent, empoisonna la famille royale. Son infâme ouvrage, écrit du style d’un laquais insolent, se débita, grâce à l’excès même de cette insolence. C’est le sort passager de tous les libelles écrits contre les gouvernements et contre les citoyens ; ils inondent et ils inonderont toujours l’Europe, tant qu’il y aura des fous sans éducation, sans fortune, et sans honneur, qui, sachant barbouiller quelques phrases, feront, pour avoir du pain, ce métier aussi facile qu’infâme.

 

          Le prédicant La Beaumelle, qui osa retourner en France, ne fut puni que par quelques mois de Bicêtre (3) ; mais son châtiment étant peu connu, et son crime étant public, mon devoir est de prévenir dans toutes les occasions les suites de ce crime, et de faire connaître aux Français et aux étrangers quel est l’homme qui a falsifié ainsi l’histoire du siècle de Louis XIV, et qui a tourné en un indigne libelle un monument si justement élevé à l’honneur de ma patrie.

 

          Comme il a fait contre moi plusieurs autres libelles calomnieux, je dois demander quelle foi on doit ajouter à un homme qui, dans un autre libelle intitulé Mes pensées, a insulté les plus illustres magistrats du conseil de Berne, en les nommant par leur nom, et monseigneur le duc de Saxe-Gotha, à qui je suis très attaché depuis longtemps. J’atteste ce prince, et madame la duchesse de Saxe-Gotha, qu’il s’enfuit de leur ville capitale avec une servante, après un vol fait à la maîtresse de cette servante. Je ne relèverais pas cette turpitude criminelle, si je n’y étais forcé par la lettre insolente qu’on m’écrit. Je déclare publiquement que je garantis la vérité de tout ce que j’énonce. Voilà ma réponse à tous ces libelles écrits par les plus vils des hommes, méprisés à la fin de la canaille même pour laquelle seule ils ont été faits. Je suis indulgent, je suis tolérant, on le sait, et j’ai fait du bien à des coupables qui se sont repentis ; mais je ne pardonne jamais aux calomniateurs.

 

 

Fait au château de Ferney, 24 Avril 1767.

 

VOLTAIRE.

 

 

 

 

 

 

1 – Voyez le Supplément au Siècle de Louis XIV, tome II. (G.A.)

2 – Voltaire joue sur le nom d’Angliviel. (G.A.)

3 – Ou plutôt, à la Bastille. Voltaire le confond ici avec Desfontaines. (G.A.)

 

 

 

 

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