CRITIQUE HISTORIQUE - La Défense de mon oncle - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

CRITIQUE HISTORIQUE - La Défense de mon oncle - Partie 2

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CRITIQUE HISTORIQUE.

 

 

LA DÉFENSE DE MON ONCLE.

 

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KISRON HECBALAT DOROMFET ERNAM RABOLA ISRON

TAMON ERG BEMIN OULDEG EBORI CARAMOUFEN, etc.

 

 

 

          Il n’y a peut-être point de loi plus sage : on en abuse quelquefois chez les Turcs, comme on abuse de tout. Mais en général, on peut dire que les lois des Arabes, adoptées par les Turcs, leurs vainqueurs, sont bien aussi sensées, pour le moins, que les coutumes de nos provinces, qui sont toujours en opposition les unes avec les autres.

 

          Mon oncle faisait grand cas de la jurisprudence turque. Je m’aperçus bien, dans mon voyage à Constantinople, que nous connaissons très peu ce peuple, dont nous sommes si voisins. Nos moines ignorants n’ont cessé de le calomnier. Ils appellent toujours sa religion sensuelle ; il n’y en a point qui mortifie plus les sens. Une religion qui ordonne cinq prières par jour, l’abstinence du vin, le jeûne le plus rigoureux ; qui défend tous les jeux de hasard ; qui ordonne, sous peine de damnation, de donner deux et demi pour cent de son revenu aux pauvres, n’est certainement pas une religion voluptueuse, et ne flatte pas, comme on l’a tant dit, la cupidité et la mollesse. On s’imagine, chez nous, que chaque bacha a un sérail de sept cents femmes, de trois cents concubines, d’une centaine de jolis pages, et d’autant d’eunuques noirs. Ce sont des fables dignes de nous. Il faut jeter au feu tout ce qu’on a dit jusqu’ici sur les musulmans. Nous prétendons qu’ils sont autant de Sardanapales, parce qu’ils ne croient qu’un seul Dieu. Un savant Turc de mes amis, nommé Notmig (1), travaille à présent à l’histoire de son pays ; on la traduit à mesure : le public sera bientôt détrompé de toutes les erreurs débitées jusqu’à présent sur les fidèles croyants.

 

 

1 – M. l’abbé Mignot, conseiller au grand conseil, neveu de Voltaire. (K.) – Il a publié en 1771 une Histoire de l’empire de l’empire ottoman. (G.A.)

 

 

 

 

 

CHAPITRE IV.

 

Des Romains.

 

 

 

 

          Que M. l’abbé Bazin était chaste ! qu’il avait la pudeur en recommandation ! Il dit dans un endroit de son savant livre page 15 (vol. II) : « J’aimerais autant croire Dion Cassius, qui assure que les graves sénateurs de Rome proposèrent un décret, par lequel César, âgé de cinquante-sept ans, aurait le droit de jouir de toutes les femmes qu’il voudrait. »

 

          « Qu’y a-t-il donc de si extraordinaire dans un tel décret ? » s’écrie notre effronté censeur : il trouve cela tout simple : il présentera bientôt une pareille requête au parlement : je voudrais bien savoir quel âge il a. Tudieu ! quel homme ! Ce Salomon, possesseur de sept cents femmes et trois cents concubines, n’approchait pas de lui.

 

 

 

 

 

CHAPITRE V.

 

De la Sodomie.

 

 

 

          Mon oncle, toujours discret, toujours sage, toujours persuadé que jamais les lois n’ont pu violer les mœurs, s’exprime ainsi dans la Philosophie de l’Histoire, page 16 (vol. II) : « Je ne croirai pas davantage Sextus Empiricus, qui prétend que chez les Perses la pédérastie était ordonnée. Quelle pitié ! Comment imaginer que les hommes eussent fait une loi qui, si elle avait été exécutée, aurait détruit la race des hommes ? La pédérastie, au contraire, était expressément défendue dans le livre du Zend, le Sadder, où il est dit (porte 9) Qu’il n’y a point de plus grand péché. »

 

          Qui croirait, mon cher lecteur, que l’ennemi de ma famille ne se contente pas de vouloir que toutes les femmes couchent avec le premier venu, mais qu’il veuille encore insinuer adroitement l’amour des garçons ? « Les jésuites, dit-il, n’ont rien à démêler ici. » Hé ! mon cher enfant, mon oncle n’a point parlé des jésuites. Je sais bien qu’il était à Paris lorsque le R.P. Marsi, et le R.P. Fréron, furent chassés du collège de Louis-le-Grand pour leurs fredaines ; mais cela n’a rien de commun avec Sextus Empiricus ; cet écrivain doutait de tout ; mais personne ne doute de l’aventure de ces deux révérends pères.

 

          « Pourquoi troubler mal à propos leurs mânes ? » dis-tu dans l’apologie que tu fais du péché de Sodome. Il est vrai que frère Marsi est mort (1) ; mais frère Fréron vit encore. Il n’y a que ses ouvrages qui soient morts ; et quand on dit de lui qu’il est ivre-mort presque tous les jours, c’est par catachrèse, ou, si l’on veut, par une espèce de métonymie.

 

          Tu te complais à citer la dissertation de feu M. Jean-Matthieu Gessner, qui a pour titre : Socrates, sanctus pœderasta, Socrate le saint b…. (2). En vérité cela est intolérable ; il pourra bien t’arriver pareille aventure qu’à feu M. Deschaufour (3) ; l’abbé Desfontaines l’esquiva.

 

          C’est une chose bien remarquable dans l’histoire de l’esprit humain, que tant d’écrivains folliculaires soient sujets à caution J’en ai cherché souvent la raison ; il m’a paru que les folliculaires sont pour la plupart des crasseux chassés des collèges, qui n’ont jamais pu parvenir à être reçus dans la compagnie des dames : ces pauvres gens, pressés de leurs vilains besoins, se satisfont avec les petits garçons qui leur apportent de l’imprimerie la feuille à corriger, ou avec les petits décrotteurs du quartier ; c’est ce qui était arrivé à l’ex-jésuite Desfontaines, prédécesseur de l’ex-jésuite Fréron (4).

 

          N’es-tu pas honteux, notre ami, de rappeler toutes ces ordures dans un Supplément à la Philosophie de l’Histoire ? Quoi ! tu veux faire l’histoire de la sodomie ? « Il aura, dit-il, occasion encore d’en parler dans un autre ouvrage. » Il va chercher jusqu’à un Syrien, nommé Bardezane, qui a dit que chez les Welches tous les petits garçons faisaient cette infamie. Para de Gallois oi neoi gamountai. Fi, vilain ! oses-tu bien mêler ces turpitudes à la sage bienséance dont mon oncle s’est tant piqué ? oses-tu outrager ainsi les dames, et manquer de respect à ce point à l’auguste impératrice de Russie, à qui j’ai dédié le livre instructif et sage de feu M. l’abbé Bazin ?

 

 

1 – Voyez notre note, à l’article JÉSUITES du Dictionnaire philosophique. (G.A.)

2 – Qui le croirait, mon cher lecteur ? cela est imprimé à la page 209 du livre de M. Toxotès, intitulé Supplément à la Philosophie de l’Histoire. – Voyez, chapitre XVI, l’explication du mot Toxotès. (G.A.)

3 – Il fut brûlé. Voyez Michelet, La Régence. (G.A.)

4 –

Un ramoneur à face basanée,

Le fer en main, les yeux ceints d’un bandeau,

S’allait glissant dans une cheminée,

Quand de Sodome un antique bedeau

Vint endosser sa figure inclinée, etc.

 

 

 

 

 

CHAPITRE VI.

 

De l’inceste.

 

 

 

          Il ne suffit pas au cruel ennemi de mon oncle d’avoir nié la Providence, d’avoir pris le parti des ridicules fables d’Hérodote contre la droite raison, d’avoir falsifié Baruch et l’Alcoran, d’avoir fait l’apologie des b…. et de la sodomie ; il veut encore canoniser l’inceste. M. l’abbé Bazin a toujours été convaincu que l’inceste au premier degré, c’est-à-dire entre le père et la fille, entre la mère et le fils, n’a jamais été permis chez les nations policées. L’autorité paternelle, le respect filial, en souffriraient trop. La nature, fortifiée par une éducation honnête, se révolterait avec horreur.

 

          On pouvait épouser sa sœur chez les Juifs, j’en conviens. Lorsque Amnon, fils de David, viola sa sœur Thamar, fille de David, Thamar lui dit en propres mots : « Ne me faites pas de sottises, car je ne pourrais supporter cet opprobre, et vous passerez pour un fou ; mais demandez-moi au roi mon père en mariage, et il ne vous refusera pas. »

 

          Cette coutume est un peu contradictoire avec le Lévitique : mais les contradictoires se concilient souvent. Les Athéniens épousaient leurs sœurs de père, les Lacédémoniens leurs sœurs utérines, les Egyptiens leurs sœurs de père et de mère. Cela n’était pas permis aux Romains ; ils ne pouvaient même se marier avec leurs nièces. L’empereur Claude fut le seul qui obtint cette grâce du sénat. Chez nous autres remués de barbares, on peut épouser sa nièce avec la permission du pape, moyennant la taxe ordinaire, qui va, je crois, à quarante mille petits écus, en comptant les menus frais. J’ai toujours entendu dire qu’il n’en avait coûté que quatre-vingt mille francs à M. de Montmartel. J’en connais qui ont couché avec leurs nièces à bien meilleur marché (1). Enfin il est incontestable que le pape a, de droit divin, la puissance de dispenser de toutes les lois. Mon oncle croyait même que dans un cas pressant, sa sainteté pouvait permettre à un frère d’épouser sa sœur, surtout s’il s’agissait évidemment de l’avantage de l’Eglise ; car mon oncle était très grand serviteur du pape.

 

          A l’égard de la dispense pour épouser son père ou sa mère, il croyait le cas très embarrassant ; et il doutait, si j’ose le dire, que le droit divin du saint père pût s’étendre jusque-là. Nous n’en n’avons, ce me semble, aucun exemple dans l’histoire moderne.

 

          Ovide, à la vérité, dit dans ses belles Métamorphoses, lib. X, 331 :

 

.  .  .  .  .  .  .  Gentes tamen esse feruntur

In quibus et nato genitrix et nata parenti

Jungitur ; et pietas geminato crescit amore.

 

Ovide avait sans doute en vue les Persans babyloniens, que les Romains, leurs ennemis, accusaient de cette infamie.

 

          Le partisan des péchés de la chair, qui a écrit contre mon oncle, le défie de trouver un autre passage que celui de Catulle. Hé bien ! qu’en résulterait-il ? qu’on n’aurait trouvé qu’un accusateur contre les Perses, et que par conséquent on ne doit point les juger coupables. Mais c’est assez qu’un auteur ait donné crédit à une fausse rumeur, pour que vingt auteurs en soient les échos. Les Hongrois aujourd’hui font aux Turcs mille reproches qui ne sont pas mieux fondés.

 

          Grotius lui-même, dans son assez mauvais livre sur la religion chrétienne, va jusqu’à citer la fable du pigeon de Mahomet. On tâche toujours de rendre ses ennemis odieux et ridicules.

 

          Notre ennemi n’a pas lu sans doute un extrait du Zend-Avesta, de Zoroastre, communiqué dans Surate à Lordius, par un de ces mages qui subsistent encore. Les ignicoles ont toujours eu la permission d’avoir cinq femmes : mais il est dit expressément qu’il leur a toujours été défendu d’épouser leurs cousines. Voilà qui est positif. Tavernier, dans son livre IV (2), avoue que cette vérité lui a été confirmée par un autre mage.

 

          Pourquoi donc notre incestueux adversaire trouve-t-il mauvais que M. l’abbé Bazin ait défendu les anciens Perses ? Pourquoi dit-il qu’il était d’usage de coucher avec sa mère ? Que gagne-t-il à cela ? Veut-il introduire cet usage dans nos familles. Ah ! qu’il se contente des bonnes fortunes de Babylone.

 

 

1 – M. Beuchot dit qu’on a fait l’application de cette phrase à Voltaire et à madame Denis. « Je ne sais sur quel motif, » dit-il fort bien. (G.A.)

2 – Voyages en Turquie, en Perse et aux Indes, rédigés par Chapuzeau et La Chapelle. (G.A.)

 

 

 

 

 

CHAPITRE VII.

 

De la bestialité, et du bouc du sabbat.

 

 

 

          Il ne manquait plus au barbare ennemi de mon oncle que le péché de bestialité ; il en est enfin convaincu. M. l’abbé Bazin avait étudié à fond l’histoire de la sorcellerie depuis Jannès et Mambrès, conseillers du roi, sorciers, à la cour de Pharaon, jusqu’au révérend père Girard, accusé juridiquement d’avoir endiablé la demoiselle Cadière en soufflant sur elle. Il savait parfaitement tous les différents degrés par lesquels le sabbat et l’adoration du bouc avaient passé        . C’est bien dommage que ses manuscrits soient perdus. Il dit un mot de ses grands secrets dans sa Philosophie de l’Histoire. « Le bouc avec lequel les sorcières étaient supposées s’accoupler, vient de cet ancien commerce que les Juifs eurent avec les boucs dans le désert ; ce qui leur est reproché dans le Lévitique. »

 

          Remarquez, s’il vous plaît, la discrétion et la pudeur de mon oncle. Il ne dit pas que les sorcières s’accouplent avec un bouc ; il dit qu’elles sont supposées s’accoupler.

 

          Et là-dessus voilà mon homme qui s’échauffe comme un Calabrois pour sa chèvre et qui vous parle à tort et à travers de fornication avec des animaux, et qui vous cite Pindare et Plutarque pour vous prouver que les dames de la dynastie de Mendès couchaient publiquement avec des boucs. Voyez comme il veut justifier les Juifs par les Mendésiennes. Jusqu’à quand outragera-t-il les dames ? Ce n’est pas assez qu’il prostitue les princesses de Babylone aux muletiers, il donne des boucs pour amants aux princesses de Mendès. Je l’attends aux Parisiennes.

 

          Il est très vrai, et je l’avoue en soupirant, que le  Lévitique fait ce reproche aux dames juives qui erraient dans le désert. Je dirai pour leur justification qu’elles ne pouvaient se laver dans un pays qui manque d’eau absolument, et où l’on est encore obligé d’en faire venir à dos de chameau. Elles ne pouvaient changer d’habits, ni de souliers puisqu’elles conservèrent quarante ans leurs mêmes habits par un miracle spécial. Elles n’avaient point de chemise. Les boucs du pays purent très bien les prendre pour des chèvres à leur odeur. Cette conformité put établir quelque galanterie entre les deux espèces : mon oncle prétendait que ce cas avait été très rare dans le désert, comme il avait vérifié qu’il est assez rare en Calabre, malgré tout ce qu’on en dit. Mais enfin il lui paraissait évident que quelques dames juives étaient tombées dans ce péché. Ce que dit le Lévitique ne permet guère d’en douter. On ne leur aurait pas reproché des intrigues amoureuses dont elles n’auraient pas été coupables.

 

          « Et qu’ils n’offrent plus aux velus avec lesquels ils ont forniqué. » (Lévitique, chap. XVII.)

 

          « Les femmes ne forniqueront point avec les bêtes. » (Chapitre XIX.)

 

          « La femme qui aura servi de succube à une bête sera punie avec la bête, et leur sang retombera sur eux. » (Chapitre XX.)

 

          Cette expression remarquable, leur sang retombera sur eux, proue évidemment que les bêtes passaient alors pour avoir de l’intelligence. Non-seulement le serpent et l’ânesse avaient parlé, mais Dieu, après le déluge, avait fait un pacte, une alliance avec les bêtes. C’est pourquoi de très illustres commentateurs trouvent la punition des bêtes qui avaient subjugué des femmes très analogue à tout ce qui est dit des bêtes dans la sainte Ecriture. Elles étaient capables de bien et de mal. Quant aux velus, on croit dans tout l’Orient que ce sont des singes. Mais il est sûr que les Orientaux se sont trompés en cela car il n’y a point de singes dans l’Arabie Déserte. Ils sont trop avisés pour venir dans un pays aride où il faut faire venir de loin le manger et le boire. Par les velus, il faut absolument entendre les boucs.

 

          Il est constant que la cohabitation des sorcières avec un bouc, la coutume de le baiser au derrière, qui est passée en proverbe, la danse ronde qu’on exécute autour de lui, les petits coups de verveine dont on le frappe, et toutes les cérémonies de cette orgie, viennent des Juifs qui les tenaient des Egyptiens ; car les Juifs n’ont jamais rien inventé.

 

          Je possède un manuscrit juif qui a, je crois, plus de deux mille ans d’antiquité ; il me paraît que l’original doit être du temps du premier ou du second Ptolémée : c’est un détail de toutes les cérémonies de l’adoration du bouc ; et c’est probablement sur un exemplaire de cet ouvrage que ceux qui se sont adonnés à la magie ont composé ce qu’on appelle le Grimoire. Un grand d’Espagne m’en a offert cent louis d’or  je ne l’aurais pas donné pour deux cents. Jamais le bouc n’est appelé que le velu dans cet ouvrage. Il confondrait bien toutes les mauvaises critiques de l’ennemi de feu mon oncle.

 

          Au reste, je suis bien aise d’apprendre à la dernière postérité qu’un savant d’une grande sagacité, ayant vu dans ce chapitre que M *** est convaincu de bestialité, a mis en marge, lisez bêtise (1).

 

 

1 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article QUISQUIS. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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