CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 42

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 42

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à M. le marquis de Florian.

 

Le 24 Juillet 1767.

 

 

          Mes chers patrons d’Hornoy, je suis toujours prêt à aller trouver le duc de Wurtemberg, et je ne pars point. Mauvaise santé, travaux nécessaires, affaires qui m’ont traversé, tout s’est opposé jusqu’à présent à mon voyage.

 

          Il est vrai que madame Denis a donné de belles fêtes, mais je suis trop vieux et trop malade pour en faire les honneurs. Je crois que l’affaire des Sirven sera jugée à Compiègne à la fin du mois, et nous espérons qu’elle le sera favorablement. Ce sera une seconde tête de l’hydre du fanatisme abattue.

 

          Je profite de l’adresse que vous m’avez donnée pour vous envoyer un petit mémoire qui regarde un peu votre pays de Languedoc. Il a déjà eu son effet. M. de Gudane, commandant au pays de Foix, a menacé le sieur La Beaumelle de le mettre pour le reste de sa vie dans un cachot s’il continuait à vomir ses calomnies.

 

          Je ne sais point encore de nouvelles du procès de M. de Beaumont. Son affaire est bien épineuse, et il est triste qu’il réclame en sa faveur la sévérité des mêmes lois contre lesquelles il a paru s’élever, avec l’applaudissement du public, dans le procès des Calas et des Sirven.

 

          MM. de Chabanon et de La Harpe sont toujours à Ferney ; cela vous vaudra deux tragédies nouvelles pour votre hiver. Pour moi, je suis hors de combat, mais j’encourage les combattants.

 

          Aimez-moi toujours un peu, et soyez sûrs de ma tendre amitié.

 

 

 

 

 

à M. Ch. du C.

 

GOUVERNEUR, POUR LE ROI, D’ANDELY.

 

 

Au château de Ferney, près Genève, 24 Juillet 1767.

 

 

          L’honneur que vous m’avez fait, monsieur, de me choisir pour m’apprendre qu’il y a Andely une maison où a logé quelque temps le grand-oncle de mademoiselle Corneille, que j’ai le bonheur d’avoir chez moi, et qui est très bien marie, exigeait de moi une réponse plus prompte. Je vous prie d’excuser un vieillard malade, qui a presque perdu la vue : je n’en suis pas moins sensible à votre intention. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

 

 

 

à M. Tabareau.

 

27 Juillet 1767.

 

 

          Il a été avéré, mon cher monsieur, que c’est La Beaumelle qui me fit écrire la lettre anonyme dont je me plaignis il y a trois mois. M le comte de Saint-Florentin l’a fait avertir qu’on le remettrait dans un cul-de-basse-fosse s’il continuait ce manège. Il est bien triste pour moi que cette aventure m’ait privé du bonheur de m’approcher de vous.

 

          Voici le troisième chant de la très ridicule Guerre de Genève ; je crois qu’on m’a volé le second. Un misérable capucin, très digne, s’étant échappé de son couvent en Savoie, et s’étant réfugié chez moi, m’a volé, au bout de deux ans, des manuscrits, de l’argent et des bijoux. Son nom est Bastian ; il s’appelait chez moi Ricard. Il porte encore un habit rouge que je lui ai donné. Il est à Lyon depuis quelques jours ; c’est lui probablement qui a fait courir ce second chant. Il faut l’abandonner à la vengeance de saint François d’Assise.

 

          Savez-vous que le roi d’Espagne a mandé au roi de France que les jésuites avaient fait un complot contre la famille royale ? Voilà d’étranges gens, et la religion est une belle chose ! On m’a mandé, des frontières d’Espagne, il y a longtemps, que les jésuites n’étaient pas les seuls moines coupables. Ils ont été jusqu’à présent les seuls punis ; espérons en la justice de Dieu sur toute cette abominable racaille.

 

          Ne pourriez-vous point, monsieur, vous faire informer secrètement s’il n’y a point quelque négociant protestant à Beaujeu, où même quelque prédicant secret ? S’il y en a un à Lyon, comment s’appelle-t-il ? comment pourrais-je parvenir à avoir une liste des négociants languedochiens protestants qui sont à Lyon ? à qui pourrais-je m’adresser ?

 

          Le prétendu Pierre III (1) commence à faire du bruit dans le monde, mais il n’en fera pas longtemps ; il ressemblera aux ouvrages nouveaux. On rapporte lundi l’affaire des Sirven.

 

 

1 – Pugatschef. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Coger.

 

27 Février 1767.

 

 

          Vous êtes bien à plaindre, monsieur, de vous acharner à calomnier des citoyens et des académiciens que vous ne pouvez connaître.

 

          Vous m’imputez, dans votre critique de Bélisaire, à la gloire duquel vous travaillez, vous m’imputez, dis-je, un poème sur la Religion naturelle. Je n’ai jamais fait de poème sous ce titre. J’en ai fait un, il y a environ trente ans, sur la Loi naturelle, ce qui est très différent.

 

          Vous m’imputez un Dictionnaire philosophique, ouvrage d’une société de gens de lettres, imprimé sous ce titre, pour la sixième fois, à Amsterdam, qui est une collection de plus de vingt auteurs, et auquel je n’ai pas la plus légère part.

 

          Page 96, vous osez profaner le nom sacré du roi, en disant que sa majesté en a marqué la plus vive indignation à M. le président Hénault et à M. Capperonnier. J’ai en main la lettre de M. le président Hénault, qui m’assure que ce bruit odieux est faux. Quand à M. Capperonnier, j’atteste sa véracité sur votre imposture. Vous avez voulu outrager et perdre un vieillard de soixante et quatorze ans, qui ne fait que du bien dans sa retraite ; il ne vous reste qu’à vous repentir.

 

 

 

 

 

à M. Moreau de la Rochette.

 

Au château de Ferney, 27 Juillet 1767.

 

 

          Je vous remercie, monsieur, de toutes vos bontés (1) ; j’ai pris aussi la liberté d’adresser mes remerciements à M. le contrôleur-général.

 

          Les platanes dont vous me parlez ne réussissent pas mal dans nos cantons ; je planterais volontiers cinquante érables et cinquante platanes ; mais je ne veux pas abuser de vos offres obligeantes. Je tâcherai de préparer si bien la terre, que, malgré les fortes gelées auxquelles nous sommes exposés dès le mois de novembre, j’espère donner une bonne éducation aux enfants que vous voulez bien me confier. Je vois avec bien du plaisir combien vous êtes utile à la France, et je suis pénétré de la reconnaissance que je vous dois. C’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.

 

 

1 – Voyez la lettre au même du 1er juin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

29 Juillet 1767.

 

 

          Mon divin ange, vos Scythes de Lyon sont prêts ; j’y ai fait tout ce que j’ai pu. Je pense que les Illinois ayant voulu imiter les Scythes dans le cinquième acte, il sera bon de ne les jouer qu’une seule fois avant Fontainebleau, deux fois tout au plus.

 

          Vous avez peut-être vu la nouvelle édition du Coger, régent au collège Mazarin, contre Bélisaire. Pourquoi me fourre-t-il là ? pourquoi une si étrange calomnie ? est-il permis de prostituer ainsi le nom du roi ? Et cela s’imprime avec permission ! et on me dit : Méprisez ces sottises ; laissez-vous calomnier ; laissez-nous en rire. Quant à La Beaumelle, qui est de la clique de Fréron, les avoyers de Berne plus essentiellement outragés que moi dans les ouvrages de ce misérable viennent de s’en plaindre à M. de Choiseul. Si j’étais souverain à Berne je ne me plaindrais pas. Mon cher ange, mettez-moi aux pieds de mes deux protecteurs, et soyez le troisième.

 

 

 

 

 

à M. le comte de Wargemont.

 

A Ferney, 1er Auguste 1767 (1).

 

 

          J’ai reçu, monsieur, la lettre dont vous m’honorez du 22 Juillet, mais non pas celle que vous m’annoncez du 21 par le major de la légion. Il faut qu’elle ait été perdue avec quelques autres.

 

          Vous aviez bien raison, monsieur, le livre intitulé les Hommes n’est pas fait par un homme fin. Si celui du Soldat aux Gardes était en effet d’un soldat, il faudrait le faire aide-major ; mais je soupçonne qu’il est du chevalier de La Tour, qui l’a mis, pour se réjouir, sous le nom d’un caporal de sa compagnie. Ce caporal m’a envoyé le livre avec une belle lettre, et j’ai encore peine à le croire l’auteur.

 

          Je suis pénétré de vos bontés ; je voudrais pouvoir les mériter ; mais un pauvre anachorète ne peut vous présenter que ses regrets et son respect. Agréez, monsieur, ces sentiments de votre très humble, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

1er Auguste 1767.

 

 

          Mes associés, monsieur, vous ont envoyé ce que vous demandez, et ce qui vous était dû. Si rien ne vous est parvenu, il ne faut s’en prendre qu’à l’interruption du commerce ; car il est plus difficile, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, d’envoyer des ballots de ce pays-ci que d’en recevoir. Les bijouteries sont surtout prohibées.

 

          J’ai vu votre ami à la campagne ; il traîne une vie assez languissante. Je lui ai parlé du sieur La Beaumelle, en conformité de votre lettre du 25 de juillet ; il m’a dit que ce malheureux étant sur le point de faire réimprimer ses calomnies contre tout ce que nous avons de plus respectable, on s’était trouvé dans la nécessité de présenter l’antidote contre le poison ; que cela ne se pouvait faire décemment que par un mémoire historique, lequel n’a été adressé qu’aux personnes intéressées, aux ministres, et aux gens de lettres. S’il avait été possible que le jeune M. Lavaysse eût mis un frein à la démence horrible de son beau-frère, et si le repentir avait pu entrer dans l’âme d’un homme aussi méchant et aussi fou on aurait pris d’autres mesures.

 

          L’aventure de Sainte-Foy est très vraie, et on informe criminellement depuis un mois. L’évêque d’Agen a jeté un monitoire ; il y a beaucoup de protestants en prison. On ne sait pas un mot de tout cela à Paris.  Il y aurait cinq cents hommes de pendus en province, que Paris n’en saurait pas un seul mot ; mais le ministère en est très instruit.

 

          Vous avez dû recevoir de votre ami la copie de la lettre qu’il a écrite (1) au sieur Coger. Il m’a dit qu’il était obligé de faire la guerre toute sa vie, mais que c’était l’état du métier. Il vous est toujours bien tendrement attaché. Toute ma famille vous présente ses obéissances. Est-il vrai que mon ancien compatriote Jean-Jacques Rousseau est établi en Auvergne (2) !

 

          J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec les sentiments les plus inviolables, votre, etc. BOURSIER.

 

 

1 – Le 27 juillet. (G.A.)

2 – Non ; il était à Trye-Château, chez le prince de Conti. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

A Ferney, le 3 auguste 1767 (1).

 

 

          Madame, mon attachement pour votre altesse sérénissime, qui durera autant que ma vie, a réveillé, il est vrai, ma sensibilité à la vue d’une nouvelle édition de La Beaumelle, dans laquelle il renouvelle les insolences qu’il osa vomir, il y a plusieurs années, contre votre auguste maison. Plusieurs étrangers même s’en sont plaints à notre ministère. Il est bien surprenant qu’un tel homme ait eu la hardiesse d’écrire (2) à votre altesse sérénissime. On lui a fait parler par M. le marquis de Gudane, commandant du pays de Foix, où il est exilé ; on a supprimé son édition, et on l’a menacé, de la part du roi, de le punir très sévèrement s’il écrivait avec une pareille licence. Les autres personnes intéressées n’ont pas été aussi indulgentes que vous, madame, parce qu’elles ne sont pas comme vous au-dessus de ces outrages. Plus vous êtes grande, plus vous êtes clémente. Il résulte de la lettre qu’on a daigné écrire à cet homme en votre nom, qu’il partit de vos Etats avec une misérable servante (3) voleuse. Il appartient bien à un tel homme de parler des princes et de les juger ! Votre nom respectable est mêlé dans ses ouvrages à ceux de Louis IX et de toute la maison royale, infiniment plus outragée que votre altesse sérénissime. De tous ceux qu’il a insultés, il n’a osé écrire qu’à votre personne, tant il a compté sur la bonté de votre caractère et sur votre clémence. Pour moi, je ne puis que garder le silence et ne point profaner votre nom par une justification qui est trop au-dessous de ce nom qui m’est sacré. Cette petite affaire m’avait fait sortir de ma léthargie. Je me suis ranimé au bord de mon tombeau pour renouveler à votre altesse sérénissime les protestations de mon inviolable attachement et de mon profond respect. Le vieux Suisse V.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

2 – Le 18 Juin. C’est le conseiller Rousseau qui lui répondit le 24 juillet, au nom de la duchesse. (G.A.)

3 – Une gouvernante d’enfants, nommée Schwecker. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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