ÉCLAIRCISSEMENTS HISTORIQUES - Partie 3
Photo de PAPAPOUSS
ÉCLAIRCISSEMENTS HISTORIQUES.
XIIIe SOTTISE DE NONOTTE.
Sur Bérenger.
L’article de Bérenger est très curieux : « Il paraît que l’auteur de l’Essai sur les mœurs ne sait point le catéchisme des catholiques, mais qu’il est bien instruit de celui des calvinistes. »
On peut lui répondre que l’auteur de l’Essai est très bien instruit des deux catéchismes ; et il sait que tous deux condamnent les ignorants qui disent des injures sans esprit.
On passe tout ce que cet honnête homme dit sur l’eucharistie, parce qu’on respecte ce mystère autant qu’on méprise la calomnie. Il y a des choses si sacrées, si délicates, qu’il ne faut ni en disputer avec les fripons, ni en parler devant les fanatiques.
XIVe SOTTISE DE NONOTTE.
Sur le second concile de Nicée, et des images.
Nous ne réfuterons pas ce que dit le libelle au sujet du second concile de Nicée, du concile de Francfort, et des livres carolins : on sait assez que les livres carolins envoyés à Rome, et non condamnés, traitent le second concile de Nicée de synode arrogant et impertinent : ce sont des faits attestés par des monuments authentiques. Ce concile de Francfort rejeta non-seulement l’adoration des images, mais encore le service le plus léger, servitium ; c’est le mot dont il se sert. Ce ne sont pas ici des anecdotes, ce sont des faits authentiques.
Il est plaisant que le libelliste accuse l’historien d’être calviniste, pare que cet historien rapporte fidèlement les faits. Lui calviniste ! bon Dieu ; il n’est pas plus pour Calvin que pour Ignace.
Le culte des images est purement de discipline ecclésiastique ; il est bien certain que Jésus-Christ n’eut jamais d’images, et que les apôtres n’en avaient point. Il se peut que saint Luc ait été peintre, et qu’il ait fait le portrait de la vierge Marie ; mais il n’est point dit que ce portrait ait été adoré. Les images et les statues sont de très beaux ornements quand elles sont bien faites ; et pourvu qu’on ne leur attribue pas des vertus occultes, et une puissance ridicule, les âmes pieuses les révèrent, et les gens de goût les estiment : on peut s’en tenir là sans être calviniste : on peut même se moquer du tableau de saint Ignace qu’on a vu longtemps chez les jésuites, à Paris ; ce grand saint y est représenté montant au ciel dans un carrosse à quatre chevaux blancs : les jésuites auront de la peine à faire servir dorénavant cette peinture de tableau d’autel dans les églises de Paris (1).
1 – L’ordre venait d’être aboli. (G.A.)
XVe SOTTISE DE NONOTTE.
Sur les croisades.
Le bon sens de l’auteur du libelle se remarque dans les éloges qu’il fait de l’entreprise des croisades, et de la manière dont elles furent conduites ; mais il permettra qu’on doute que des mahométans aient voulu choisir pour leur soudan un prince chrétien (1), leur ennemi mortel et leur prisonnier, qui ne connaissait ni leurs mœurs ni leur langue.
L’auteur de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations dit (2) que Constantinople fut prise pour la première fois par les Francs, en 1204, et qu’avant ce temps aucune nation étrangère n’avait pu s’emparer de cette ville. L’auteur du libelle appelle cette vérité une erreur grossière, sous prétexte que quelques empereurs étaient rentrés en victorieux dans Constantinople après des séditions. Quel rapport, je vous prie, ces séditions peuvent-elles avoir avec la translation de l’empire grec aux Latins ?
1 – Saint Louis. (G.A.)
2 – Chap. LVII. (G.A.)
XVIe SOTTISE DE NONOTTE.
Sur les Albigeois.
L’article des Albigeois est un de ceux où l’auteur du libelle montre le plus d’ignorance, et déploie le plus de fureur. Il est certain qu’on imputa aux Albigeois des crimes qui ne sont pas même dans la nature humaine ; on ne manqua pas de les accuser de tenir des assemblées secrètes dans lesquelles les hommes et les femmes se mêlaient indifféremment, après avoir éteint les lumières. On sait que de pareilles horreurs ont été imputées aux premiers chrétiens, et à tous ceux qui ont voulu être réformateurs. On les accusa encore d’être manichéens quoiqu’ils n’eussent jamais entendu parler de Manès.
L’infortuné comte de Toulouse, Raymond VI, contre lequel on fit une croisade pour le dépouiller de son Etat, était très éloigné des erreurs de ces pauvres Albigeois : on a encore sa lettre à l’abbé et au chapitre de Cîteaux, dans laquelle il se plaint des hérétiques, et demande main-forte. C’est un grand exemple du pouvoir abusif que les moines avaient alors en France. Un souverain se croyait obligé de demander la protection d’un abbé de Cîteaux : il n’obtint que trop ce qu’il avait imprudemment demandé. Un abbé de Clervaux, devenu cardinal et légat du pape, marcha avec une armée pour secourir le comte de Toulouse, et le premier secours qu’il lui donna fut de ravager Béziers et Cahors, en 1187. Le pays fut en proie aux excommunications et au glaive à plus d’une reprise, jusqu’à l’année 1207, que le comte de Toulouse commença à se repentir d’avoir appelé dans sa province des légats qui égorgeaient et pillaient les peuples au lieu de les convertir.
Un moine de Cîteaux, nommé Pierre Castelnau, l’un des légats du pape, fut tué dans une querelle par un inconnu ; on en accusa le comte de Toulouse, sans en avoir la moindre preuve. Le siège de Rome en usa alors comme il en avait usé tant de fois avec presque tous les princes de l’Europe : il donna au premier occupant les Etats du comte de Toulouse, sur lesquels il n’avait pas plus de droit que sur la Chine ou sur le Japon. On prépara dès lors une croisade contre ce descendant de Charlemagne, pour venger la mort d’un moine.
Le pape ordonna à tous ceux qui étaient en péché mortel de se croiser, leur offrant le pardon de leurs péchés à cette seule condition, et les déclarant excommuniés si, après s’être croisés, ils n’allaient pas mettre le Languedoc à feu et à sang.
Alors le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Saint-Pol, d’Auxerre, de Genève, de Poitiers, de Forez, plus de mille seigneurs châtelains, les archevêques de Sens, de Rouen, les évêques de Clermont, de Nevers, de Bayeux, de Lisieux, de Chartres, assemblèrent, dit-on, près de deux cent mille hommes pour gagner des pardons et des dépouilles. Ces deux cent mille dévots étaient sans doute en péché mortel.
Tout cela présente l’idée du gouvernement le plus insensé, ou plutôt de la plus exécrable anarchie.
Le comte de Toulouse fut obligé de conjurer l’orage. Ce malheureux prince fut assez faible pour céder d’abord au pape sept châteaux qu’il avait en Provence. Il alla à Valence, et fut mené nu en chemise devant la porte de l’église : et là il fut battu de verges comme un vil scélérat qu’on fouette par la main du bourreau : il ajouta à cette infamie celle de se joindre lui-même aux croisés contre ses propres sujets.
On sait la suite de cette déplorable révolution ; on sait combien de villes furent mises en cendres, combien de familles expirèrent par le fer et par les flammes.
L’Histoire des Albigeois rapporte, au chapitre VI, que le clergé chantait Veni, sancte Spiritus aux portes de Carcassonne, tandis qu’on égorgeait tous les habitants du faubourg, sans distinction de sexe ni d’âge ; et il se trouve aujourd’hui un Nonotte qui ose canoniser ces abominations, et qui imprime dans Avignon que c’est ainsi qu’il fallait traiter, au nom de Dieu, les princes et les peuples. Nonotte veut qu’on mette à feu et à sang tous les Languedociens qui ne vont pas à la messe. Il est mitis corde.
Après avoir frémi de tant d’horreurs, il est peut-être assez inutile d’examiner si les comtes de Foix, de Cominges, et de Béarn qui combattirent avec le roi d’Aragon pour le comte Raymond de Toulouse contre le sanguinaire Montfort, étaient des hérétiques ; le libelliste l’assure, mais apparemment qu’il en a eu quelque révélation. Est-on donc hérétique pour prendre les armes en faveur d’un prince opprimé ? Il est vrai qu’ils furent excommuniés ; selon l’usage aussi absurde qu’horrible de ce temps-là mais qui a dit à ce Nonotte que ces seigneurs étaient des hérétiques ?
Qu’il dise tant qu’il voudra que Dieu fit un miracle en faveur du comte de Montfort ; ce n’est pas dans ce siècle-ci qu’on croira que Dieu change le cours de la nature et fait des miracles pour verser le sang humain.
XVIIe SOTTISE DE NONOTTE.
Sur les changements faits dans l’Eglise.
Le libelliste s’imagine qu’on a manqué de respect à l’Eglise catholique en rapportant les diverses formes qu’elle a prises.
Peut-on ignorer que tous les usages de l’Eglise chrétienne ont changé depuis Jésus-Christ ? La nécessité des temps, l’augmentation du troupeau, la prudence des pasteurs, ont introduit ou aboli des lois et des coutumes. Presque tous les usages des Eglises grecque et latine diffèrent. D’abord il n’y eut point de temples, et Origène dit que les chrétiens n’admettent ni temples ni autels ; plusieurs premiers chrétiens se firent circoncire ; le plus grand nombre s’abstint de la chair de porc. La consubstantialité de Dieu et de son fils ne fut établie publiquement, et ce mot consubstantiel ne fut connu qu’au premier concile de Nicée. Marie ne fut déclarée mère de Dieu qu’au concile d’Ephèse, en 431 ; et Jésus ne fut reconnu clairement pour avoir deux natures qu’au concile de Chalcédoine, en 451 ; deux volontés ne furent constatées qu’à un concile de Constantinople, en 680. L’Eglise entière fut sans images pendant près de trois siècles ; on donna pendant six cents ans l’eucharistie aux petits enfants ; presque tous les Pères des premiers siècles attendirent le règne de mille ans. Ce fut très longtemps une croyance générale que tous les enfants morts sans baptême étaient condamnés aux flammes éternelles ; saint Augustin le déclare expressément : Parvulos non regeneratos ad œternam mortem ; livre de la Persévérance, chap. XIII. Aujourd’hui l’opinion des limbes a prévalu. L’Eglise romaine n’a reconnu la procession du Saint-Esprit par le Père et le Fils que depuis Charlemagne.
Tous les Pères, tous les conciles crurent jusqu’au douzième siècle que la vierge Marie fut conçue dans le péché originel ; et à présent cette opinion n’est permise qu’aux seuls dominicains (1).
Il n’y a pas la plus légère trace de l’invocation publique des saints avant l’an 375. Il est donc clair que la sagesse de l’Eglise a proportionné la croyance, les rites, les usages, aux temps et aux lieux. Il n’y a point de sage gouvernement qui ne se soit conduit de la sorte.
L’auteur de l’Essai sur les mœurs, etc., a rapporté d’une manière impartiale les établissements introduits ou remis en vigueur par la prudence des pasteurs. Si ces pasteurs ont essuyé des schismes, si le sang a coulé pour des opinions, si le genre humain a été troublé, rendons grâces à Dieu de n’être pas nés dans ces temps horribles. Nous sommes assez heureux pour qu’il n’y ait aujourd’hui que des libelles.
1 – Aujourd’hui l’Immaculée conception est un dogme. (G.A.)