TRAITÉ DE MÉTAPHYSIQUE - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

TRAITÉ DE MÉTAPHYSIQUE - Partie 3

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

TRAITÉ DE MÉTAPHYSIQUE

 

 

_______

 

 

 

CHAPITRE II.

 

S’il y a un Dieu.

 

 

 

 

          Nous avons à examiner ce que c’est que la faculté de penser dans ces espèces d’hommes différentes ; comment lui viennent ses idées, s’il a une âme distincte du corps, si cette âme est éternelle, si elle est libre, si elle a des vertus et des vices, etc. : mais la plupart de ces idées sont une dépendance de l’existence ou de la non-existence d’un Dieu. Il faut, je crois, commencer par sonder l’abîme de ce grand principe. Dépouillons-nous ici plus que jamais de toute passion et de tout préjugé, et voyons de bonne foi ce que notre raison peut nous apprendre sur cette question : Y at-il un Dieu, n’y en a-t-il pas ?

 

          Je remarque d’abord qu’il y a des peuples qui n’ont aucune connaissance d’un Dieu créateur ; ces peuples, à la vérité, sont barbares, et en très petit nombre ; mais enfin ce sont des hommes ; et si la connaissance d’un Dieu était nécessaire à la nature humaine, les sauvages hottentots auraient une idée aussi sublime que nous d’un Etre suprême. Bien plus, il n’y a aucun enfant chez les peuples policés qui ait dans sa tête la moindre idée d’un Dieu. On la leur imprime avec peine ; ils prononcent le mot de Dieu souvent toute leur vie sans y attacher aucune notion fixe  vous voyez d’ailleurs que les idées de Dieu diffèrent autant chez les hommes que leurs religions et leurs lois ; sur quoi je ne puis m’empêcher de faire cette réflexion : Est-il possible que la connaissance d’un Dieu, notre créateur, notre conservateur, notre tout, soit moins nécessaire à l’homme qu’un nez et cinq doigts ? Tous les hommes naissent avec un nez et cinq doigts, et aucun ne naît avec la connaissance de Dieu : que cela soit déplorable ou non, telle est certainement la condition humaine.

 

          Voyons si nous acquérons avec le temps la connaissance d’un Dieu, de même que nous parvenons aux notions mathématiques et à quelques idées métaphysiques. Que pouvons-nous mieux faire, dans une recherche si importante, que de peser ce qu’on peut dire pour et contre, et de nous décider pour ce qui nous paraître plus conforme à notre raison ?

 

 

 

 

 

SOMMAIRE DES RAISONS EN FAVEUR

 

DE L’EXISTENCE DE DIEU.

 

 

 

 

 

          Il y a deux manières de parvenir à la notion d’un être qui préside à l’univers. La plus naturelle et la plus parfaite pour les capacités communes, est de considérer non-seulement l’ordre qui est dans l’univers, mais la fin à laquelle chaque chose paraît se rapporter. On a composé sur cette seule idée beaucoup de gros livres, et tous ces gros livres ensemble ne contiennent rien de plus que cet argument-ci : Quand je vois une montre dont l’aiguille marque les heures, je conclus qu’un être intelligent a arrangé les ressorts de cette machine, afin que l’aiguille marquât les heures (1). Ainsi, quand je vois les ressorts du corps humain, je conclus qu’un être intelligent a arrangé ces organes pour être reçus et nourris neuf mois dans la matrice ; que les yeux sont donnés pour voir, les mains pour prendre, etc. Mais de ce seul argument je ne peux conclure autre chose, sinon qu’il est probable qu’un être intelligent et supérieur a préparé et façonné la matière avec habileté ; mais je ne peux conclure de cela seul que cet être ait fait la matière avec rien, et qu’il soit infini en tout sens. J’ai beau chercher dans mon esprit la connexion de ces idées : « Il est probable que je suis l’ouvrage d’un être plus puissant que moi, dont cet être existe de toute éternité, donc il a créé tout, dont il est infini, etc. » Je vois seulement qu’il y a quelque chose de plus pissant que moi et rien de plus.

 

          Le second argument est plus métaphysique, moins fait pour être saisi par les esprits grossiers, et conduit à des connaissances bien plus vastes ; en voici le précis :

 

          J’existe, donc quelque chose existe. Si quelque chose existe, quelque chose a doc existé de toute éternité ; car ce qui est ou est par lui-même ou a reçu son être d’un autre. S’il est par lui-même, il est nécessairement, il a toujours été nécessairement, et c’est Dieu ; s’il a reçu son être d’un autre, et ce second d’un troisième, celui dont ce dernier a reçu son être doit nécessairement être Dieu. Car vous ne pouvez concevoir qu’un être donne l’être à un autre, s’il n’a le pouvoir de créer ; de plus, si vous dites qu’une chose reçoit, je ne dis pas la forme, mais son existence d’une autre chose, et celle-là d’une troisième, cette troisième d’une autre encore, et ainsi en remontant jusqu’à l’infini, vous dites une absurdité. Car tous ces êtres alors n’auront aucune cause de leur existence. Pris tous ensemble, ils n’ont aucune cause externe de leur existence ; pris chacun en particulier, ils n’en ont aucune interne : c’est-à-dire, pris tous ensemble, ils ne doivent leur existence à rien ; pris chacun en particulier, aucun n’existe par soi-même : donc aucun ne peut exister nécessairement.

 

          Je suis donc réduit à avouer qu’il y a un être qui existe nécessairement par lui-même de toute éternité, et qui est l’origine de tous les autres êtres. De là, il suit essentiellement que cet être est infini en durée, en immensité, en puissance ; car qui peut le borner ? Mais, me direz-vous, le monde matériel est précisément cet être que nous cherchons. Examinons de bonne foi si la chose est probable.

 

          Si ce monde matériel est existant par lui-même d’une nécessité absolue, c’est une contradiction dans les termes que de supposer que la moindre partie de cet univers puisse être autrement qu’elle est ; car si elle est en ce moment d’une nécessité absolue, ce mot seul exclut toute autre manière d’être : or, certainement cette table sur laquelle j’écris, cette plume dont je me sers, n’ont pas toujours été ce qu’elles sont ; ces pensées que je trace sur la papier n’existaient pas même il y a un moment, donc elles n’existent pas nécessairement. Or, si chaque partie n’existe pas d’une nécessité absolue, il est donc impossible que le tout existe par lui-même. Je produis du mouvement, donc le mouvement n’existait pas auparavant ; donc le mouvement n’est pas essentiel à la matière ; donc la matière le reçoit d’ailleurs ; dont il y a un Dieu qui le lui donne. De même l’intelligence n’est pas essentielle à la matière ; car un rocher ou du froment ne pensent point. De qui donc les parties de la matière qui pensent et qui sentent auront-elles reçu la sensation et la pensée ? ce ne peut être d’elles-mêmes, puisqu’elles sentent malgré elles ; ce ne peut être de la matière en général, puisque la pensée et la sensation ne sont point de l’essence de la matière ; elles ont donc reçu ces dons de la main d’un Etre suprême, intelligent, infini, et la cause originaire de tous les êtres.

 

          Voilà en peu de mots les preuves de l’existence d’un Dieu, et le précis de plusieurs volumes ; précis que chaque lecteur peut étendre à son gré.

 

          Voici avec autant de brièveté les objections qu’on peut faire à ce système.

 

 

1 – Cette comparaison de la montre revient souvent dans Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

DIFFICULTÉS SUR L’EXISTENCE DE DIEU.

 

 

 

 

 

          1°/ Si Dieu n’est pas ce monde matériel, il l’a créé (ou bien, si vous voulez, il a donné à quelque autre être le pouvoir de le créer, ce qui revient au même) ; mais en faisant ce monde, ou il l’a tiré du néant, ou il l’a tiré de son propre être divin. Il ne peut l’avoir tiré du néant qui n’est rien ; il ne peut l’avoir tiré de soi, puisque ce monde en ce cas serait essentiellement partie de l’essence divine : donc je ne puis avoir d’idée de la création, donc je ne dois point admettre la création.

 

          2°/ Dieu aurait fait ce monde ou nécessairement ou librement : s’il l’a fait par nécessité, il a dû toujours l’avoir fait ; car cette nécessité est éternelle ; donc, en ce cas, le monde serait éternel, et créé, ce qui implique contradiction. Si Dieu l’a fait librement, par pur choix, sans aucune raison antécédente, c’est encore une contradiction ; car c’est se contredire que de supposer l’Etre infiniment sage faisant tout sans aucune raison qui le détermine, et l’Etre infiniment puissant ayant passé une éternité sans faire le moindre usage de sa puissance.

 

          3°/ S’il paraît à la plupart des hommes qu’un être intelligent a imprimé le sceau de la sagesse sur toute la nature, et que chaque chose semble être faite pour une certaine fin, il est encore plus vrai aux yeux des philosophes que tout se fait dans la nature par les lois éternelles, indépendantes, et immuables des mathématiques ; la construction et la durée du corps humain sont une suite de l’équilibre des liqueurs et de la force des leviers. Plus on fait de découvertes dans la structure de l’univers, plus on le trouve arrangé, depuis les étoiles jusqu’au ciron, selon les lois mathématiques. Il est donc permis de croire que ces lois ayant opéré par leur nature, il en résulte des effets nécessaires que l’on prend pour les déterminations arbitraires d’un pouvoir intelligent. Par exemple, un cham produit de l’herbe, parce que telle est la nature de son terrain arrosé par la pluie, et non pas parce qu’il y a des chevaux qui ont besoin de foin et d’avoine : ainsi du reste.

 

          4°/ Si l’arrangement des parties de ce monde, et tout ce qui se passe parmi les êtres qui ont la vie sentante et pensante, prouvait un créateur et un maître, il prouverait encore mieux un être barbare : car si l’on admet des causes finales, on sera obligé de dire que Dieu, infiniment sage et infiniment bon, a donné la vie à toutes les créatures pour être dévorées les unes par les autres. En effet, si l’on considère tous les animaux, on verra que chaque espèce à un instinct irrésistible qui la force à détruire une autre espèce. A l’égard des misères de l’homme, il y a de quoi faire des reproches à la Divinité pendant toute notre vie. On a beau nous dire que la sagesse et la bonté de Dieu ne sont point faites comme les nôtres ; cet argument ne sera d’aucune force sur l’esprit de bien des gens, qui répondront qu’ils ne peuvent juger de la justice que par l’idée même qu’on suppose que Dieu leur en a donnée que l’on ne peut mesurer qu’avec la mesure que l’on a, et qu’il est aussi impossible que nous ne croyions pas très barbare un être qui se conduirait comme un homme barbare, qu’il est impossible que nous ne pensions pas qu’un être quelconque a six pieds quand nous l’avons mesuré avec une toise, et qu’il nous paraît avoir cette grandeur.

 

          Si on nous réplique, ajouteront-ils, que notre mesure est fautive, on nous dira une chose qui semble impliquer contradiction ; car c’est Dieu lui-même qui nous aura donné cette fausse idée : donc Dieu ne nous aura faits que pour nous tromper. Or, c’est dire qu’un être qui ne peut avoir que des perfections jette ses créatures dans l’erreur, qui est, à proprement parler, la seule imperfection ; c’est visiblement se contredire. Enfin, les matérialistes finiront par dire : Nous avons moins d’absurdités à dévorer dans le système de l’athéisme que dans celui du déisme ; car d’un côté, il faut, à la vérité, que nous concevons éternel et infini ce monde que nous voyons, mais de l’autre, il faut que nous imaginions un autre être infini et éternel, et que nous y ajoutions la création, dont nous ne pouvons avoir d’idée. Il nous est donc plus facile, concluront-ils, de ne pas croire un Dieu que de le croire.

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article