CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 33

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 33

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

à M. Lacombe.

 

A Ferney, Avril 1767.

 

 

          Si vous m’aviez pu répondre plus tôt, monsieur, je vous aurais envoyé tous les changements que j’ai faits à mesure pour mon petit théâtre de Ferney, et votre nouvelle édition des Scythes aurait été complète. Je vous les envoie à tout hasard par M. Marin.

 

          Je compte toujours sur votre amitié, et je vous prie de donner un petit honoraire de vingt-cinq louis d’or à M. Lekain, pour toutes les peines qu’il a bien voulu prendre ; car, quoique cette pièce ne fût point faite du tout pour Paris, il faut pourtant témoigner sa reconnaissance à celui qui s’est donné tant de peine pour si peu de chose. Je suppose que la pièce a quelque succès : si vous y perdez, je suis prêt à vous dédommager ; vous n’avez qu’à parler.

 

          Je voudrais vous avoir donné un meilleur ouvrage ; mais, à mon âge, on ne fait ce que l’on veut en aucun genre : on boit tristement la lie de son vin.

 

          Mandez-moi, le plus tôt que vous pourrez, quel est l’auteur (1) du Supplément à la Philosophie de l’histoire de feu M. l’abbé Bazin, mon cher oncle. C’est un digne homme, qui mérite de recevoir incessamment de mes nouvelles ; mais vous me ferez plus de plaisir de me donner des vôtres.

 

 

N.B. – Je suis bien fâché contre vous de ce que, dans votre Avant-Coureur, vous imprimez toujours français par un o. Je vous demande en grâce de distinguer mon bon patron saint François d’Assise de mes chers compatriotes. Imprimez, je vous en prie, anglais, français. Si j’osais j’irais jusqu’à vous prier de mettre un a à tous les imparfaits, etc. ; mais je ne suis pas encore assez sûr de votre amitié pour vous proposer une si grande conspiration.

 

 

1 – Larcher. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de La Borde.

 

1er Mai 1767 (1).

 

 

          Notre Chabanon arrive ; il a la plus grande opinion de mon Orphée (2) de Versailles. Il nous a trouvés dans de grands embarras. Si mon Orphée trouve des épines dans ce meilleur des mondes, nous y trouvons des loups et des tigres. La boite de Pandore est inépuisable. J’espère que votre belle musique adoucira les mœurs.

 

          J’ai trouvé enfin la brochure que vous demandez (3) ; je vous l’envoie, sachant bien qu’on peut tout confier à un homme aussi sage que vous. Ces petites plaisanteries des huguenots n’ébranlent pas votre religion ; elles n’ont jamais dérangé la mienne. J’ai été toujours bon sujet et bon catholique, et j’espère mourir dans ces sentiments.

 

          Je suis bien fâché que M. Marmontel ait prétendu qu’il pouvait y avoir de la vertu chez des rois et chez des philosophes qui n’étaient pas catholiques. J’espère que la Sorbonne, qui est le concile perpétuel des Gaules, préviendra le scandale qu’une telle opinion peut donner. On dit que le révérend père Bonhomme, cordelier, prépare une censure admirable de cette hérésie. Vous qui cultivez avec succès un des plus beaux arts, vous ne vous mêlez point de querelles théologiques ; vous vous bornez à faire le charme de nos oreilles et celui de la société.

 

          Que dites-vous de votre chevalier (4) qui va faire l’éducation d’une mademoiselle de Provenchère ? on m’écrit qu’elle est charmante, et la vraie fille d’une mère qui l’était. Notre chevalier n’est pas un trop mauvais précepteur. Croyez-vous qu’il lui permette de mettre du rouge ? Pensez-vous que l’esprit qu’on donne à la jeune enfant dégénère entre ses mains ? Faites passer la brochure à ce chevalier, et dites-lui combien je l’aime.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – La Borde lui-même. (G.A.)

3 – Sans doute les Questions de Zapata. (G.A.)

4 – Il doit s’agir de Rochefort qui se mariait. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

4 Mai 1767.

 

 

          Je vois, mon cher ami, qu’il y a dans le monde des gens alertes qui ont dévalisé les licenciés espagnols (1) que je vous avais envoyés ; et, à l’égard de la

Destruction des Jésuites, je ne compte pas qu’elle soit sitôt prête, attendu la négligence et l’imbécillité des gens qui s’en sont chargés.

 

          J’envoie à M. d’Alembert un exemplaire de sa Lettres au Conseiller, par M .Necker. Il doit vous faire remettre aussi des chiffons qui ne valent pas cette lettre, deux Zapata et deux Honnêtetés.

 

          Je suis bien faible, bien languissant, mon cher ami ; c’est un grand effort d’écrire de ma main ; mon cœur vous en dit cent fois plus que je ne vous en écris.

 

          Ah ! qu’importe que les jésuites soient chassés d’Espagne, s’il n’est pas permis de penser en France ?

 

 

1 – Les Questions de Zapata. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

4 Mai 1767.

 

 

          Vous êtes plus aimable que jamais, mon cher ange, et moi plus importun et plus insupportable que je ne l’ai encore été. Moi, qui suis ordinairement si docile, je me trouve d’une opiniâtreté qui me fait sentir combien je vieillis. Ce monologue que vous demandez, je l’ai entrepris de deux façons : elles détruisent également tout le rôle d’Obéide veut se cacher à elle-même dans tout le cours de la pièce. Tout ce qu’elle dira ensuite n’est plus qu’une froide répétition de son monologue. Il n’y a plus de gradations plus de nuances, plus de pièce. Il est de plus si indécent qu’une jeune fille aime un homme marié, cela est si révoltant chez toutes les nations du monde, que quand vous y aurez fait réflexion, vous jugerez ce parti impraticable.

 

          Il y a plus encore ; c’est que ce monologue est inutile. Tout monologue qui ne fournit pas de grands mouvements d’éloquence est froid. Je travaille tous les jours à ces pauvres Scythes, malgré les éditions qu’on en fait partout.

 

          Lacombe vient d’en faire une qu’il m’envoie, mais il n’y a pas la moitié des changements que j’ai faits ; il ne pouvait pas encore les avoir reçus. Il n’a fait cette nouvelle édition que dans la juste espérance où il était que la pièce serait reprise après Pâques. C’est encore une raison de plus pour que je ne puisse exiger de lui qu’il donne cent écus à Lekain ; j’aime beaucoup mieux les donner moi-même.

 

          Il est bien vrai que tout dépend des acteurs. Il y a une différence immense entre bien jouer et jouer d’une manière touchante, entre se faire applaudir et faire verser des larmes. M. de Chabanon et M. de La Harpe viennent d’en arracher à toutes les femmes dans le rôle de Nemours et dans celui de Vendôme (1), et à moi aussi.

 

          Je doute fort qu’on puisse faire des recrues pour Paris. On a écarté et rebuté les bons acteurs qui se sont présentés ; je ne crois pas qu’il y en ait actuellement deux en province dignes d’être essayés à Paris. Je vous l’ai déjà dit, les troupes ne subsistent plus que de l’opéra-comique. Tout va au diable, mes anges, et moi aussi.

 

          Je doute fort qu’on puisse faire des recrues pour Paris. On a écarté et rebuté les bons acteurs qui se sont présentés ; je ne crois pas qu’il y en ait actuellement deux en province dignes d’être essayés à Paris. Je vous l’ai déjà dit, les troupes ne subsistent plus que de l’opéra-comique. Tout va au diable mes anges, et moi aussi.

 

          Ma transmigration de Babylone me tient fort au cœur. Ce que vous me faites entrevoir redoublera mes efforts ; mais j’ai bien peur que la situation présente de mes affaires ne me rende cette transmigration aussi difficile que mon monologue. Je me trouve à peu près dans le cas de ne pouvoir ni vivre dans le pays de Gex, ni aller ailleurs. Figurez-vous que j’ai fondé une colonie à Ferney, que j’y ai établi des marchands, des artistes, un chirurgien, que je leur bâtis des maisons, que, si je vais ailleurs, ma colonie tombe ; mais aussi, si je reste, je meurs de faim et de froid. On a dévasté tous les bois ; le pain vaut cinq sous la livre ; il n’y a ni police ni commerce. J’ai envoyé à M. le duc de Choiseul, conjointement avec le syndic de la noblesse, un mémoire très circonstancié. J’ai proposé que M. le duc de Choiseul renvoyât ce mémoire à M. le chevalier de Jaucourt, qui commande dans notre petite province. Il a oublié mon mémoire, on s’en est moqué ; et il a tort, car c’est le seul moyen de rendre la vie à un pays désolé, qui ne sera plus en état de payer les impôts. On a voulu faire, malgré mon avis, un chemin qui conduisît de Lyon en Suisse en droiture ; ce chemin s’est trouvé impraticable.

 

          Je vous demande pardon de vous ennuyer de ces détails ; mais je vois qu’avec la meilleure volonté du monde on nous ruinera sans en retirer le moindre avantage. Je me suis dégoûté de la Guerre de Genève, je n’ai point mis au net le second chant, et je n’ai pas actuellement envie de rire.

 

          J’écris lettre sur lettre au sculpteur qui s’est avisé de faire mon buste : c’est un original capable de me faire attendre trois mois au moins, et ce buste sera au rang de mes œuvres posthumes.

 

          Il peut être encore un acteur à Genève dont on pourrait faire quelque chose. Il est malade ; quand il sera guéri, je le ferai venir ; La Harpe le dégourdira ; pour moi, je suis tout engourdi. D’ordinaire la vieillesse est triste, mais la vieillesse des gens de lettres est la plus sotte chose qu’il y ait au monde. J’ai pourtant un cœur de vingt ans pour toutes vos bontés ; je suis sensible comme un enfant je vous aime avec la plus vive tendresse.

 

 

1 – Voyez Adélaïde du Guesclin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

13 Mai 1767 (1).

 

 

          Je n’ai que le temps, mes anges, mes juges et mes patrons, de vous envoyer cette nouvelle édition (2) nouvellement corrigée. Jugez ; je m’en rapporte à vous.

 

          Je n’ai pas eu le temps de répondre à M. de Chauvelin.

 

 

N.B. – M. de Chabanon joue encore mieux que M. de La Harpe.

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Des Scythes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bordes.

 

13 Mai 1767.

 

 

          Mon âge commence à désespérer, mon cher confrère, de venir cum penatibus et magnis diis. Il m’arrive des dérangements dans ma fortune qui pourront bien me faire rester dans ma Scythie.

 

          Il y a près de cinq mois qu’on m’avait mandé, des frontières d’Espagne, que beaucoup de moines avaient eu part à la révolte générale qui devait se manifester le même jour dans toutes les provinces. Je n’en croyais rien, et me voilà désabusé. On n’a chassé que les jésuites :

 

Mais à tous penaillons Dieu doit pareille joie.

 

LA FONT.

 

          Voici une Lettre sur les Panégyriques (1), laquelle n’est pas le panégyrique des moines.

 

          Connaissez-vous l’Anecdote sur Bélisaire ? Si vous ne l’avez pas, je vous l’enverrai ; et, tant que je serai près de Genève, je me charge de vous fournir toutes les nouveautés : vous n’avez qu’à parler.

 

          Je crois que vous jugez très bien M. Thomas, en lui accordant de grandes idées et de grandes expressions.

 

          Vous m’affligez en m’apprenant qu’il y a tant de sots et de méchants à Lyon. C’est la destinée de toutes les grandes villes ; mais je crois qu’il y a plus de justes qu’il n’y en avait à Sodome. Il y a du moins trois fois plus de philosophes. Je vous nommerais bien quinze personnes qui pensent comme vous et moi. Il me semble que la lumière s’étend de tous côtés  mais les initiés ne communiquent pas assez entre eux ; ils sont tièdes, et le zèle du fanatisme est toujours ardent.

 

          L’anecdote qu’on vous a contée sur ce malheureux Jean-Jacques est très vraie : ce misérable a laissé mourir ses enfants à l’hôpital, malgré la pitié d’une personne compatissante qui voulait les secourir. Comptez que Rousseau est un monstre d’orgueil, de bassesse, d’atrocité et de contradictions.

 

 

1 – Voyez aux DISCOURS. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article