CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 35

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 35

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien.

 

A Ferney, 14 Septembre 1766.

 

 

          Je ne sais, madame, si j’écris au chasseur (1), ou au philosophe, ou à une jolie dame, ou au meilleur cœur du monde ; il me semble que vous êtes tout cela. J’ai reçu une lettre de vous qui m’attache à votre char autant que je l’étais dans votre apparition à Ferney ; et M. le duc de Choiseul a dû vous en faire tenir une de moi qui ne vaut pas la vôtre. Il a bien voulu m’en écrire une qui m’enchante. J’admire toujours comment il trouve du temps, et comme il est supérieur dans les affaires et dans les agréments.

 

          J’ai voulu me consoler du malheur de vous avoir perdue. J’ai eu l’insolence de faire jouer sur mon petit théâtre Henri IV (2), le Roi et le Fermier (3), Rose et Colas (4), Annette et Lubin (5). J’ai reconnu dans cette pièce M. l’abbé de Voisenon : c’est la meilleure de toutes, à mon gré ; il n’y a que lui qui puisse avoir tant de grâces. Je ne m’attendais pas à voir tout ce que j’ai vu dans mes déserts.

 

          L’amitié dont vous daignez m’honorer, madame, est ce qui me flatte davantage, et qui fait le charme de ma vieillesse et de ma retraite. Votre caractère est au-dessus de vos charmes  je suis amoureux de votre âme, il ne m’appartient pas d’aller plus loin.

 

          Je pris la liberté de vous remettre à votre départ de Ferney une petite requête pour M. de Saint-Florentin, en faveur d’une malheureuse famille huguenote. Le père a été vingt-trois ans aux galères, pour avoir donné à souper et à coucher à un prédicant ; la mère a été enfermée, les enfants réduits à mendier leur pain. On leur avait laissé le tiers du bien pour les nourrir ; ce tiers a été usurpé par le receveur des domaines. Il y a de terribles malheurs sur la terre, madame, pendant que ceux qu’on appelle heureux sont dévorés de passions ou d’ennui.

 

          Si vous n’êtes pas assez forte (ce que je ne crois pas) pour toucher la pitié de M. de Saint-Florentin, j’ose vous demander en grâce de joindre M le maréchal de Richelieu à vous. M. de Saint-Florentin est difficile à émouvoir sur les huguenots. Vous aurez fait une très belle action si vous parvenez à rendre la vie à cette pauvre famille. Soyez sûre, madame, que vous n’êtes pas faite seulement pour plaire.    

 

          Agréez, madame, mon très sincère respect, et un attachement plus inaltérable que les plus grandes passions que vous ayez pu inspirer.

 

 

1 – Madame de Saint-Julien aimait la chasse. (G.A.)

2 – La Partie de chasse de Henri IV par Collé. (G.A.)

3 – Opéra-comique de Sedaine et Monsigny. (G.A.)

4 – Opéra-comique des mêmes auteurs. (G.A.)

5 – Opéra-comique de madame Favart et Martini. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Nancey.

 

14 Septembre 1766.

 

 

          Saint François d’Assise, monsieur, serait bien étonné de voir un de ses enfants qui fait de si bons vers français, et moi j’en suis très édifié ; il vous mettrait en pénitence, et je vous donnerais ma bénédiction. Vous êtes dans la ville de l’esprit et des talents, vous y trouverez tous les encouragements possibles. Je ne puis applaudir que de loin à vos travaux littéraires ; j’en serais l’heureux témoin, si mon âge et mes maladies me permettaient d’aller à Dijon.

 

          Agréez mes remerciements, et les sentiments d’estime avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.

 

 

 

 

 

à M. le chevalier de Taulès.

 

Dimanche matin, 14 Septembre 1766.

 

 

          Si j’existais, monsieur, vous savez que je passerais une partie de mes jours à faire ma cour à son excellence (1), et à tâcher de mériter votre amitié. Je n’ai plus qu’une demi-existence tout au plus. Vous, monsieur, qui avez un corps digne de votre âme, vous qui pouvez faire tout ce que vous voulez, je vous demande en grâce que vous vouliez dîner à Ferney le jour où vous serez le moins occupé. J’ai reçu une lettre charmante qui était, je crois, dans le paquet de M. l’ambassadeur. V.t.h.e.t.o.s. VOLTAIRE.

 

P.S.  – Le plus tôt que je pourrai avoir l’honneur de vous parler sera le mieux.

 

 

1 – Beauteville. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 15 Septembre 1766.

 

 

          Quand j’eus l’honneur d’écrire à mon héros par madame de Saint-Julien, j’étais bien triste, bien indigne de lui ; mais il n’y avait que deux jours qu’elle était à Ferney ; elle y resta encore quelque temps, et elle adoucit mes mœurs. Ne trouvez-vous pas que madame de Saint-Julien a quelque chose de madame du Châtelet ? Elle en a l’éloquence, l’enfantillage, et la bonté, avec un peu de sa physionomie. Je la prends pour ma patronne auprès de vous. Il faut qu’elle s’unisse à moi pour obtenir votre protection en faveur d’une famille de vos anciens sujets. En vérité, ces d’Espinas, pour qui je vous ai présenté un mémoire, sont dignes de toute votre pitié. Vingt-trois ans de galères pour avoir donné à souper sont une chose un peu dure ; jamais souper ne fut si cher. Voilà toute une famille réduite à la plus honteuse misère : elle redemande son bien ; il n’y a rien de plus juste. Et ne dois-je pas me flatter qu’une âme aussi généreuse que la vôtre daignera faire cette bonne œuvre ? Recommandez ces infortunés à M. de Saint-Florentin, je vous en conjure. Ma position est cruelle : je me trouve nécessairement entouré des persécutés qui fondent autour de moi : les d’Espinas, les Calas, les Sirven m’environnent ; ce sont des roues, des potences, des galères, des confiscations ; et les chevaliers de La Barre ne m’ont pas mis de baume dans le sang.

 

          Quand vous aurez quelque moment de loisir, monseigneur, je vous demanderai en grâce de lire le factum en faveur des Sirven ; il va être imprimé ; c’est une affaire qui concerne une province dont vous êtes encore béni tous les jours. Vous verrez un morceau véritablement éloquent, ou je suis fort trompé.

 

          J’ai eu l’insolence de faire venir chez moi une troupe de comédiens qui ont joué très bien Henri IV avec Annette et Lubin. C’est dommage qu’Annette n’ait pas de musique, car la comédie est charmante. Pour Henri IV, j’aurais voulu qu’il eût un peu plus d’esprit ; mais le nom seul d’Henri IV m’a ému. Il suffit souvent d’un nom pour le succès. Il y a dans cette troupe une actrice qui joue, à mon gré, un peu mieux que mademoiselle Dangeville, quoiqu’elle ne soit pas si jolie. Dieu vous donne acteurs et actrices à la Comédie-Française !

 

          Nous allons avoir madame de Brionne et madame la princesse de Ligne : où me fourrerai-je ! J’étais enchanté d’avoir madame de Saint-Julien.

 

          Je me mets à vos pieds avec la tendresse la plus respectueuse.

 

 

 

 

 

à M. Élie de Beaumont.

 

15 Septembre 1766.

 

 

          Je ne crois pas, monsieur, qu’on puisse reculer sur M. Chardon. J’avais, comme vous savez, exécuté vos ordres sitôt que vous me les aviez eu donnés : j’avais écrit à M. le duc de Choiseul ; il me mande qu’il est ami de M. Chardon, et qu’il va le proposer à M. le vice-chancelier pour rapporteur de l’affaire. M. le duc de Choiseul protégera les Sirven comme il a protégé les Calas ; c’est une belle âme, je ne le connais que par des traits de générosité et de grandeur. Je suis au comble de ma joie de voir l’affaire des Sirven commencée ; soyez sûr que vous serez couvert de gloire aux yeux de l’Europe.

 

          Je ne sais si l’affaire qui regarde madame de Beaumont se poursuit pendant les vacations (1) ; c’est dans celle-là qu’il faut triompher. Je la supplie d’agréer mon respect et le tendre intérêt que je prends à tous deux.

 

 

1 – Voyez la lettre à d’Argental du 8 Octobre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

15 Septembre 1766.

 

 

          Ce petit billet, pour M. de Beaumont, vous mettra au fait de tout ce qui concerne M. Chardon.

 

          Je crois que l’affaire ira bien sous la protection de MM. les ducs de Choiseul et de Praslin, de M. et de madame d’Argental, et de madame la duchesse d’Enville.

 

          Les philosophes se remettront en crédit, en prenant hautement le parti de l’innocence opprimée : ils rangeront le public sous leurs étendards.

 

          Pourquoi M. Tonpla ne ferait-il pas ce petit voyage ? cela serait digne de lui  il aurait le plaisir du mystère ; ce serait Antoine qui irait voir Paul.

 

          Pour chasser toutes mes idées tristes, j’ai eu l’insolence de faire venir chez moi toute la troupe comique de Genève ; elle est excellente, elle a joué Henri IV et Annette et Lubin ; le nom seul de Henri IV m’émeut, et fait la moitié du succès. J’ai eu aussi le Roi et le Fermier, avec Rose et Colas ; cela a été joué supérieurement ; il y a surtout une actrice excellente qui ferait les délices de Paris.

 

          Mais, après ces fêtes brillantes, je songe aux horreurs de ce monde ; je songe aux infortunés, et je retombe dans ma tristesse ; votre amitié me console plus que les fêtes. Ecr. l’inf…

 

 

 

 

 

à M. le comte de Rochefort.

 

16 Septembre 1766.

 

 

          Dieu vous maintienne, monsieur, dans le dessein de faire le voyage d’Italie, puisque vous passerez dans mon ermitage à votre retour ! Dans le temps que M. le gazetier d’Utrecht et M. le courrier d’Avignon disaient que je n’étais pas chez moi, j’y faisais jouer Henri VI par la troupe de Genève. Tout le monde pleura quand la famille du meunier se mit à genoux devant Henri IV ; il est adoré dans nos déserts comme à Paris.

 

          On attend madame la comtesse de Brionne vers la fin de ce mois ou le commencement de l’autre ; elle va des Pyrénées aux Alpes : cela est digne d’une grande écuyère.

 

          M. Duclos sera pour vous un excellent compagnon de voyage : vous verrez tous deux des philosophes en Italie, mais il faut les déterrer. Les statues se présentent dans ce pays-là, et les hommes se cachent.

 

          Vous ne sauriez croire à quel point je suis pénétré de vos bontés. Le jour où j’aurai le bonheur de vous voir avec M. Duclos sera un beau jour pour moi.

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article