CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 21

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 21

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à M. le comte d’Argental.

 

22 Juin 1766.

 

 

          Mon âme est entièrement réformée à la suite de mes anges ; je pense entièrement comme eux. Il faut donner la préférence à l’impression sur la représentation ;

 

.  .  .  .  .  .  .  Le temps ne fait rien à l’affaire ;

 

Misanth.

 

et si l’ouvrage est passable, il sera donné toujours assez tôt. Je remercie mes anges de leurs nouvelles critiques ; j’en ai fait aussi de mon côté, et j’en ferai, et je corrigerai jusqu’à ce que la force de la diction puisse faire passer l’atrocité du sujet. On peut encore ajouter aux notes, que vous avez jugées assez curieuses. Il n’est pas difficile de donner aux proscriptions hébraïques un tour qui désarme la censure théologique. Ce n’est point la vérité qui nous perd, c’est la manière de la dire. Ne vous lassez point de me renvoyer ces manuscrits, qui sont si fort accoutumés à voyager. Je voudrais bien savoir si M. le duc de Praslin et M. de Chauvelin ont été contents. Il est clair que vos suffrages et le leur, donnés sans enthousiasme et sans séduction, après une lecture attentive, doivent répondre de l’approbation du public éclairé. On est bien loin de compter sur un succès pareil à celui du Siège de Calais, ni sur celui qu’aura la comédie de Henri IV (1). Il suffit qu’un ouvrage bien conduit et bien écrit ait un petit nombre d’approbateurs ; le petit nombre est toujours celui des élus.

 

          Nous sommes bien heureux, mes anges, d’avoir des philosophes qui n’ont pas la prudente lâcheté de Fontenelle. Il paraît un livre intitulé Examen critique des Apologistes, etc., par Fréret. Je ne suis pas sûr que c’est le meilleur livre qu’on ait encore écrit sur ces matières. Les provinces sont garnies de cet ouvrage ; vous n’êtes pas si heureux à Paris. Il arrivera bientôt que les provinces prendront leur revanche du mépris que les Parisiens avaient pour elles. Comme on y a moins de dissipation, on y a plus de temps pour lire et pour s’éclairer. Je ne désespère pas que dans dix ans la tolérance ne soit établie à Toulouse. En attendant que le règne de la vérité advienne, je voudrais bien que vous lussiez le mémoire de Beaumont en faveur des Sirven, et que vous voulussiez bien m’en dire votre avis. Ma destinée est de n’être pas content des arrêts des parlements. J’ose ne point l’être de celui qui a condamné Lally ; l’énoncé de l’arrêt est vague et ne signifie rien. Les factums pour et contre ne sont que des injures. Enfin je ne m’accoutume point à voir des arrêts de mort qui ne sont pas motivés ; il y a dans cette jurisprudence welche une barbarie arbitraire qui insulte au genre humain.

 

          Cette lettre n’est pas écrite par mon griffonneur ordinaire, et je suis si malingre, que je ne puis écrire moi-même. Tout ce que je puis faire, c’est de me mettre au bout de vos ailes avec mes sentiments ordinaires, qui sont bien respectueux et bien tendres.

 

 

1 – De Collé. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

23 Juin 1766.

 

 

          Mon cher ami, j’ai chez moi actuellement deux bons prêtres, dont l’un est fort connu de vous, et fort digne de l’être : c’est M. l’abbé Morellet. Il est docteur de Sorbonne, comme vous le savez. L’autre n’est que bachelier ; mais l’un et l’autre sont également édifiants. J’espère que l’un d’eux, à son retour à Paris, pourra vous faire tenir quelques-unes des bagatelles amusantes qui ont paru depuis peu à Neuchâtel. Je vous envoie, en attendant, la lettre sur Jean-Jacques que vous me demandiez, et que j’ai enfin retrouvée. Je me flatte que j’aurai incessamment le mémoire de notre cher Beaumont, ce défenseur infatigable de l’innocence. Le petit discours (1) qu’on a préparé pour seconder ce mémoire n’est fait absolument que pour quelques étrangers qui pourront protéger cette famille infortunée. Il ne réussirait point à Paris, et n’y servirait de rien à la bonté de la cause ; c’est uniquement au mémoire juridique qu’il faut s’en rapporter ; c’est de là que dépendra la destinée des Sirven. On m’a mandé que le parlement n’avait point signé l’arrêt qui condamne les jeunes fous d’Abbeville (2), et qu’il avait voulu laisser à leurs parents le temps d’obtenir du roi une commutation de peine ; je souhaite que cette nouvelle soit vraie. L’excellent livre des Délits et des Peines, si bien traduit par l’abbé Morellet, aura produit son fruit. Il n’est pas juste de punir la folie par des supplices qui ne doivent être réservés qu’aux grands crimes.

 

          Est-il vrai qu’on va donner Henri IV (3) sur le théâtre de Paris ? son nom seul fera jouer la pièce six mois ; je l’ai toujours pensé ainsi. Mes tendres compliments à Platon, je vous en prie.

 

 

1 – L’Avis au public. (G.A.)

2 – Voici le premier mot sur l’affaire La Barre. (G.A.)

3 – La Partie de chasse. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

26 Juin 1766.

 

 

          Je suis enchanté de l’abbé Morellet, mon cher frère. En vérité, tous ces philosophes-là sont les plus aimables et les plus vertueux des hommes ; et voilà ceux qu’Omer veut persécuter !

 

          Il n’y a qu’un homme infiniment instruit dans la belle science de la théologie et des Pères qui puisse avoir fait l’Examen critique des Apologistes. J’avoue que le livre est sage et modéré ; tout critique doit l’être : mais je ne pense pas que l’on doive blâmer le lord Bolingbroke d’avoir écrit avec la fierté anglaise, et d’avoir rendu odieux ce qu’il a prouvé être misérable. Il fait, ce me semble, passer son enthousiasme dans l’âme du lecteur. Il examine d’abord de sang-froid, ensuite il argumente avec force, et il conclut en foudroyant. Les Tusculanes de Cicéron et ses Philippiques ne doivent point être écrites du même style.

 

          Vous me faites bien plaisir, mon cher frère, de me dire que mademoiselle Sainval (1) a réellement du talent. Il est à souhaiter qu’elle soutienne le théâtre, qui tombe, dit-on, en langueur. Mais quand aurons-nous des hommes qui aient de la figure et de la voix ?

 

          J’ai écrit à M. Grimm. Il s’agit de me faire savoir les noms des principales personnes d’Allemagne que je pourrai intéresser à favoriser les Sirven. Je vous supplie de lui en écrire un mot, et de le presser de m’envoyer les instructions que je lui demande. Les Sirven et moi nous vous en aurons une égale obligation.

 

          Adieu, mon cher frère ; s’il n’y a point de nouveauté à présent, le livre attribué à Fréret doit en tenir lieu pour longtemps ; il fait honneur à l’esprit humain.

 

          Comme je vous embrasse, vous et les vôtres !

 

 

1 – Mademoiselle Sainval l’aînée. (K.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

26 Juin 1766.

 

 

          Mon cher et ancien ami, j’aurais plus de foi à votre régime qu’à l’eau de M. Vyl. La véritable eau de santé est de l’eau fraîche, et tous ceux qui prétendent faire subsister ensemble l’intempérance et la santé sont des charlatans. Une meilleure recette est celle qu’on vous envoie de Brandebourg tous les trois mois. Votre arrangement me paraît très bien fait et très adroit ; il n’y a personne auprès de votre correspondant qui puisse l’avertir qu’on lui donne du vieux pour du nouveau. Il serait à souhaiter que le public donnât dans le même panneau, et qu’il relût nos auteurs du bon temps, au lieu de se gâter le goût par les misérables nouveautés ont on nous accable.

 

          Vous êtes sans doute informé du nouveau livre qui paraît sous le nom de Fréret ; c’est un excellent ouvrage qui doit déjà être connu en Allemagne. Les citations sont aussi fidèles que curieuses, les preuves claires, et le raisonnement si vigoureux, qu’il n’y a qu’un sot qui puisse y répliquer. Les Lettres sur les miracles de Baudinet et de Covelle ne sont point encore connues en France.

 

          Si je trouve dans mes paperasses quelques petits morceaux qui puissent figurer dans vos envois, je ne manquerai pas de vous en faire part ; mais à présent je suis si occupé de l’édition in-4° que les Cramer font de mes anciennes sottises, je suis si enseveli dans des tas de papiers, que je ne peux rien débrouiller ; mais quand je serai défait de cet embarras désagréable, je chercherai tous les matériaux qui pourront vous convenir (1). Nous comptons avoir incessamment un des neveux de votre correspondant (2). J’aime bien autant les voir chez moi que de les aller chercher chez eux. Nous avons eu l’abbé Morellet ; c’est un homme très aimable, très instruit, très vertueux. Voilà comme les vrais philosophes sont faits, et ce sont eux qu’on veut persécuter ! Adieu, mon cher ami ; vivez tranquille et heureux.

 

 

1 – Pour sa correspondance. (G.A.)

2 – Le prince héréditaire de Brunswick. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Rochefort.

 

1er Juillet 1766.

 

 

          Vous n’êtes pas, monsieur, comme ces voyageurs qui viennent à Genève et à Ferney pour m’oublier ensuite et être oubliés. Vous êtes venu en vrai philosophe, en homme qui a l’esprit éclairé et un cœur bienfaisant. Vous vous êtes fait un ami d’un homme qui a renoncé au monde ; j’ai senti tout ce que vous valez ; vous m’avez laissé bien des regrets. Comptez, monsieur, que votre souvenir est la plus douce de mes consolations.

 

          Je vous suis très obligé de ces Ruines de la Grèce (1). Je crois qu’on est actuellement à Paris dans les ruines du bon goût, et quelquefois dans celles du bon sens ; mais de bons esprits, tels que vous et vos amis, soutiendront toujours l’honneur de la nation. Il est vrai qu’ils seront en petit nombre ; mais, à la longue, ce petit nombre gouverne le grand.

 

          J’ai vu depuis peu un ouvrage posthume de M. Fréret, secrétaire de l’Académie des belles-lettres. Ce livre mérite d’entrer dans votre bibliothèque ; il ne paraît pas fait pour être lu de tout le monde  mais il y a d’excellentes recherches, et si l’on y trouve quelque chose de dangereux, vous en savez assez pour le réfuter. J’aurai l’honneur de vous l’envoyer par la diligence de Lyon à l’adresse qu’il vous plaira de m’indiquer.

 

          Madame Denis est très touchée de votre souvenir. Agréer, monsieur, mes tendres respects, que je vous présente du fond de mon cœur.

 

 

P.S. – Si vous aimez Henri IV, comme je n’en doute pas, je vous exhorte à lire la justification du président de Thou contre le sieur de Bury, auteur d’une nouvelle Vie de Henri IV.

 

 

 

1 – Les Ruines des plus beaux monuments de la Grèce considérés du côté de l’histoire et de l’architecture, par Julien-David Leroy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

1er Juillet 1766.

 

 

          On me mande, mon cher frère, une étrange nouvelle. Les deux insensés (1), dit-on, qui ont profané une église en Picardie ont répondu, dans leurs interrogatoires, qu’ils avaient puisé leur aversion pour nos saints mystères dans les livres des encyclopédistes et de plusieurs philosophes de nos jours. Cette nouvelle est sans doute fabriquée par les ennemis de la raison, de la vertu, et de la religion. Qui sait mieux que vous combien tous ces philosophes ont tâché d’inspirer le plus profond respect pour les lois reçues ? Ils ne sont que des précepteurs de morale, et on les accuse de corrompre la jeunesse. On cherche à renouveler l’aventure de Socrate ; on veut rendre les Parisiens aussi injustes que les Athéniens, parce qu’on croit plus aisé de les faire ressembler aux Grecs par leurs folies que par leurs talents.

 

          Ne pourriez-vous pas remonter à la source d’un bruit si odieux et si ridicule ? Je vous prie de mettre tous vos soins à vous en informer.

 

          J’ai reçu la visite d’un homme de mérite qui vous a vu quelquefois chez M. d’Holbach ; son nom est, je crois, Bergier (2). Il m’a paru en effet digne de vivre avec vous.

 

          On dit que mademoiselle Clairon a rendu le pain bénit, et que toute la paroisse a battu des mains.

 

          M. le prince de Brunswick vient bientôt honorer mon désert de sa présence. Je ne sais comment je pourrai le recevoir dans l’état où je suis. Je m’affaiblis plus que jamais, mon cher frère ; mais, puisque Fréron et Omer se portent bien, je dois être content.

 

          Je vous embrasse avec la plus tendre amitié. Ecr. l’inf…

 

 

1 – Le chevalier de La Barre et Moisnel. Voyez, l’Affaire La Barre. (G.A.)

2 – Frère de l’abbé. (G.A.)

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