ZAIRE - Partie 1
Photo de PAPAPOUSS
Z A Ї R E
TRAGÉDIE EN CINQ ACTES,
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS LE 13 AOUT 1732.
− SEULE −
NOMS DES ACTEURS QUI JOUÈRENT DANS CETTE SOIRÉE
OROSMANE Quinault-Dufresne.
LUSIGNAN Legrand, La Thorillière, Dubreuil, Bercy, Sarrazin.
NÉRESTAN Granval.
ZAЇRE Melle Gaussin.
FATIME Mme Jouvenot.
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RECETTE : 3,060 livres.
Dans sa nouveauté, Zaïre eut trente représentations. (G.A.)
Et etiam crudelis amor.
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AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.
On n’avait pas compris Brutus ; on avait souri au spectre d’Eriphyle ; les dames reprochaient à Voltaire de ne pas mettre assez d’amour dans ses tragédies ; des amis, des confrères venaient de lui déclarer net qu’il n’était pas fait pour le théâtre, etc. ; d’autre part, l’auteur de la Henriade avait frappé à la porte de l’Académie et on lui avait répondu qu’il ne serait jamais un personnage académique ; il avait essayé de prendre pied à la cour, et il avait bientôt compris qu’il n’était accueilli là qu’à titre d’amuseur. Ajoutons enfin, que, six mois auparavant, il avait été menacé d’arrestation pour son Epître à Uranie, et qu’à cette heure juste il tenait prête une œuvre capitale, et bien autrement diabolique que sa petite épître, à savoir les Lettres anglaises. Bref, Voltaire était méconnu, était inquiété, était sans appui, était isolé, et c’était, répétons-le, au moment même où il rêvait son coup d’Etat philosophique : il résolut d’asseoir à tout jamais, sans conteste, sa gloire théâtrale, et de conjurer par le prestige de cette gloire les risques à venir. Il fit Zaïre, tragédie au goût du jour, galante, amoureuse, chaleureuse, et, de nom, chrétienne ; en un mot, pièce française qui lui gagna les dames, des protectrices ! Il fut sauvé.
On répète trop que Zaïre n’est qu’une imitation de l’Othello anglais, et que Voltaire, en l’écrivant, a voulu corriger Shakespeare. Voltaire, encore une fois, était ce jour-là timide aux réformes, et ne rêvait que d’être tout gentiment français. S’il emprunte à Shakespeare, c’est après avoir emprunté plus encore à lui-même. Zaïre est plutôt Mariamne que Desdemone, et Orosmane ressemble mieux à Hérode qu’à Othello. Voltaire, en cette pièce, borne ses audaces à mettre sur la scène des demi-Français, des croisés, et à obtenir des acteurs qu’ils se montreront à moitié Turcs en s’affublant au moins d’un turban. Ce premier essai de costume coûta aux comédiens trente livres.
L’évènement de Zaïre fut hors de scène, et il fut triple.
C’est à cette pièce que Voltaire dut sa première consécration publique. Pendant la quatrième représentation, le parterre l’appela, et, quand il se montra dans une loge, l’acclama.
Autre aventure : on vint le prier de faire lui-même la critique de sa tragédie, et il prit, en effet, la parole dans le Mercure (1). Enfin, il écrivit pour la Zaïre imprimée une dédicace, sorte de manifeste contre la cour et premier cri d’indépendance poussé par un auteur. Cette dédicace fut adressée à un marchand anglais ; elle renferma une protestation contre l’enterrement infâme d’Adrienne Lecouvreur, et elle fut suivie d’une épître en vers à l’actrice qui avait joué le principal rôle de sa pièce. Bref, à propos de Zaïre la chrétienne, Turcs, Français, musulmans, chrétiens, Anglais, protestants, actrices, excommuniés, etc., tout entra en danse, et cela parut si révolutionnaire, que la dédicace fut saisie et ne put paraître que corrigée.
Disons aussi qu’à l’occasion de Zaïre, Voltaire sut faire accepter après coup ses corrections par l’acteur même qui tenait son premier rôle, Quinault-Dufresne. Ce comédien grand seigneur donnait à dîner ; Voltaire lui envoya un pâté. Orosmane l’ouvre, et qui s’en échappe ? Une multitude de perdrix ayant au bec les vers corrigés du poète. Orosmane dut céder, il apprit les vers.
Enfin, dernière curiosité. Les représentations de Zaïre ayant été interrompues par l’indisposition de mademoiselle Gaussin, Voltaire fit jouer sa pièce en société chez madame de Fontaine-Martel. Mademoiselle de Lambert figura Zaïre ; mademoiselle de Grandchamp, Fatime ; le marquis de Thibouville, Orosmane ; et M. d’Herbigny, Nérestan. Quant au rôle du vieux, du chrétien, du fanatique Lusignan, il fut rempli − devinez par qui ? − par Voltaire lui-même, qui le jouait, raconte-t-on, avec frénésie.
On trouvera en note les critiques de Lessing. Ce sont les premières que nous donnons.
GEORGES AVENEL.
1 – Voir à la Correspondance. (G.A.)
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AVERTISSEMENT
Ceux qui aiment l’histoire littéraire seront bien aises de savoir comment cette pièce fut faite. Plusieurs dames avaient reproché à l’auteur qu’il n’y avait pas assez d’amour dans ses tragédies ; il leur répondit qu’il ne croyait pas que ce fût la véritable place de l’amour, mais que, puisqu’il leur fallait absolument des héros amoureux, il en ferait tout comme un autre. La pièce fut achevée en vingt-deux jours : elle eut un grand succès. On l’appelle à Paris Tragédie chrétienne, et on l’a jouée fort souvent à la place de Polyeucte (1).
Zaïre a fourni depuis peu un événement singulier à Londres. Un gentilhomme anglais, nommé M. Bond, passionné pour les spectacles, avait fait traduire cette pièce ; et avant de la donner au théâtre public, il la fit jouer, dans la grande salle des bâtiments d’York, par ses amis. Il y représentait le rôle de Lusignan : il mourut sur le théâtre au moment de la reconnaissance. Les comédiens l’ont jouée depuis avec succès.
1 – « C’est donc aux dames, dit Lessing, que nous sommes redevables de cette pièce, et elle restera longtemps encore la pièce chérie des dames… L’amour même a dicté Zaïre à Voltaire, dit assez joliment un critique ; mais il eût dit plus justement que c’était la galanterie. Je ne connais qu’une seule tragédie à laquelle l’Amour même ait collaboré : c’est Roméo et Juliette de Shakespeare. » (G.A.)