ZAIRE - Partie 7

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Z A Ї R E

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

SCÈNE I.

 

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OROSMANE, CORASMIN.

 

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OROSMANE.

 

Vous étiez, Corasmin, trompé par vos alarmes :

Non, Louis contre moi ne tourne point ses armes ;

Les Français sont lassés de chercher désormais

Des climats que pour eux le destin n’a point faits ;

Ils n’abandonnent point leur fertile patrie,

Pour languir aux déserts de l’aride Arabie,

Et venir arroser de leur sang odieux

Ces palmes, que pour nous Dieu fit croître en ces lieux.

Ils couvrent de vaisseaux la mer de la Syrie.

Louis, des bords de Chypre, épouvante l’Asie.

Mais j’apprends que ce roi s’éloigne de nos ports ;

De la féconde Egypte il menace les bords ;

J’en reçois à l’instant la première nouvelle ;

Contre les mameluks son courage l’appelle :

Il cherche Méledin, mon secret ennemi ;

Sur leurs divisions mon trône est affermi.

Je ne crains plus enfin l’Egypte ni la France.

Nos communs ennemis cimentent ma puissance,

Et, prodigues d’un sang qu’ils devraient ménager,

Prennent en s’immolant le soin de me venger.

Relâche ces chrétiens, ami, je les délivre ;

Je veux plaire à leur maître, et leur permets de vivre :

Je veux que sur la mer on les mène à leur roi,

Que Louis me connaisse, et respecte ma foi.

Mène-lui Lusignan ; dis-lui que je lui donne

Celui que la naissance allie à sa couronne ;

Celui que par deux fois mon père avait vaincu,

Et qu’il tint enchaîné, tandis qu’il a vécu.

 

CORASMIN.

 

Son nom cher aux chrétiens…

 

OROSMANE.

 

Son nom n’est point à craindre.

 

CORASMIN.

 

Mais, seigneur, si Louis…

 

OROSMANE.

 

Il n’est plus temps de feindre,

Zaïre l’a voulu ; c’est assez : et mon cœur,

En donnant Lusignan, le donne à mon vainqueur.

Louis est peu pour moi ; je fais tout pour Zaïre ;

Nul autre sur mon cœur n’aurait pris cet empire.

Je viens de l’affliger, c’est à moi d’adoucir

Le déplaisir mortel qu’elle a dû ressentir,

Quand, sur les faux avis des desseins de la France,

J’ai fait à ces chrétiens un peu de violence.

Que dis-je ? ces moments, perdus dans mon conseil

Ont de ce grand hymen suspendu l’appareil :

D’une heure encore, ami, mon bonheur se diffère ;

Mais j’emploierai du moins ce temps à lui complaire.

Zaïre ici demande un secret entretien

Avec ce Nérestan, ce généreux chrétien…

 

CORASMIN.

 

Et vous avez, seigneur, encor cette indulgence ?

 

OROSMANE.

 

Ils ont été tous deux esclaves dans l’enfance ;

Ils ont porté mes fers, ils ne se verront plus ;

Zaïre enfin de moi n’aura point un refus.

Je ne m’en défends point ; je foule aux pieds pour elle

Des rigueurs du sérail la contrainte cruelle.

J’ai méprisé ces lois dont l’âpre austérité

Fait d’une vertu triste une nécessité.

Je ne suis point formé du sang asiatique :

Né parmi les rochers, au sein de la Taurique,

Des Scythes mes aïeux je garde la fierté,

Leurs mœurs, leurs passions, leur générosité :

Je consens qu’en partant Nérestan la revoie ;

Je veux que tous les cœurs soient heureux de ma joie.

Après ce peu d’instants volés à mon amour,

Tous ses moments, ami, sont à moi sans retour.

Va, ce chrétien attend, et tu peux l’introduire ;

Presse son entretien, obéis à Zaïre.

 

 

SCÈNE II.

 

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CORASMIN, NÉRESTAN.

 

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CORASMIN.

 

En ces lieux, un moment, tu peux encor rester.

Zaïre à tes regards viendra se présenter.

 

 

 

SCÈNE III.

 

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NÉRESTAN.

 

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NÉRESTAN.

 

En quel état, ô ciel ! en quels lieux je la laisse !

O ma religion ! ô mon père ! ô tendresse !

Mais je la vois.

 

 

 

SCÈNE IV.

 

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ZAÏRE, NÉRESTAN.

 

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NÉRESTAN.

 

Ma sœur, je puis donc vous parler ;

Ah ! dans quel temps le ciel nous voulut rassembler !

Vous ne reverrez plus un trop malheureux père.

 

ZAÏRE.

 

Dieu ! Lusignan ?...

 

NÉRESTAN.

 

Il touche à son heure dernière.

Sa joie, en nous voyant, par de trop grands efforts,

De ses sens affaiblis a rompu les ressorts ;

Et cette émotion dont son âme est remplie

A bientôt épuisé les sources de sa vie.

Mais, pour comble d’horreur, à ces derniers moments,

Il doute de sa fille et de ses sentiments ;

Il meurt dans l’amertume, et son âme incertaine

Demande en soupirant si vous êtes chrétienne.

 

ZAÏRE.

 

Quoi ! je suis votre sœur, et vous pouvez penser

Qu’à mon sang, à ma loi j’aille ici renoncer ?

 

NÉRESTAN.

 

Ah ! ma sœur, cette loi n’est pas la vôtre encore ;

Le jour qui vous éclaire est pour vous à l’aurore ;

Vous n’avez point reçu ce gage précieux

Qui nous lave du crime, et nous ouvre les cieux.

Jurez par nos malheurs, et par votre famille,

Par ces martyrs sacrés de qui vous êtes fille,

Que vous voulez ici recevoir aujourd’hui

Le sceau du Dieu vivant qui nous attache à lui.

 

ZAÏRE.

 

Oui, je jure en vos mains, par ce Dieu que j’adore,

Par sa loi que je cherche, et que mon cœur ignore,

De vivre désormais sous cette sainte loi…

Mais, mon cher frère… hélas ! que veut-elle de moi ?

Que faut-il ?

 

NÉRESTAN.

 

Détester l’empire de vos maîtres,

Servir, aimer ce Dieu qu’ont aimé nos ancêtres,

Qui, né près de ces murs, est mort ici pour nous,

Qui nous a rassemblés, qui m’a conduit vers vous.

Est-ce à moi d’en parler ? Moins instruit que fidèle,

Je ne suis qu’un soldat, et je n’ai que du zèle.

Un pontife sacré viendra jusqu’en ces lieux

Vous apporter la vie, et dessiller vos yeux.

Songezà  vos serments, et que l’eau du baptême

Ne vous apporte point la mort et l’anathème.

Obtenez qu’avec lui je puisse revenir.

Mais à quel titre, ô ciel !  faut-il donc l’obtenir ?

A qui le demander dans ce sérail profane ?

Vous le sang de vingt rois, esclave d’Orosmane !

Parente de Louis, fille de Lusignan !

Vous chrétienne et ma sœur, esclave d’un soudan !

Vous m’entendez… je n’ose en dire davantage :

Dieu, nous réserviez-vous à ce dernier outrage ?

 

ZAÏRE.

 

Ah ! cruel ! poursuivez, vous ne connaissez pas

Mon secret, mes tourments, mes vœux, mes attentats.

Mon frère, ayez pitié d’une sœur égarée,

Qui brûle, qui gémit, qui meurt désespérée.

Je suis chrétienne, hélas !... j’attends avec ardeur

Cette eau sainte, cette eau qui peut guérir mon cœur.

Non, je ne serai point indigne de mon frère,

De mes aïeux, de moi, de mon malheureux père.

Mais parlez à Zaïre, et ne lui cachez rien ;

Dites… quelle est la loi de l’empire chrétien ?...

Quel est le châtiment pour une infortunée

Qui, loin de ses parents, aux fers abandonnée,

Trouvant chez un barbare un généreux appui,

Aurait touché son âme et s’unirait à lui ?

 

NÉRESTAN.

 

O ciel ! que dites-vous ? Ah ! la mort la plus prompte

Devrait…

 

ZAÏRE.

 

C’en est assez ; frappe, et préviens ta honte.

 

NÉRESTAN.

 

Qui, vous, ma sœur !

 

ZAÏRE.

 

C’est moi que je viens d’accuser.

Orosmane m’adore… et j’allais l’épouser.

 

NÉRESTAN.

 

L’épouser ! est-il vrai, ma sœur ? est-ce vous-même ?

Vous ? la fille des rois ?

 

ZAÏRE.

 

Frappe, dis-je ; je l’aime.

 

NÉRESTAN.

 

Opprobre malheureux du sang dont vous sortez,

Vous demandez la mort, et vous la méritez :

Et si je n’écoutais que ta honte et ma gloire,

L’honneur de ma maison, mon père, sa mémoire ;

Si la loi de ton Dieu, que tu ne connais pas,

Si ma religion ne retenait mon bras,

J’irais dans ce palais, j’irais, au moment même,

Immoler de ce fer un barbare qui t’aime,

De son indigne flanc le plonger dans le tien,

Et ne l’en retirer que pour percer le mien.

Ciel ! tandis que Louis, l’exemple de la terre,

Au Nil épouvanté ne va porter la guerre

Que pour venir bientôt, frappant des coups plus sûrs,

Délivrer ton Dieu même, et lui rendre ces murs :

Zaïre, cependant, ma sœur, son alliée,

Au tyran d’un sérail par l’hymen est liée !

Et je vais donc apprendre à Lusignan trahi

Qu’un Tartare est le dieu que sa fille a choisi !

Dans ce moment affreux, hélas ! ton père expire,

En demandant à Dieu le salut de Zaïre.

 

ZAÏRE.

 

Arrête, mon cher frère… arrête, connais-moi ;

Peut-être que Zaïre est digne encor de toi.

Mon frère, épargne-moi cet horrible langage ;

Ton courroux, ton reproche est un plus grand outrage.

Plus sensible pour moi, plus dur que ce trépas.

Que je te demandais, et que je n’obtiens pas.

L’état où tu me vois accable ton courage ;

Tu souffres, je le vois ; je souffre davantage.

Je voudrais que du ciel le barbare secours

De mon sang, dans mon cœur, eût arrêté le cours,

Le jour qu’empoisonné d’une flamme profane,

Ce pur sang des chrétiens brûla pour Orosmane,

Le jour que de ta sœur Orosmane charmé…

Pardonnez-moi, chrétiens ; qui ne l’aurait aimé !

Il faisait tout pour moi ; son cœur m’avait choisie ;

Je voyais sa fierté pour moi seule adoucie.

C’est lui qui des chrétiens a ranimé l’espoir :

C’est à lui que je dois le bonheur de te voir :

Pardonne ; ton courroux, mon père, ma tendresse,

Mes serments, mon devoir, mes remords, ma faiblesse,

Me servent de supplice, et ta sœur en ce jour
Meurt de son repentir plus que de son amour.

 

NÉRESTAN.

 

Je te blâme et te plains ; crois-moi la Providence

Ne te laissera point périr sans innocence :

Je te pardonne ! hélas ! ces combats odieux ;

Dieu ne t’a point prêté son bras victorieux.

Ce bras qui rend la force aux plus faibles courages,

Soutiendra ce roseau plié par les orages.

Il ne souffrira pas qu’à son culte engagé,

Entre un barbare et lui ton cœur soit partagé.

Le baptême éteindra ces feux dont il soupire,

Et tu vivras fidèle ou périras martyre.

Achève donc ici ton serment commencé :

Achève, et dans l’horreur dont ton cœur est pressé,

Promets au roi Louis, à l’Europe, à ton père,

Au Dieu qui déjà parle à ce cœur si sincère,

De ne point accomplir cet hymen odieux

Avant que le pontife ait éclairé tes yeux,

Avant qu’en ma présence il te fasse chrétienne,

Et que Dieu par ses mains t’adopte et te soutienne.

Le promets-tu, Zaïre ?...

 

ZAÏRE.

 

Oui, je te le promets :

Rends-moi chrétienne et libre ; à tout je me soumets.

Va, d’un père expirant va fermer la paupière ;

Va, je voudrais te suivre, et mourir la première.

 

NÉRESTAN.

 

Je pars ; adieu, ma sœur, adieu : puisque mes vœux

Ne peuvent t’arracher à ce palais honteux,

Je reviendrai bientôt par un heureux baptême

T’arracher aux enfers, et te rendre à toi-même.

 

 

 

  ZAIRE - Acte troisième - Partie 1

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