THEÂTRE : LE DROIT DU SEIGNEUR - Partie 4
Photo de KHALAH
LE DROIT DU SEIGNEUR.
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ACTE PREMIER.
SCÈNE VI.
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ACANTHE, COLETTE.
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COLETTE.
Ah ! n’en fais rien ; crois-moi, ma chère amie,
Du mariage aurais-tu tant d’envie ?
Tu peux trouver beaucoup mieux… que sait-on ?
Aimerais-tu ce méchant ?
ACANTHE.
Mon Dieu, non.
Mais, vois-tu bien, je ne suis plus soufferte
Dans le logis de la marâtre Berthe ;
Je suis chassée ; il me faut un abri ;
Et par besoin je dois prendre un mari.
C’est en pleurant que je cause ta peine.
D’un grand projet j’ai la cervelle pleine ;
Mais je ne sais comment m’y prendre, hélas !
Que devenir ?... Dis-moi, ne sais-tu pas
Si monseigneur doit venir dans ses terres ?
COLETTE.
Nous l’attendons.
ACANTHE.
Bientôt ?
COLETTE.
Je ne sais guères
Dans mon taudis les nouvelles de cour :
Mais s’il revient, ce doit être un grand jour.
Il met, dit-on, la paix dans les familles,
Il rend justice, il a grand soin des filles.
ACANTHE.
Ah ! s’il pouvait me protéger ici !
COLETTE.
Je prétends bien qu’il me protège aussi.
ACANTHE.
On dit qu’à Metz il a fait des merveilles
Qui dans l’armée ont très peu de pareilles ;
Que Charles-Quint a loué sa valeur.
COLETTE.
Qu’est-ce que Charles-Quint ?
ACANTHE.
Un empereur
Qui nous a fait bien du mal.
COLETTE.
Et qu’importe ?
Ne m’en faites pas, vous, et que je sorte
A mon honneur du cas triste où je suis.
ACANTHE.
Comme le tien mon cœur est plein d’ennuis.
Non loin d’ici quelquefois ou me mène
Dans un château de la jeune Dormène (1)…
COLETTE.
Près de nos bois ? … Ah ! le plaisant château !
De Mathurin le logis est plus beau ;
Et Mathurin est bien plus riche qu’elle.
ACANTHE.
Oui, je le sais ; mais cette demoiselle
Est autre chose ; elle est de qualité ;
On la respecte avec sa pauvreté.
Elle a chez elle une vieille personne
Qu’on nomme Laure et dont l’âme est si bonne :
Laure est aussi d’une grande maison.
COLETTE.
Qu’importe encore ?
ACANTHE.
Les gens d’un certain nom,
J’ai remarqué cela, chère Colette,
En savent plus, ont l’âme autrement faite,
Ont de l’esprit, des sentiments plus grands,
Meilleurs que nous.
COLETTE.
Oui, dès leurs premiers ans
Avec grand soin leur âme est façonnée ;
La nôtre, hélas ! languit abandonnée.
Comme on apprend à chanter, à danser,
Les gens du monde apprennent à penser.
ACANTHE.
Cette Dormène et cette vieille dame
Semblent donner quelque chose à mon âme ;
Je crois en valoir mieux quand je les voi ;
J’ai de l’orgueil, et je ne sais pourquoi…
Et les bontés de Dormène et de Laure
Me font haïr mille fois plus encore
Madame Berthe et monsieur Mathurin.
COLETTE.
Quitte-les tous.
ACANTHE.
Je n’ose ; mais enfin
J’ai quelque espoir ; que ton conseil m’assiste.
Dis-moi d’abord, Colette, en quoi consiste
Ce fameux droit du seigneur.
COLETTE.
Oh ! ma foi ?
Va consulter de plus doctes que moi.
Je ne suis point mariée ; et l’affaire,
A ce qu’on dit, est un très grand mystère.
Seconde-moi, fais que je vienne à bout
D’être épousée, et je te dirai tout.
ACANTHE.
Ah ! j’y ferai mon possible.
COLETTE.
Ma mère
Est très alerte, et conduit mon affaire ;
Elle me fait, par un acte plaintif,
Pousser mon droit par-devant le baillif ;
J’aurai, dit-elle, un mari par justice.
ACANTHE.
Que de bon cœur j’en fais le sacrifice !
Chère Colette, agissons bien à point,
Toi, pour l’avoir ; moi, pour ne l’avoir point.
Tu gagneras assez à ce partage ;
Mais en perdant je gagne davantage.
1 – Dans la pièce en cinq actes, Dormène avait un rôle. (G.A.)