TANCREDE - Partie 7

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

TANCRÈDE.

 

 

 

 

______

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

(1)

 

SCÈNE I.

 

_______

 

 

TANCRÈDE, suivi de deux écuyers qui portent sa lance, son écu,

 

ALDAMON.

 

 

_______

 

 

 

TANCRÈDE.

 

A tous les cœurs bien nés que la patrie est chère !

Qu’avec ravissement je revois ce séjour !

Cher et brave Aldamon, digne  ami de mon père,

C’est toi dont l’heureux zèle a servi mon retour.

Que Tancrède est heureux ! que ce jour m’est prospère !

Tout mon sort est changé. Cher ami, je te dois

Plus que je n’ose dire, et plus que tu ne crois.

 

ALDAMON.

 

Seigneur, c’est trop vanter mes services vulgaires,

Et c’est trop relever un sort tel que le mien ;

Je ne suis qu’un soldat, un simple citoyen…

 

TANCRÈDE.

 

Je le suis comme vous : les citoyens sont frères.

 

ALDAMON.

 

Deux ans dans l’Orient sous vous j’ai combattu ;

Je vous vis effacer l’éclat de vos ancêtres ;

J’admirai d’assez près votre haute vertu ;

C’est là mon seul mérite. Elevé par mes maîtres,

Né dans votre maison, je vous suis asservi.

Je dois…

 

TANCRÈDE.

 

Vous ne devez être que mon ami.

Voilà donc ces remparts que je voulais défendre,

Ces murs qui m’ont vu naître, et dont je suis banni !

Apprends-moi dans quels lieux respire Aménaïde.

 

ALDAMON.

 

Dans ce palais antique où son père réside ;

Cette place y conduit : plus loin vous contemplez

Ce tribunal auguste, où l’on voit assemblés

Ces vaillants chevaliers, ce sénat intrépide,

Qui font les lois du peuple, et combattent pour lui,

Et qui vaincraient toujours le musulman perfide,

S’ils ne s’étaient privés de leur plus grand appui.

Voilà leurs boucliers, leurs lances, leurs devises,

Dont la pompe guerrière annonce aux nations

La splendeur de leurs faits, leurs nobles entreprises.

Votre nom seul ici manquait à ces grands noms.

 

TANCRÈDE.

 

Que ce nom soit caché, puisqu’on le persécute ;

Peut-être en d’autres lieux il est célèbre assez.

 

(A ses écuyers.)

 

Vous, qu’on suspende ici mes chiffres effacés ;

Aux fureurs des partis qu’ils ne soient plus en butte ;

Que mes armes sans faste, emblème des douleurs,

Telles que je les porte au milieu des batailles,

Ce simple bouclier, ce casque sans couleurs,

Soient attachés sans pompe à ces tristes murailles.

 

(Les écuyers suspendent ses armes aux places vides,

      au milieu des autres trophées.)

 

Conservez ma devise, elle est chère à mon cœur ;

Elle a dans mes combats soutenu ma vaillance ;

Elle a conduit mes pas, et fait mon espérance ;

Les mots en sont sacrés ; c’est l’amour et l’honneur.

Lorsque les chevaliers descendront dans la place,

Vous direz qu’un guerrier, qui veut être inconnu,

Pour lui suivre au combat dans leurs murs est venu,

Et qu’à les imiter il borne son audace.

 

(A Aldamon.)

 

Quel est leur chef, ami ?

 

ALDAMON.

 

Ce fut depuis trois ans,

Comme vous l’avez su, le respectable Argire.

 

TANCRÈDE, à part.

 

Père d’Aménaïde !...

 

ALDAMON.

 

Succomber au parti dont nous craignons l’empire.

Il reprit à la fin sa juste autorité :

On respecte son rang, son nom, sa probité ;

Mais l’âge l’affaiblit. Orbassan lui succède.

 

TANCRÈDE.

 

Orbassan ! l’ennemi, l’oppresseur de Tancrède !

Ami, quel est le bruit répandu dans ces lieux ?

Ah ! parle, est-il bien vrai que ces audacieux

D’un père trop facile ait surpris la faiblesse,

Que sur Aménaïde il ait levé les yeux,

Qu’il ait osé prétendre à s’unir avec elle ?

 

ALDAMON.

 

Hier confusément j’en appris la nouvelle.

Pour moi, loin de la ville, établi dans ce fort

Où je vous ai reçu, grâce à mon heureux sort,

A mon poste attaché, j’avouerai que j’ignore

Ce qu’on a fait depuis dans ces murs que j’abhorre :

On vous y persécute, ils sont affreux pour moi.

 

TANCRÈDE.

 

Cher ami, tout mon cœur s’abandonne à ta foi (2) ;

Cours chez Aménaïde, et parais devant elle ;

Dis-lui qu’un inconnu, brûlant du plus beau zèle

Pour l’honneur de son sang, pour son auguste nom,

Pour les prospérités de sa noble maison,

Attaché dès l’enfance à sa mère, à sa race,

D’un entretien secret lui demande la grâce.

 

ALDAMON.

 

Seigneur, dans sa maison j’eus toujours quelque accès ;

On y voit avec joie, on accueille, on honore

Tous ceux qu’à votre nom le zèle attache encore.

Plût au ciel qu’on eût vu le pur sang des Français

Uni dans la Sicile au noble sang d’Argire !

Quel que soit le dessein, seigneur, qui vous inspire,

Puisque vous m’envoyez, je réponds du succès.

 

 

 

 

TANCREDE - Acte III - Partie 6

 

 

1 – C’est pour cet acte qu’on voulait tendre le théâtre en noir, et y dresser un échafaud. (G.A.)

 

2 – « Ne sentez-vous pas, écrit Voltaire à Lekain, que tout l’artifice de cette scène consiste, de la part de Tancrède, à s’ouvrir par gradation avec Aldamon ? Il s’en faut bien qu’il doive lui dire tout son secret ; et quand il lui dit : Cher ami, etc. remarquez qu’il se donne bien de garde de dire : J’aime Aménaïde. Il le lui fait assez entendre, et cela est bien plus naturel et bien plus piquant… Il ne permet à son amour d’éclater que dans son monologue. (G.A.)

 

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