TANCREDE - Partie 4
Photo de PAPAPOUSS
TANCRÈDE.
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ACTE PREMIER.
SCÈNE V.
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AMÉNAÏDE.
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AMÉNAÏDE.
Tancrède, cher amant ! moi, j’aurais la faiblesse
De trahir mes serments pour ton persécuteur !
Plus cruelle que lui, perfide avec bassesse,
Partageant ta dépouille avec cet oppresseur,
Je pourrais …
SCÈNE VI.
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AMÉNAÏDE, FANIE.
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AMÉNAÏDE.
Viens, approche, ô ma chère Fanie !
Vois le trait détesté qui m’arrache la vie.
Orbassan par mon père est nommé mon époux !
FANIE.
Je sens combien cet ordre est douloureux pour vous.
J’ai vu vos sentiments, j’en ai connu la force.
Le sort n’eut point de traits, la cour n’eut point d’amorce
Qui pussent arrêter ou détourner vos pas,
Quand la route par vous fut une fois choisie.
Votre cœur s’est donné, c’est pour toute la vie.
Tancrède et Solamir, touchés de vos appas,
Dans la cour des césars en secret soupirèrent :
Mais celui que vos yeux justement distinguèrent,
Qui seul obtint vos vœux, qui sut les mériter,
En sera toujours digne ; et, puisque dans Byzance,
Sur le fier Solamir il eut la préférence,
Orbassan dans ces lieux ne pourra l’emporter :
Votre âme est trop constante.
AMÉNAÏDE.
Ah ! tu n’en peux douter.
On dépouille Tancrède, on l’exile, on l’outrage :
C’est le sort d’un héros d’être persécuté (1),
Je sens que c’est le mien de l’aimer davantage.
Ecoute : dans ces murs Tancrède est regretté ;
Le peuple le chérit.
FANIE.
Banni dans son enfance,
De son père oublié les fastueux amis
Ont bientôt à son sort abandonné le fils.
Peu de cœurs comme vous tiennent contre l’absence.
A leurs seuls intérêts les grands sont attachés.
Le peuple est plus sensible.
AMÉNAÏDE.
Il est aussi plus juste.
FANIE.
Mais il est asservi : nos amis sont cachés ;
Aucun n’ose parler pour ce proscrit auguste.
Un sénat tyrannique est ici tout-puissant.
AMÉNAÏDE.
Oui, je sais qu’il peut tout quand Tancrède est absent.
FANIE.
S’il pouvait se montrer, j’espérerais encore ;
Mais il est loin de vous.
AMÉNAÏDE.
Juste ciel, je t’implore !
(A Fanie.)
Je me confie à toi. Tancrède n’est pas loin ;
Et, quand de l’écarter on prend l’indigne soin,
Lorsque la tyrannie au comble est parvenue,
Il est temps qu’il paraisse, et qu’on tremble à sa vue.
Tancrède est dans Messine.
FANIE.
Est-il vrai ? justes cieux !
Et cet indigne hymen est formé sous ses yeux !
AMÉNAÏDE.
Il ne le sera pas … non, Fanie ; et peut-être
Mes oppresseurs et moi nous n’aurons plus qu’un maître.
Viens… je t’apprendrai tout… mais il faut tout oser ;
Le joug est trop honteux ; ma main doit le briser.
La persécution enhardit ma faiblesse (2).
Le trahir est un crime ; obéir est bassesse.
S’il vient, c’est pour moi seule, et je l’ai mérité :
Et moi, timide esclave, à son tyran promise,
Victime malheureuse indignement soumise,
Je mettrais mon devoir dans l’infidélité !
Non, l’amour à mon sexe inspire le courage :
C’est à moi de hâter ce fortuné retour ;
Et s’il est des dangers que ma crainte envisage,
Ces dangers me sont chers, ils naissent de l’amour.
1 – En avril 1762, le maréchal de Broglie ayant été exilé de la cour, tout le monde battit des mains à ces vers, et on cria : Broglie ! Broglie ! par manière de protestation. (G.A.)
2 – « Je m’en tiens à cette manière de finir le premier acte, écrit Voltaire ; cela fortifie le caractère d’Aménaïde, et rend en même temps ses accusateurs moins odieux… Le second acte commence encore d’une façon plus forte… et cette fermeté du caractère d’Aménaïde prépare mieux les reproches vigoureux qu’elle fait ensuite à son père. » (G.A.)