SATIRE : Le bourbier

Publié le par loveVoltaire

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LE BOURBIER

 

 

 

(1)

 

 

 

  1714 

 

 

 

 

 

 

Pour tous rimeurs, habitants du Parnasse,

De par Phébus il est plus d’une place :

Les rangs n’y sont confondus comme ici :

Et c’est raison. Ferait beau voir aussi

Le fade auteur (2) d’un roman ridicule.

Sur même lit couché près de Catulle ;

Ou bien La Motte ayant l’honneur du pas

Sur le harpeur (3) ami de Mécénas :

Trop bien Phébus sait de sa république

Régler les rangs et l’ordre hiérarchique ;

Et, dispensant honneur et dignité,

Donne à chacun ce qu’il a mérité.

Au haut du mont sont fontaines d’eau pure,

Riant jardins, non tels qu’à Châtillon

En a planté l’ami de Crébillon (4),

Et dont l’art seul a fourni la parure :

Ce sont jardins ornés par la nature.

Là sont lauriers, orangers toujours verts ;

Séjournent là gentils faiseurs de vers.

Anacréon, Virgile, Horace, Homère,

Dieux qu’à genoux le bon Dacier révère,

D’un beau laurier y couronnent leur front.

Un peu plus bas, sur le penchant du mont,

Est le séjour de ces esprits timides,

De la raison partisans insipides,

Qui, compassés dans leurs vers languissants,

A leur lecteur font haïr le bon sens.

A donc, amis, si, quand ferez voyage,

Vous abordez la poétique plage,

Et que La Motte ayez désir de voir,

Retenez bien qu’illec est son manoir.

Là ses consorts ont leurs têtes ornées

De quelques fleurs presqu’en naissant fanées,

D’un sol aride incultes nourrissons,

Et digne prix de leurs maigres chansons.

Cettui pays n’est pays de Cocagne.

Il est enfin, au pied de la montagne,

Un bourbier noir, d’infecte profondeur,

Qui fait sentir très malplaisante odeur

A tout chacun, fors à la troupe impure

Qui va nageant dans ce fleuve d’ordure.

Et qui sont-ils ces rimeurs diffamés ?

Pas ne prétends que par moi soient nommés.

Mais quand verrez chansonniers, faiseurs d’odes,

Rogues corneurs de leurs vers incommodes,

Peintres, abbés, brocanteurs, jetonniers,

D’un vil café superbes casaniers,

Où tous les jours, contre Rome et la Grèce

De maldisants se tient bureau d’adresse,

Direz alors, en voyant tel gibier :

Ceci paraît citoyen du bourbier.

De ces grimauds la croupissante race

En cettui lac incessamment coasse

Contre tous ceux qui, d’un vol assuré,

Sont parvenus au haut du mont sacré.

En ce seul point cettui peuple s’accorde,

Et va cherchant la fange la plus orde

Pour en noircir les menins d’Hélicon,

Et polluer le trône d’Apollon.

C’est vainement : car cet impur nuage

Que contre Homère, en son aveugle rage,

La gent moderne assemblait avec art,

Est retombé sur le poète Houdart :

Houdart, ami de la troupe aquatique,

Et de leurs vers approbateur unique,

Comme est aussi le tiers-état auteur

Dudit Houdart unique admirateur ;

Houdart enfin, qui, dans un coin du Pinde,

Loin du sommet où Pindare se guinde ;

Non loin du lac est assis, ce dit-on,

Tout au dessus de l’abbé Terrasson.

 

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1 – Cette satire, qu’on intitule aussi le Parnasse, était dirigée contre La Motte-Houdart, qui avait fait adjuger le prix de l’Académie sur le Vœu de Louis III à l’abbé Du Jarry et non au jeune Arouet . Ces vers firent scandale. L’auteur avait vingt ans. (G.A.)

 

2 – La Chapelle, auteur des Amours de Catulle. (G.A.)

 

3 – Horace. (G.A.)

 

4 – C’était le banquier suisse Hoguère, qui habitait le château de Châtillon près de Paris. (G.A.)

 

 

 

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