PRECIS DU SIECLE DE LOUIS XV : Avertissement

Publié le par loveVoltaire

PRECIS LOUIS XV - Avertissement-1

  

 Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRÉCIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV.

 

 

 

 

 

AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.

 

 

 

 

 

 

         Cet ouvrage ne s’offre pas, comme les précédents, avec un titre exact. Il s’agit bien d’un précis, mais ce n’est pas celui d’un siècle, et c’est à peine celui d’un règne. Les événements qu’on y raconte appartiennent, pour la moitié, au siècle de Louis XIV, tel que Voltaire comprend ce siècle (1650 – 1657) ; et c’est à l’ère révolutionnaire que le reste du livre pourrait servir d’introduction. Ce titre « PRÉCIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV » n’est donc qu’une rubrique assez vague sous laquelle Voltaire s’est avisé de présenter l’histoire de son temps même. Et dans ce genre fort à la mode de nos jours, le narrateur-philosophe est encore passé maître, car son récit a le double mérite d’être impersonnel et véridique.

 

         Quoiqu’il ait été mêlé à presque tous les événements politiques de son époque ; quoiqu’il se soit trouvé, par droit de génie, à la tête du chœur des idées d’alors, Voltaire a le bon goût de s’effacer au point de ne se permettre le je que trois ou quatre fois au plus dans tout le cours de cette histoire de cinquante années. Et, quand à la vérité, ― s’il ne peut nous la montrer entière et dans son plein jour, ― il sait en faire voir assez pour qu’on devine sans peine ce qu’il est forcé de laisser dans l’ombre. Chose rare ! il a oublié ses rancunes de proscrit et de persécuté pour se conter d’être juste ; et, miracle d’habileté ! il est parvenu sans trop d’ennuis à publier cette justice du vivant même de ce règne qu’il a qualifié lui-même quelque part de « règne du dégoût. »  Qui d’entre nous pourrait se vanter d’avoir tant de force et tant d’art !

 

         Comme le Dictionnaire, comme l’Essai, comme le Siècle, ce Précis a eu ses aventures de composition, de publication, de remaniement, et peut-être sont-elles encore plus piquantes que les autres.

 

         En 1746, Voltaire ayant été nommé historiographe de France, accepta d’écrire à ce titre l’histoire de la guerre de 1741. Ce travail avait un caractère officiel et semi-confidentiel ; le comte d’Argenson, ministre de la guerre, en surveilla la rédaction, et trois copies seulement en furent distribuées, l’une au ministre même, l’autre au duc de Richelieu, et la troisième à madame de Pompadour. Le manuscrit destiné à cette dame se terminait par une galanterie de cour assaisonnée de malice : « Il faut avouer que l’Europe peut dater sa félicité du jour de cette paix (1). On apprendra avec surprise qu’elle fut le fruit des conseils pressants d’une dame d’un haut rang, célèbre par ses charmes, par des talents singuliers, par son esprit et par une place enviée. Ce fut la destinée de l’Europe, dans cette longue querelle, qu’une femme la commença (2), et qu’une femme la finit : la seconde a fait autant de bien que la première avait causé de mal, s’il est vrai que la guerre soit le plus grand des fléaux qui puissent affliger la terre, et que la paix soit le plus grand des biens qui puissent la consoler. »  Nous avouerons à notre tour que cette conclusion n’est pas à l’honneur de Louis XV, et moins encore à l’honneur de la paix, contre laquelle, au reste, l’opinion protestait. Le travail ministériel de Voltaire n’était donc pas destiné à l’impression.

 

         Mais neuf ans s’écoulent. Voltaire a eu tout le temps de se brouiller avec la cour de Versailles, d’aller vivre chez le roi de Prusse, de se brouiller encore avec ce roi, de revenir en fugitif sur les frontières de France, et de s’établir enfin auprès de Genève, quand il apprend que l’Histoire de la guerre de 1741 vient d’être publiée à Paris chez le libraire Prieur. Il se récrie et d’autant plus haut que deux ans auparavant les premiers volumes de l’Essai avaient déjà paru à son insu, et que son poème la Pucelle allait infailliblement se produire aussi par abus de confiance. Or, qu’apprend-il cette fois ? qu’il est la victime d’un vol, et le coupable, c’est un écrivain, le marquis de Ximenès, qui venait de manger une fortune de six cent mille livres, et qui, sous la Révolution, osera se faire saluer doyen des poètes sans-culottes. Il avait dérobé chez la nièce même de Voltaire, madame Denis, les manuscrits qu’elle tenait en dépôt, et, par l’intermédiaire de deux autres de ses confrères en littérature. Richer et La Morlière, il les avait vendus six cents livres. Voilà ce qui fut raconté à Voltaire, mais sans lui dire que sa chère nièce se trouvait complice du larcin. Voltaire écrivit aux puissances pour faire saisir l’édition ; il craignait d’être accusé, non plus d’injure cette fois comme pour l’Essai, mais de flatterie, disait-il. On ne pouvait saisir qu’à Paris ; Amsterdam et La Haye éditèrent ; et voilà un livre informe qui se vend encore sous le nom de Voltaire.

 

         Lorsqu’en 1749 on avait enlevé de Paris le prétendant, Voltaire indigné s’était bien juré de ne plus rien écrire de Louis XV ; mais en présence de cette publication subreptice, il se crut quitte de parole envers lui-même. C’est alors qu’il entrevit la possibilité de fondre en un vaste ensemble tous ses travaux historiques. L’Essai venait d’être achevé, il rêva de le coudre au Siècle de Louis XIV, puis, cela fait, il prolongea son Siècle primitif jusqu’à sa Guerre de 1741, que, remaniée, il y accola ; et puis enfin, entraîné, il va encore, il écrit toujours, et que publie-t-il d’un coup en 1763 ? une Histoire générale, laquelle comprend et son Essai sur les mœurs et son Siècle de Louis XIV, lequel siècle, non-seulement s’étend alors jusqu’à sa limite idéale de 1750, mais embrasse encore tout ce qu’il y a d’écoulé du règne de Louis XV.

 

         Les derniers chapitres de cette grosse histoire éveillèrent l’attention des parlementaires. Voltaire y blâmait assez ouvertement la condamnation du général Lally ; il y racontait gaiement les querelles du parlement et du clergé ; et, pour conclusion, il mettait l’assassinat du roi de Portugal et la complicité des jésuites en regard de l’attentat de Damiens qu’il présentait comme ayant été inspiré par les parlementaires. Mais l’historien avait si bien ménagé la personne du roi et caressé si délicatement certains amours-propres de cour, que Messieurs durent hésiter à poursuivre l’ouvrage ; ils se contentèrent d’en arrêter la publication pendant quelques mois.

 

         Or, à six ans de là, Voltaire, renonçant à l’ensemble pour revenir à la division, faisait trois parts de son travail, et, ajoutant quelques chapitres à la portion contemporaine, il la donnait sous le titre qu’elle porte aujourd’hui, mais avec une conclusion plus nette encore que la première, et qu’il acheva de compléter en 1775.

 

         Quel souhait Voltaire laissait-il entrevoir dans le dernier chapitre de son Siècle de Louis XIV ? Il demandait, sous son masque chinois, qu’on mît fin aux querelles religieuses en expulsant du territoire les fauteurs de ces querelles. Eh bien, qu’a-t-il vu ? que peut-il annoncer à la fin du règne de Louis XV ? L’expulsion de France des jésuites et la destruction du jansénisme parlementaire. Et c’est ce qui le console de l’état désastreux où se trouve alors la monarchie française. Bien mieux, en face de cette monarchie décrépite, il pousse un dernier cri qui sera le premier de 89 : Des lois ! Et il formule ses vœux que la Révolution seule accomplira, grâce aux lettrés philosophes.

 

         Dans ce modèle d’histoire contemporaine, Voltaire a su rejeter les détails inutiles et les événements communs ; si, contre son habitude, il a consacré quelques pages à une description de bataille, c’est qu’il donne là un travail spécial qu’il avait primitivement esquissé pour le ministre de la guerre. La figure du grand roi-philosophe, Frédéric II, est bien laissée dans l’ombre, mais il faut faire politesse à  Louis XV, et le récit souffre peu de cette petite convenance nationale. Les événements de l’Inde sont exactement rapportés, sauf des erreurs de détail, qu’un habitant de Pondichéry, M. Bourcet, a relevées du vivant même de Voltaire. Nous donnerons quelques notes d’après M. Bourcet, de même que nous adopterons les petits changements faits au texte du Précis par M. Beuchot, d’après des corrections écrites de la main de Voltaire lui-même sur un exemplaire de l’édition de 1775.

 

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1 – Paix d’Aix-la-Chapelle.

 

2 – La duchesse de Châteauroux, une des maîtresses de Louis XV.

 

 

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