ODE : A MM. de L'Académie des Sciences

Publié le par loveVoltaire

moyenne2626267416_0175d72099-copie-1.jpg

 

 

 

 

 

 

 

A MM. DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES,

 

QUI ONT ÉTÉ SOUS L’ÉQUATEUR ET AU CERCLE POLAIRE

MESURER DES DEGRÉS DE LATITUDE

 

 

− 1738 −

 

(1)

 

 

 

O Vérité sublime ! ô céleste Uranie !

Esprit né de l’esprit qui forma l’univers,

Qui mesures des cieux la carrière infinie,

Et qui pèses les airs :

 

Tandis que tu conduis sur les gouffres de l’onde

Ces voyageurs savants, ministres de tes lois,

De l’ardent équateur ou du pôle du monde,

Entends ma faible voix.

 

Que font tes vrais enfants ? Vainqueurs de la nature,

Ils arrachent son voile ; et ces rares esprits

Fixent la pesanteur, la masse, et la figure,

De l’univers surpris.

 

Les enfers sont émus au bruit de leur voyage :

Je vois paraître au jour les ombres des héros,

De ces Grecs renommés qu’admira le rivage

De l’antique Colchos.

 

Argonautes fameux, demi-dieux de la Grèce,

Castor, Pollux, Orphée, et vous, heureux Jason,

Vous de qui la valeur, et l’amour, et l’adresse,

Ont conquis la toison.

 

En voyant les travaux et l’art de nos grands hommes,

Que vous êtes honteux de vos travaux passés !

Votre siècle est vaincu par le siècle où nous sommes ;

Venez et rougissez.

 

Quand la Grèce parlait, l’univers en silence

Respectait le mensonge ennobli par sa voix ;

Et l’Admiration, fille de l’Ignorance,

Chanta de vains exploits (2).

 

Heureux qui les premiers marchent dans la carrière !

N’y fassent-ils qu’un pas, leurs noms sont publiés :

Ceux qui trop tard venus la franchissent entière

Demeurent oubliés.

 

Le Mensonge réside au temple de Mémoire ;

Il y grava, des mains de la Crédulité,

Tous ces fastes des temps destinés pour l’histoire

Et pour la vérité.

 

Uranie, abaissez ces triomphe des fables ;

Effacez tous ces noms qui nous ont abusés ;

Montrez aux nations les héros véritables

Que vous seule instruisez.

 

Le Génois qui chercha, qui trouva l’Amérique,

Cortez qui la vainquit par de plus grands travaux,

En voyant des Français l’entreprise héroïque,

Ont prononcé ces mots :

 

« L’ouvrage de nos mains n’avait point eu d’exemples,

Et par nos descendants ne peut être imité :

Ceux à qui l’univers a fait bâtir des temples

L’avaient moins mérité.

 

« Nous avons fait beaucoup, vous faites davantage ;

Notre nom doit céder à l’éclat qui vous suit.

Plutus guida nos pas dans ce monde sauvage :

La vertu vous conduit. »

 

Comme ils parlaient ainsi, Newton dans l’empyrée,

Newton les regardait, et du ciel entr’ouvert :

« Confirmez, disait-il, à la terre éclairée

Ce que j’ai découvert (3).

 

« Tandis que des humains le troupeau méprisable,

Sous l’empire des sens indignement vaincu,

De ses jours indolents traînant le fil coupable,

Meurt sans avoir vécu,

 

« Donnez un digne essor à votre âme immortelle ;

Eclairez des esprits nés pour la vérité.

Dieu vous a confié la plus vive étincelle

De la divinité.

 

« De la raison qu’il donne il aime à voir l’usage ;

Et le plus digne objet des regards éternels,

Le plus brillant spectacle, est l’âme du vrai sage

Instruisant les mortels.

 

« Mais surtout écartez ces serpents détestables,

Ces enfants de l’Envie, et leur souffle odieux ;

Qu’ils n’empoisonnent pas ces âmes respectables

Qui s’élèvent aux cieux.

 

« Laissez un vil Zoïle aux fanges du Parnasse

De ces coassements importuner le ciel,

Agir avec bassesse, écrire avec audace,

Et s’abreuve de fiel.

 

« Imitez ces esprits, ces fils de la lumière,

Confident du Très-Haut, qui vivent dans son sein,

Qui jettent comme lui sur la nature entière

Un œil pur et serein. »

 

 

 

 

 

   

moyenne2626267416_0175d72099-copie-1.jpg

 

 

 

1 – Maupertuis, Clairaut, Camus, Lemonnier, Bouguer, Godin et La Condamine. Cette ode fut publiée avant le retour des trois derniers, lors de l’apparition du livre de Maupertuis sur la Figure de la terre. (G.A.)

 

2 – En effet, il n’y a pas un de nos capitaines de vaisseau, pas un seul de nos pilotes, qui ne soit cent fois plus instruit que tous les Argonautes, Hercule, Thésée, et tous les héros de la guerre de Troie, n’auraient pas tenu devant six bataillons commandés par le grand Condé, ou Turenne, ou Marlborough. Thalès et Pythagore n’étaient pas dignes d’étudier sous Newton. Alcide et Armide valent mieux que toutes les poésies grecques ensemble. Mais les premiers venus s’emparent du temple de la Gloire, le temps les y affermit, et les derniers trouvent la place prise. (1775)

 

3 – Cette expédition, qui eut pour résultat de constater l’aplatissement des pôles, mit fin à toute discussion sur la physique de Newton. (G.A.)

 

4 – Voyez la lettre à d’Argental, 12 Juin 1740. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Odes

Commenter cet article