NANINE - Partie 10

Publié le par loveVoltaire

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 Photo de ROMAIN

 

 

 

 

 

NANINE.

 

 

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ACTE DEUXIÈME.

 

 

SCÈNE   XI.

 

 

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LA MARQUISE, LE COMTE, LA BARONNE.

 

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LE COMTE, à sa mère.

 

Madame, j’aurais dû…

 

 

(A part.)                                  (A sa mère.)

 

 

Philippe Hombert ! Vous m’avez prévenu.

Et mon respect, mon zèle, ma tendresse…

 

 

(A part.)

 

 

Avec cet air innocent, la traîtresse !

 

LA MARQUISE.

 

Mais vous extravaguez, mon très cher fils.

On m’avait dit, en passant par Paris,

Que vous aviez la tête un peu frappée :

Je m’aperçois qu’on ne m’a pas trompée :

Mais ce mal-là…

 

LE COMTE.

 

Ciel, que je suis confus !

 

LA MARQUISE.

 

Prend-il souvent ?

 

LE COMTE.

 

Il ne me prendra plus.

 

LA MARQUISE.

 

Çà, je voudrais ici vous parler seule.

 

 

(Faisant une petite révérence à la baronne.)

 

 

LA BARONNE, à part.

 

Hom ! la vieille bégueule !

Madame, il faut vous laisser le plaisir

D’entretenir monsieur tout à loisir.

Je me retire.

 

 

(Elle sort.)

 

 

 

 

 

SCÈNE   XII.

 

 

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LA MARQUISE, LE COMTE.

 

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LA MARQUISE, parlant fort vite, et d’un ton de petite vieille babillarde.

 

 

 

Eh bien ! monsieur le comte,

Vous faites donc à la fin votre compte

De me donner la baronne pour bru ;

C’est sur cela que j’ai vite accouru.

Votre baronne est une acariâtre,

Impertinente, altière, opiniâtre,

Qui n’eut jamais pour moi le moindre égard ;

Qui l’an passé, chez la marquise Agard,

En plein souper me traita de bavarde :

D’y plus souper désormais Dieu me garde !

Bavarde, moi ! je sais d’ailleurs très bien

Qu’elle n’a pas, entre nous, tant de bien :

C’est un grand point ; il faut qu’on s’en informe ;

Car on m’a dit que son château de l’Orme

A son mari n’appartient qu’à moitié ;

Qu’un vieux procès, qui n’est pas oublié,

Lui disputait la moitié de la terre :

J’ai su cela de feu votre grand-père :

Il disait vrai, c’était un homme, lui :

On n’en voit plus de sa trempe aujourd’hui.

Paris est plein de ces petits bouts d’hommes.

Vains, fiers, fous, sots, dont le caquet m’assomme,

Parlant de tout avec l’air empressé,

Et se moquant toujours du temps passé.

J’entends parler de nouvelle cuisine,

De nouveaux goûts ; on crève, on se ruine :

Les femmes sont sans frein, et les maris

Sont des benêts. Tout va de pis en pis (1).

 

LE COMTE, relisant le billet..

 

Qui l’aurait cru ? ce trait me désespère.

Eh bien ! Germon ?

 

 

 

1 – Mademoiselle Dangeville, qui débitait ce couplet, était la Déjazet de l’époque. Elle jouait les travestis ; tantôt Lisette, tantôt petite vieille, et tantôt même portant culotte. C’est ainsi qu’elle ressuscita un jour l’Indiscret de Voltaire en s’emparant du rôle du jeune étourdi. (G.A.)

 

 

 

 

SCÈNE   XIII.

 

 

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LA MARQUISE, LE COMTE, GERMON.

 

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GERMON.

 

Voici votre notaire.

 

LE COMTE.

 

Oh ! qu’il attende.

 

GERMON.

 

Et voici le papier

Qu’elle devait, monsieur, vous envoyer.

 

LE COMTE, lisant.

 

Donne. Fort bien. Elle m’aime, dit-elle,

Et, par respect, me refuse… Infidèle !

Tu ne dis pas la raison du refus !

 

LA MARQUISE.

 

Ma foi, mon fils a le cerveau perclus :

C’est sa baronne ; et l’amour le domine.

 

LE COMTE, à Germon.

 

M’a-t-on bientôt délivré de Nanine ?

 

GERMON.

 

Hélas ! monsieur, elle a déjà repris

Modestement ses champêtres habits,

Sans dire un mot de plainte et de murmure.

 

LE COMTE.

 

Je le crois bien.

 

GERMON.

 

Elle a pris cette injure

Tranquillement, lorsque nous pleurons tous.

 

LE COMTE.

 

Tranquillement ?

 

LA MARQUISE.

 

Hem ! de qui parlez-vous ?

 

GERMON.

 

Nanine, hélas ! madame, que l’on chasse :

Tout le château pleure de sa disgrâce.

 

LA MARQUISE.

 

Vous la chassez ? je n’entends point cela.

Quoi ! ma Nanine ? Allons, rappelez-là.

Qu’a-t-elle fait, ma charmante orpheline ?

C’est moi, mon fils, qui vous donnait Nanine.

Je me souviens qu’à l’âge de dix ans

Elle enchantait tout le monde céans.

Notre baronne ici la prit pour elle ;

Et je prédis dès lors que cette belle

Serait fort mal ; et j’ai très bien prédit :

Mais j’eus toujours chez vous peu de crédit :

Vous prétendez tout faire à votre tête ;

Chasser Nanine est un trait malhonnête.

 

LE COMTE.

 

Quoi ! seule, à pied, sans secours, sans argent ?

 

GERMON

 

Ah ! j’oubliais de dire qu’à l’instant

Un vieux bon homme à vos gens se présente :

Il dit que c’est une affaire importante

Qu’il ne saurait communiquer qu’à vous ;

Il veut, dit-il, se mettre à vos genoux.

 

LE COMTE.

 

Dans le chagrin où mon cœur s’abandonne,

Suis-je en état de parler à personne ?

 

LA MARQUISE.

 

Ah ! vous avez du chagrin, je le croi ;

Vous m’en donnez aussi beaucoup à moi.

Chassez Nanine, et faire un mariage

Qui me déplaît ! Non, vous n’êtes pas sage.

Allez ; trois mois ne seront pas passés

Que vous serez l’un de l’autre lassés.

Je vous prédis la pareille aventure

Qu’à mon cousin le marquis de Marmure.

Sa femme était aigre comme verjus ;

Mais, entre nous, la vôtre l’est bien plus.

En s’épousant, ils crurent qu’ils s’aimèrent ;

Deux mois après tous deux se séparèrent :

Madame alla vivre avec un galant,

Fat, petit-maître, escroc, extravagant ;

Et monsieur prit une franche coquette,

Une intrigante et friponne parfaite ;

Des soupers fins, la petite-maison,

Chevaux, habits, maître-d’hôtel, fripon,

Bijoux nouveaux pris à crédit, notaires,

Contrats vendus, et dettes usuraires :

Enfin monsieur et madame, en deux ans,

A l’hôpital allèrent tout d’un temps.

Je me souviens encor d’une autre histoire,

Bien plus tragique, et difficile à croire ;

C’était …

 

LE COMTE.

 

Ma mère, il faut aller dîner.

Venez… O ciel ! ai-je pu soupçonner

Pareille horreur !

 

LA MARQUISE.

 

Elle est épouvantable.

Allons, je vais la raconter à table ;

Et vous pourrez tirer un grand profit

En temps et lieu de tout ce que j’ai dit.

 

 

 

NANINE-ACTE II-SCENE XI

 

 

 

 

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