MEMOIRE

Publié le par loveVoltaire

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MÉMOIRE

 

IMPRIMÉ DANS LE JOURNAL DES SAVANTS.

 

 

(Octobre 1738)

 

 

 

 

 

 

         Je suis obligé de déclarer qu’ayant fait présent de mes ouvrages aux sieurs Ledet, libraires, étant ensuite retombé très malade à la campagne, pendant qu’on imprimait les Eléments de Newton, et n’ayant pu finir cet ouvrage, lesdits libraires ont fait achever le vingt-troisième chapitre et faire le vingt-quatrième par un mathématicien habile, sans m’en avertir. Loin que je m’en sois plaint, j’ai rendu justice publiquement à la science du continuateur, et je crois que cette partie de l’ouvrage sera la plus utile aux physiciens. Il est vrai que je ne suis pas du sentiment du continuateur sur la lumière zodiacale, que M. Fatio compose, dit-on, de petites planètes. Je ne saurais surtout admettre l’hypothèse du continuateur sur l’anneau de Saturne, après avoir lu l’excellent livre de M. de Maupertuis sur la figure des astres, où l’on explique si bien la formation de cet anneau par les principes des forces centrifuges. Mais j’ai trouvé tant de mérite dans le reste de ces chapitres, que je me suis cru honoré de les voir dans mon ouvrage. Il paraît qu’ils ne sont pas assez à la portée des commençants ; mais ce que j’ai fait étant destiné aux personnes sans études, et les chapitres de ce savant étant faits pour des physiciens consommés, il se trouvera par là qu’en effet ces Eléments seront pour tout le monde, et que le livre en sera plus utile.

 

         On a fait à Paris depuis peu, sous le nom de Londres, une édition d’après celle de Hollande, dans laquelle on a mis en forme de préface des Eclaircissements qui avaient déjà paru dans le journal de Trévoux et en Angleterre. J’ai envoyé aux éditeurs beaucoup d’additions et de corrections absolument nécessaires.

 

         Je souhaite que les éditeurs d’Amsterdam se conforment entièrement à cette édition, qui est sous le nom de Londres, et qu’on observe d’en corriger les fautes très grandes qui se trouvent réformées dans l’errata. Moyennant cette attention, les libraires de Hollande auront leur édition complète. Je ne prends aucun parti entre les intérêts des libraires de France et de Hollande. J’achète comme les autres l’édition qui me paraît la meilleure. Tout ce que je demande, c’est que le public soit servi avec exactitude, et que les libraires se donnent la peine de faire des cartons quand il le faut. Une faute à laquelle le lecteur supplée aisément a besoin tout au plus d’un errata ; mais quand elle est considérable, il faut un carton. Ce que je dis ici est uniquement pour la perfection des arts, à laquelle on doit toujours tendre.

 

         Je me suis aperçu en dernier lieu, par mon expérience et par celle des personnes qui lisaient avec moi la géométrie et les mathématiques du grand philosophe M. Volfius, édition de Genève, 1732, combien il est désagréable d’avoir si souvent des erreurs de calcul, et d’être obligé de consulter à chaque instant un errata de huit pages entières, tandis que dans le tome de l’Infini de M. de Fontenelle il n’y a qu’une seule faute d’impression.

 

         Beaucoup d’erreurs viennent aussi des copistes ; et voilà pourquoi la plupart des livres imprimés loin des yeux de l’auteur fourmillent de tant de fautes.

 

         Ces inconvénients en attirent encore un autre très fréquent ; ceux qui travaillent à cette multitude de journaux dont l’Europe est remplie, n’ont pas toujours l’équité de distinguer entre les fautes qu’on peut attribuer à l’auteur, et celles qu’on peut imputer à l’éditeur ; et de là viennent des pages entières d’invectives, de railleries, souvent même d’accusations les plus graves. On m’a fait voir par hasard, depuis peu, un ancien journal où il y a une longue dissertation très amère contre moi, sur ce que j’avait dit, à ce qu’on prétend, que le P. Malebranche admit les idées innées (2). Si l’auteur de ces invectives avait daigné lire n’admit point, qui fait un sens avec le reste de la phrase, au lieu d’admit qui n’en fait point, il se serait épargné le repentir d’avoir dit des injures injustes à un honnête homme qu’il ne connaît pas. Il en est ainsi de la personne qui vient d’insérer des invectives, sous le nom d’un libraire, dans le Journal des Savants, mois de juin, édition d’Amsterdam, et qui veut ravir à ce journal la gloire qu’il a eue d’être toujours écrit avec politesse. Il ne faut répondre à ces injustices, dont sans doute leurs auteurs rougiront un jour, que ce que répondit le P. Bouhours à Ménage. Il recueillit une centaine d’injures que Ménage lui avait dites, et il mit au bas : Il faut convenir que M. Ménage est un homme bien poli.

 

         On ne saurait encore trop avertir le public d’un abus bien contraire à la société civile, qui s’accrédite depuis quelques années. Plusieurs personnes qui font métier d’envoyer des nouvelles, soit politiques, soit littéraires, en Hollande, étant souvent mal informées, inspirées par de mauvais conseils ou par le désir dangereux de mieux faire valoir leurs nouvelles, écrivent quelquefois des choses également contraires à la vérité et à la probité. Ces mensonges, qui ne peuvent être imprimés à Paris, grâce à la sage vigilance des magistrats, sont quelquefois imprimés dans huit ou neuf journaux français, et plus de vingt gazettes françaises qui se composent en pays étranger ; ainsi une imposture fait bientôt le tour de l’Europe, et ces fausses nouvelles sont devenues réellement une branche de commerce.

 

         C’est un inconvénient attaché au progrès des belles-lettres, et peut-être y aurait-il un plus grand inconvénient à le détruire tout à fait. Le public n’y peut apporter d’autre remède qu’une défiance extrême en lisant ces ouvrages ; et c’est ainsi presque toujours qu’il faut tout lire.

 

         Je ne répondrai point ici à toutes ces objections que l’on fait en France contre les vérités indiquées dans les Eléments de Newton. Je dirai seulement avec le journal de Trévoux que, pour attaquer la plupart des choses que j’ai expliquées, il faut attaquer Newton lui-même, et que ce n’est pas une petite entreprise.

 

 

 

VOLTAIRE.

 

 

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1 – Nous avons rejeté à la fin des SCIENCES ce Mémoire, parce qu’il n’est qu’un avis au public. (G.A.)

 

2 – Voyez la treizième des Lettres anglaises. (G.A.)

 

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