MAHOMET - Partie 10 : Acte quatrième

Publié le par loveVoltaire

MAHOMET -ACTE 4 - Partie 2

 

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M A H O M E T.

 

 

 

 

ACTE QUATRIÈME.

 

 

 

 

 

SCÈNE IV.

 

 

ZOPIRE, SÉIDE, PALMIRE, sur le devant.

 

 

 

 

ZOPIRE, près de l’autel.

 

O dieux de ma patrie !

Dieux prêts à succomber sous une secte impie,

C’est pour vous-même ici que ma débile voix

Vous implore aujourd’hui pour la dernière fois.

La guerre va renaître, et ses mains meurtrières

De cette faible paix vont briser les barrières.

Dieux ! si d’un scélérat vous respectez le sort…

 

SÉIDE, à Palmire.

 

Tu l’entends qui blasphème (3) ?

 

ZOPIRE

 

Accordez-moi la mort.

Mais rendez-moi mes fils à mon heure dernière ;

Que j’expire en leurs bras, qu’ils ferment ma paupière.

Hélas ! si j’en croyais mes secrets sentiments,

Si vos mains en ces lieux ont conduit mes enfants…

 

PALMIRE, à Séide.

 

Que dit-il ? ses enfants ?

 

ZOPIRE.

 

O mes dieux que j’adore !

Je mourrais du plaisir de les revoir encore.

Arbitres des destins, daignez veiller sur eux ;

Qu’ils pensent comme moi, mais qu’ils soient plus heureux.

 

SÉIDE.

 

Il court à ses faux dieux ! frappons.

 

(Il tire son poignard.)

PALMIRE.

 

Que vas-tu faire ?

Hélas !

 

 

SÉIDE.

 

Servir le ciel, te mériter, te plaire.

Ce glaive à notre dieu, vient d’être consacré ;

Que l’ennemi de dieu soit par lui massacré !

Marchons. Ne vois-tu pas dans ces demeures sombres

Ces traits de sang, ce spectre, et ces errantes ombres ?

 

PALMIRE.

 

Que dis-tu ?

 

SÉIDE.

 

Je vous suis, ministres du trépas :

Vous me montrez l’autel ; vous conduisez mon bras.

Allons.

 

PALMIRE.

 

Non ; trop d’horreur entre nous deux s’assemble.

Demeure.

 

SÉIDE.

 

Il n’est plus temps, avançons : l’autel tremble.

 

PALMIRE.

 

Le ciel se manifeste, il n’en faut pas douter.

 

SÉIDE.

 

Me pousse-t-il au meurtre, ou veut-il m’arrêter ?

Du prophète de dieu la voix se fait entendre :

Il me reproche un cœur trop flexible et trop tendre.

Palmire !

 

PALMIRE.

 

Eh bien ?

 

SÉIDE.

 

Au ciel adressez tous vos vœux !

Je vais frapper.

 

(Il sort, et va derrière l’autel où est Zopire.)

 

 

PALMIRE.

 

Je meurs ! O moment douloureux !

Quelle effroyable voix dans mon âme s’élève !

D’où vient que tout mon sang malgré moi se soulève ?

Si le ciel veut un meurtre, est-ce à moi d’en juger ?

Est-ce à moi de m’en plaindre, et de l’interroger ?

J’obéis. D’où vient donc que le remords m’accable ?

Ah ! quel cœur sait jamais s’il est juste ou coupable ?

Je me trompe, ou les coups sont portés cette fois ;

J’entends les cris plaintifs d’une mourante voix.

Séide… hélas !...

 

SÉIDE revient d’un air égaré.

 

Où suis-je ? et quelle voix m’appelle ?

Je ne vois point Palmire ; un dieu m’a privé d’elle.

 

PALMIRE.

 

Eh quoi ! méconnais-tu celle qui vit pour toi ?

 

SÉIDE.

 

Où sommes-nous ?

 

PALMIRE.

 

Eh bien ! cette effroyable loi,

Cette triste promesse est-elle enfin remplie ?

 

SÉIDE.

 

Que me dis-tu ?

 

PALMIRE.

 

Zopire a-t-il perdu la vie ?

 

SÉIDE.

 

Qui, Zopire ?

 

PALMIRE.

 

Ah ! grand dieu ! dieu de sang altéré,

Ne persécutez point son esprit égaré.

Fuyons d’ici.

 

SÉIDE.

 

Je sens que mes genoux s’affaissent.

 

(Il s’assied.)

 

Ah ! je revois le jour et mes forces renaissent.

Quoi ! c’est vous ?

 

PALMIRE.

 

Qu’as-tu fait ?

 

SÉIDE, se relevant.

 

Moi ! je viens d’obéir…

D’un bras désespéré je viens de la saisir.

Par ses cheveux blanchis j’ai traîné ma victime.

O ciel ! tu l’as voulu ! peux-tu vouloir un crime ?

Tremblant, saisi d’effroi, j’ai plongé dans son flanc

Ce glaive consacré qui dut verser son sang.

J’ai voulu redoubler ; ce vieillard vénérable

A jeté dans mes bras un cri si lamentable :

La nature a tracé dans ses regards mourants

Un si grand caractère, et des traits si touchants !...

De tendresse et d’effroi mon âme s’est remplie,

Et, plus mourant que lui, je déteste ma vie.

 

PALMIRE.

 

Fuyons vers Mahomet qui doit nous protéger :

Près de ce corps sanglant vous êtes en danger.

Suivez-moi.

 

SÉIDE.

 

Je ne puis. Je me meurs. Ah ! Palmire !...

 

PALMIRE.

 

Quel trouble épouvantable à mes yeux le déchire !

 

SÉIDE, en pleurant.

 

Ah ! si tu l’avais vu, le poignard dans le sein,

S’attendrir à l’aspect de son lâche assassin !

Je fuyais. Croirais-tu que sa voix affaiblie

Pour m’appeler encore à ranimé sa vie ?

Il retirait ce fer de ses flancs malheureux.

Hélas ! il m’observait d’un regard douloureux.

Cher Séide, a-t-il dit, infortuné Séide !

Cette voix, ces regards, ce poignard homicide,

Ce vieillard attendri, tout sanglant à mes pieds,

Poursuivent devant toi mes regards effrayés.

Qu’avons-nous fait !

 

PALMIRE.

 

On vient, je tremble pour ta vie.

Fuis, au nom de l’amour et du nœud qui nous lie.

 

SÉIDE.

 

Va, laisse-moi. Pourquoi cet amour malheureux

M’a-t-il pu commander ce sacrifice affreux ?

Non, cruelle ! sans toi, sans ton ordre suprême,

Je n’aurais pu jamais obéir au ciel même.

 

PALMIRE.

 

De quel reproche horrible oses-tu m’accabler !

Hélas ! plus que le tien mon cœur se sent troubler.

Cher amant, prends pitié de Palmire éperdue !

 

SÉIDE.

 

Palmire ! quel objet vient effrayer ma vue ?

 

(Zopire paraît, appuyé sur l’autel, après s’être relevé derrière

                              cet autel où il a reçu le coup.)

 

PALMIRE.

 

C’est cet infortuné luttant contre la mort,

Qui vers nous tout sanglant se traîne avec effort.

 

SÉIDE.

 

Eh quoi ! tu vas à lui ?

 

PALMIRE.

 

De remords dévorée,

Je cède à la pitié dont je suis déchirée.

Je n’y puis résister ; elle entraîne mes sens.

 

ZOPIRE, avançant et soutenu par elle.

 

Hélas ! servez- de guide à mes pas languissants.

 

(Il s’assied.)

 

Séide, ingrat ! c’est toi qui m’arraches la vie !

Tu pleures ! ta pitié succède à ta furie !

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

 

ZOPIRE, SÉIDE, PALMIRE, PHANOR.

 

 

 

 

PHANOR.

 

Ciel ! quels affreux objets se présentent à moi !

 

ZOPIRE..

 

Si je voyais Hercide !... Ah ! Phanor, est-ce toi ?

Voilà mon assassin.

 

PHANOR.

 

O crime ! affreux mystère !

Assassin malheureux, connaissez votre père !

 

SÉIDE.

 

Qui ?

 

PALMIRE..

 

Lui ?

 

SÉIDE.

 

Mon père ?

 

ZOPIRE..

 

O ciel !

 

PHANOR.

 

Hercide est expirant :

Il me voit, il m’appelle, il s’écrie en mourant :

S’il en est encor temps, préviens un parricide ;

Cours arracher ce fer à la main de Séide.

Malheureux confident d’un horrible secret,

Je suis puni, je meurs des mains de Mahomet :

Cours, hâte-toi d’apprendre au malheureux Zopire

Que Séide est son fils, et frère de Palmire.

 

SÉIDE.

 

Vous ?

 

PALMIRE.

 

Mon frère !

 

ZOPIRE.

 

O mes fils ! ô nature ! ô mes dieux !

Vous ne me trompiez pas quand vous parliez pour eux.

Vous m’éclairiez sans doute. Al ! malheureux Séide !

Qui t’a pu commander cet affreux homicide ?

 

SÉIDE, se jetant à genoux.

 

L’amour de mon devoir et de ma nation,

Et ma reconnaissance, et ma religion ;

Tout ce que les humains ont de plus respectable

M’inspira des forfaits le plus abominable.

Rendez, rendez ce fer à ma barbare main.

 

PALMIRE, à genoux, arrêtant le bras de Séide.

 

Ah ! mon père ! ah ! seigneur ! plongez-le dans mon sein.

J’ai seule à ce grand crime encouragé Séide ;

L’inceste était pour nous le prix du parricide.

 

SÉIDE .

 

Le ciel n’a point pour nous d’assez grands châtiments.

Frappez vos assassins.

 

ZOPIRE, en les embrassant.

 

J’embrasse mes enfants.

Le ciel voulut mêler, dans les maux qu’il m’envoie,

Le comble des horreurs au comble de la joie.

Je bénis mon destin ; je meurs, mais vous vivez.

O vous, qu’en expirant mon cœur a retrouvés,

Séide , et vous, Palmire, au nom de la nature,

Par ce reste de sang qui sort de ma blessure,

Par ce sang paternel, par vous, par mon trépas,

Vengez-vous, vengez-moi ; mais ne vous perdez pas.

L’heure approche, mon fils, où la trêve rompue

Laissait à mes desseins une libre étendue :

Les dieux de tant de maux ont pris quelque pitié ;

Le crime de tes mains n’est commis qu’à moitié.

Le peuple avec le jour en ces lieux va paraître ;

Mon sang va les conduire ; ils vont punir un traître.

Attendons ces moments.

 

SÉIDE

 

Ah ! je cours de ce pas

Vous immoler ce monstre et hâter mon trépas ;

Me punir, vous venger.

 

 

 

 

 

SCÈNE VI.

 

 

ZOPIRE, SÉIDE, PALMIRE, PHANOR, OMAR, SUITE.

 

 

 

 

OMAR.

 

Qu’on arrête Séide !

Secourez tous Zopire ; enchaînez l’homicide.

Mahomet n’est venu que pour venger les lois.

 

ZOPIRE.

 

Ciel ! quel comble du crime ! et qu’est-ce que je vois !

 

SÉIDE.

 

Mahomet me punir ?

 

PALMIRE.

 

Eh quoi ! tyran farouche,

Après ce meurtre horrible ordonné par ta bouche ?

 

OMAR.

 

On n’a rien ordonné.

 

SÉIDE.

 

Va, j’ai bien mérité

Cet exécrable prix de ma crédulité.

 

OMAR.

 

Soldats, obéissez.

 

PALMIRE.

 

Non ; arrêtez. Perfide !

 

OMAR.

 

Madame, obéissez, si vous aimez Séide.

Mahomet vous protège ; et son juste courroux,

Prêt à tout foudroyer, peut s’arrêter par vous.

Auprès de votre roi, madame, il faut me suivre.

 

PALMIRE.

 

Grand dieu ! de tant d’horreurs que la mort me délivre !

 

 

ZOPIRE, à Phanor.

 

On les enlève ! ô ciel ! ô père malheureux !

Le coup qui m’assassine est cent fois moins affreux.

 

PHANOR.

 

Déjà le jour renaît ; tout le peuple s’avance ;

On s’arme, on vient à vous, on prend votre défense.

 

ZOPIRE.

 

Quoi ! Séide est mon fils !

 

PHANOR.

 

N’en doutez point.

 

ZOPIRE.

 

Hélas !

O forfaits ! ô nature !... Allons, soutiens mes pas,

Je meurs. Sauvez, grands dieux ! de tant de barbarie

Mes deux enfants que j’aime, et qui m’ôtent la vie (1).

 

 

 MAHOMET -ACTE 4 - Partie 2

 

 

1 – « Après le grand fracas du quatrième acte, disait Voltaire lui-même, le cinquième acte ne me paraît pas supportable. » (G.A.)

 

 

 

 

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