LA PUCELLE D'ORLEANS : Chant troisième

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LA PUCELLE.

 

 

 

CHANT TROISIÈME.

 

 

ARGUMENT.

 

 

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Description du palais de la Sottise. Combat vers Orléans.

Agnès se revêt de l’armure de Jeanne pour aller trouver

son amant : elle est prise par les Anglais, et sa pudeur

souffre beaucoup.

 

 

_________

 

 

 

Ce n’est le tout d’avoir un grand courage,

Un coup d’œil ferme au milieu des combats,

D’être tranquille à l’aspect du carnage,

Et de conduire un monde de soldats ;

Car tout cela se voit en tous climats,

Et tour à tour ils ont cet avantage.

Qui me dira si nos ardents Français

Dans ce grand art, l’art affreux de la guerre,

Sont plus savants que l’intrépide Anglais ?

Si le Germain l’emporte sur l’Ibère ?

Tous ont vaincu, tous ont été défaits.

Le grand Condé fut vaincu par Turenne (1) ;

Le fier Villars fut battu par Eugène (2) (3).

De Stanislas le vertueux support,

Ce roi soldat, don Quichotte du Nord,

Dont la valeur a paru plus qu’humaine,

N’a-t-il pas vu, dans le fond de l’Ukraine,

A Pultava tous ses lauriers flétris (4)

Par un rival, objet de ses mépris ?

 

Un beau secret serait, à mon avis,

De bien savoir éblouir le vulgaire,

De s’établir un divin caractère (5).

D’en imposer aux yeux des ennemis ;

Car les Romains, à qui tout fut soumis,

Domptaient l’Europe au milieu des miracles,

Le ciel pour eux prodigua les oracles.

Jupiter, Mars, Pollux, et tous les dieux,

Guidaient leur aigle et combattaient pour eux.

Le grand Bacchus qui mit l’Asie en cendre,

L’antique Hercule et le fier Alexandre,

Pour mieux régner sur les peuples conquis,

De Jupiter ont passé pour les fils :

Et l’on voyait les princes de la terre

A leurs genoux redouter le tonnerre,

Tomber du trône, et leur offrir des vœux.

 

Denys suivit ces exemples fameux ;

Il prétendit que Jeanne la Pucelle

Chez les Anglais passât même pour telle ;

Et que Bedfort et l’amoureux Talbot,

Et Tirconel, et Chandos l’indévot,

Crussent la chose, et qu’ils vissent dans Jeanne

Un bras divin, fatal à tout profane.

 

Pour réussir en ce hardi dessein,

Il s’en va prendre un vieux bénédictin,

Non tel que ceux dont le travail immense

Vient d’enrichir les libraires de France (6) ;

Mais un prieur engraissé d’ignorance,

Et n’ayant lu que son missel latin :

Frère Lourdis fut le bon personnage

Qui fut choisi pour ce nouveau voyage.

 

Devers la lune, où l’on tient que jadis

Etait placé des fous le paradis (7),

Sur les confins de cet abîme immense,

Où le Chaos, et l’Erèbe, et la Nuit,

Avant les temps de l’univers produit,

Ont exercé leur aveugle puissance,

Il est un vaste et caverneux séjour,

Peu caressé des doux rayons du jour,

Et qui n’a rien qu’une lumière affreuse,

Froide, tremblante, incertaine et trompeuse :

Pour toute étoile, on a des feux follets ;

L’air est peuplé de petits farfadets.

De ce pays la reine est la Sottise.

Ce vieil enfant porte une barbe grise,

Œil de travers, et bouche à la Danchet (8).

Sa lourde main tient pour sceptre un hochet.

De l’Ignorance elle est, dit-on, la fille.

Près de son trône est sa sotte famille.

Le fol Orgueil, l’Opiniâtreté,

Et la Paresse, et la Crédulité.

Elle est servie, elle est flattée en reine ;

On la croirait en effet souveraine :

Mais ce n’est rien qu’un fantôme impuissant,

Un Chilpéric, un vrai roi fainéant.

La Fourberie est son ministre avide ;

Tout est réglé par ce maire perfide,

Et la Sottise est son digne instrument.

Sa cour plénière est à son gré fournie

De gens profonds en fait d’astrologie,

Sûrs de leur art, à tout moment déçus,

Dupes, fripons, et partant toujours crus.

 

C’est là qu’on voit les maîtres d’alchimie

Faisant de l’or et n’ayant pas un sou,

Les roses-croix, et tout ce peuple fou

Argumentant sur la théologie.

 

Le gros Lourdis, pour aller en ces lieux,

Fut donc choisi parmi tous ses confrères.

Lorsque la nuit couvrait le front des cieux

D’un tourbillon de vapeurs non légères,

Enveloppé dans le sein du repos,

Il fut conduit au paradis des sots. (9)

Quand il y fut, il ne s’étonna guère :

Tout lui plaisait, et même en arrivant

Il crut encore être dans son couvent.

 

Il vit d’abord la suite emblématique

Des beaux tableaux de ce séjour antique.

Cacodémon (10), qui ce grand temple orna,

Sur la muraille à plaisir griffonna

Un long croquis de toutes nos sottises,

Traits d’étourdis, par de clerc, balourdises,

Projets mal faits, plus mal exécutés,

Et tous les mois du Mercure vantés.

Dans cet amas de merveilles confuses,

Parmi ces flots d’imposteurs et de buses,

On voit surtout un superbe Ecossais :

Lass est son nom ; nouveau roi des Français,

D’un beau papier il porte un diadème,

Et sur son front il est écrit système (11) ;

Environné de grands ballots de vent,

Sa noble main les donne à tout venant :

Prêtres, catins, guerriers, gens de justice,

Lui vont porter leur or par avarice.

 

Ah ! quel spectacle ! ah ! vous êtes donc là,

Tendre Escobar, suffisant (12) Molina,

Petit Doucin dont la main pateline

Donne à baiser une bulle divine

Que Letellier (13) lourdement fabriqua,

Dont Rome même en secret se moqua,

Et qui chez nous est la noble origine

De nos partis, de nos divisions,

Et, qui pis est, de volumes profonds

Remplis, dit-on, de poisons hérétiques,

Tous poisons froids, et tous soporifiques.

 

Les combattants, nouveaux Bellérophons,

Dans cette nuit, montés sur des Chimères,

Les yeux bandés, cherchent leurs adversaires ;

De longs sifflets leur servent de clairons ;

Et, dans leur docte et sainte frénésie,

Ils vont frappant à grands coups de vessie.

Ciel !que d’écrits, de disquisitions,

De mandements, et d’explications,

Que l’on explique encor, peur de s’entendre !

   

 

O chroniqueur des héros du Scamandre,

Toi qui jadis des grenouilles, des rats,

Si doctement as chanté les combats (14),

Sors du tombeau,  viens célébrer la guerre

Que pour la bulle on fera sur la terre !

Le janséniste, esclave du destin,

Enfant perdu de la grâce efficace,

Dans ses drapeaux porte un Saint-Augustin,

Et pour plusieurs il marche avec audace (15).

Les ennemis s’avancent tout courbés

Dessus le dos de cent petits abbés.

 

Cessez, cessez, ô discordes civiles !

Tout va changer : place, place, imbéciles !

Un grand tombeau sans ornement, sans art,

Est élevé non loin de Saint-Médard (16).

L’esprit divin, pour éclairer la France,

Sous cette tombe enferme sa puissance ;

L’aveugle y court, et d’un pas chancelant

Aux Quinze-Vingts retourne en tâtonnant.

Le boiteux vient clopinant sur la tombe,

Crie hosanna, saute, gigotte et tombe.

Le sourd approche, écoute, et n’entend rien.

Tout aussitôt de pauvres gens de bien

D’aise pâmés, vrais témoins de miracle,

Du bon Pâris baisent le tabernacle (17).

Frère Lourdis, fixant ses deux gros yeux,

Voit ce saint œuvre, en rend grâces aux cieux,

Joint les deux mains, et riant d’un sot rire,

Ne comprend rien, et toute chose admire.

 

Ah ! le voici ce savant tribunal,

Moitié prélats et moitié monacal ;

D’inquisiteurs une troupe sacrée

Est là pour Dieu de sbires entourée.

Ces saints docteurs, assis en jugement,

Ont pour habits plumes de chat-huant ;

Oreilles d’âne ornent leur tête auguste,

Et, pour peser le juste avec l’injuste,

Le vrai, le faux, balance est dans leurs mains.

Cette balance a deux larges bassins ;

L’un tout comblé contient l’or qu’ils escroquent,

Le bien, le sang des pénitents qu’ils croquent ;

Dans l’autre sont bulles, brefs, oremus,

Beaux chapelets, scapulaires, agnus.

Aux pieds bénits de la docte assemblée

Voyez-vous pas le pauvre Galilée (18),

Qui tout contrit leur demande pardon,

Bien condamné pour avoir eu raison ?

 

Murs de Loudun, quel nouveau feu s’allume ?

C’est un curé que le bûcher consume :

Douze faquins ont déclaré sorcier

Et fait griller messire Urbain Grandier (19).

 

Galigaï, ma chère maréchale (20),

Du parlement, épaulé de maint pair,

La compagnie ignorante et vénale

Te fait chauffer en feu  brillant et clair,

Pour avoir fait pacte avec Lucifer.

Ah ! qu’aux savants notre France est fatale !

Qu’il y fait bon croire au pape, à l’enfer,

Et se borner à savoir son Pater !

Je vois plus loin cet arrêt authentique (21)

Pour Aristote et contre l’émétique.

 

Venez, venez, mon beau père Girard (22),

Vous méritez un long article à part.

Vous voilà donc, mon confesseur de fille,

Tendre dévot qui prêchez à la grille !

Que dites-vous des pénitents appas

De ce tendron converti dans vos bras ?

J’estime fort cette douce aventure.

Tout est humain, Girard, en votre fait ;

Ce n’est pas là pécher contre nature :

Que de dévots en ont encor plus fait !

Mais, mon ami, je ne m’attendais guère

De voir entrer le diable en cette affaire.

Girard, Girard, tous vos accusateurs,

Jacobin, carme et faiseur d’écriture,

Juges, témoins, ennemis, protecteurs,

Aucun de vous n’est sorcier, je vous jure.

 

Lourdis enfin voit nos vieux parlements

De vingt prélats brûler les mandements,

Et par arrêt exterminer la race

D’un certain fou qu’on nomme saint Ignace ;

Mais, à leur tour, eux-mêmes on les proscrit ;

Quesnel en pleure, et saint Ignace en rit.

Paris s’émeut à leur destin tragique,

Et s’en console à l’Opéra-Comique (23).

 

O toi, Sottise ! ô grosse déité,

De qui les flancs à tout âge ont porté

Plus de mortels que Cybèle féconde

N’avait jadis donné de dieux au monde,

Qu’avec plaisir ton grand œil hébêté

Voit tes enfants dont ma patrie abonde !

Sots traducteurs, et sots compilateurs,

Et sots auteurs, et non moins sots lecteurs.

Je t’interroge, ô suprême puissance !

Daigne m’apprendre, en cette foule immense,

De tes enfants qui sont les plus chéris,

Les plus féconds en lourds et plats écrits,

Les plus constants à broncher comme à braire

A chaque pas dans la même carrière :

Ah ! je connais que tes soins les plus doux

Sont pour l’auteur du journal de Trévoux (24).

  

 

Tandis qu’ainsi Denys notre bon père

Devers la lune en secret préparait

Contre l’Anglais cet innocent mystère,

Une autre scène en ce moment s’ouvrait

Chez les grands fous du monde sublunaire.

Charles est déjà parti pour Orléans,

Ses étendards flottent au gré des vents.

A ses côtés, Jeanne, le casque en tête,

Déjà de Reims lui promet la conquête.

Voyez-vous pas ces jeunes écuyers,

Et cette fleur de loyaux chevaliers ?

La lance au poing, cette troupe environne

Avec respect notre sainte amazone.

Ainsi l’on voit le sexe masculin

A Fontevrauld servir le féminin (25).

Le sceptre est là dans les mains d’une femme,

Et père Anselme est béni par madame.

 

La belle Agnès, en ces cruels moments,

Ne voyant plus son amant qu’elle adore,

Cède au chagrin dont l’excès la dévore ;

Un froid mortel s’empare de ses sens :

L’ami Bonneau, toujours plein d’industrie,

En cent façons la rappelle à la vie.

Elle ouvre encor ses yeux, ces doux vainqueurs,

Mais ce n’est plus que pour verser des pleurs :

Puis sur Bonneau se penchant d’un air tendre,

« C’en est donc fait, dit-elle, on me trahit.

Où va-t-il donc ? que veut-il entreprendre ?

Etait-ce là le serment qu’il me fit,

Lorsqu’à sa flamme il me fit condescendre ?

Toute la nuit il faudra donc m’étendre,

Sans mon amant, seule au milieu d’un lit ?

Et cependant cette Jeanne hardie,

Non des Anglais, mais d’Agnès ennemie,

Va contre moi lui prévenir l’esprit.

Ciel ! que je hais ces créatures fières,

Soldats en jupe, hommasses chevalières (26),

Du sexe mâle affectant la valeur,

Sans posséder les agréments du nôtre,

A tous les deux prétendant faire honneur,

Et qui ne sont ni de l’un ni de l’autre ! »

Disant ces mots elle pleure et rougit,

Frémit de rage, et de douleur gémit.

La jalousie en ses yeux étincelle ;

Puis, tout à coup, d’une ruse nouvelle

Le tendre Amour lui fournit le dessein.

 

Vers Orléans elle prend son chemin,

De dame Alix et de Bonneau suivie.

Agnès arrive en une hôtellerie,

Où dans l’instant, lasse de chevaucher,

La fière Jeanne avait été coucher.

Agnès attend qu’en ce logis tout dorme,

Et cependant subtilement s’informe

Où couche Jeanne, où l’on met son harnois ;

Puis dans la nuit se glisse en tapinois,

De Jean Chados prend la culotte (27), et passe

Ses cuisses entre, et l’aiguillette lace ;

De l’amazone elle prend la cuirasse.

Le dur acier, forgé pour les combats,

Presse et meurtrit ses membres délicats.

L’ami Bonneau la soutient sous les bras.

 

 

La belle Agnès dit alors à voix basse :

« Amour, Amour, maître de tous mes sens,

Donne la force à cette main tremblante,

Fais-moi porter cette armure pesante,

Pour mieux toucher l’auteur de mes tourments.

Mon amant veut une fille guerrière,

Tu fais d’Agnès un soldat pour lui plaire :

Je le suivrai ; qu’il permette aujourd’hui

Que ce soit moi qui combatte avec lui ;

Et si jamais la terrible tempête

Des dards anglais vient menacer sa tête,

Qu’ils tombent tous sur ces tristes appas ;

Qu’il soit du moins sauvé par mon trépas ;

Qu’il vive heureux ; que je meure pâmée

Entre ses bras, et que je meure aimée ! »

Tandis  qu’ainsi cette belle parlait

Et que Bonneau ses armes lui mettait,

Le roi Charlot à trois milles était.

 

La tendre Agnès prétend à l’heure même

Pendant la nuit aller voir ce qu’elle aime.

Ainsi vêtue, et pliant sous le poids,

N’en pouvant plus, maudissant son harnois,

Sur un cheval elle s’en va juchée,

Jambe meurtrie et la fesse écorchée.

Le gros Bonneau, sur un normand monté,

Va lourdement, et ronfle à son côté.

Le tendre Amour, qui craint tout pour la belle,

La voit partir, et soupire pour elle.

 

Agnès à peine avait gagné chemin,

Qu’elle entendit devers un bois voisin

Bruit de chevaux et grand cliquetis d’armes.

Le bruit redouble ; et voici des gendarmes,

Vêtus de rouge ; et pour comble de maux,

C’étaient les gens de monsieur Jean Chandos.

L’un d’eux s’avance, et demande : « Qui vive ? »

A ce grand cri, notre amante naïve,

Songeant au roi, répondit sans détour :

« Je suis Agnès ; vive France et l’Amour ! »

A ces deux noms, que le ciel équitable

Voulut unir du nœud le plus durable,

On prend Agnès et son gros confident ;

Ils sont tous deux menés incontinent

A ce Chandos qui, terrible en sa rage,

Avait juré de venger son outrage,

Et de punir les brigands ennemis

Qui sa culotte et son fer avaient pris.

 

Dans ces moments où la main bienfaisante

Du doux sommeil laisse nos yeux ouverts,

Quand les oiseaux reprennent leurs concerts,

Qu’on sent en soi sa vigueur renaissante,

Que les désirs, pères des voluptés,

Sont par les sens dans notre âme excités ;

Dans ces moments, Chandos, on te présente

La belle Agnès, plus belle et plus brillante

Que le soleil au bord de l’Orient.

Que sentis-tu, Chandos, en t’éveillant,

Lorsque tu vis cette nymphe si belle

A tes côtés, et tes grègues sur elle ?

 

Chandos, pressé d’un aiguillon bien vif,

La dévorait de son regard lascif.

Agnès en tremble, et l’entend qui marmotte

Entre ses dents : « Je l’aurai ma culotte ! »

A son chevet d’abord il la fait seoir.

« Quittez, dit-il, ma belle prisonnière,

Quittez ce poids d’une armure étrangère. »

Ainsi parlant, plein d’ardeur et d’espoir,

Il la décasque, il vous la décuirasse.

La belle Agnès s’en défend avec grâce ;

Elle rougit d’une aimable pudeur,

Pensant à Charles, et soumise au vainqueur.

Le gros Bonneau, que le Chados destine

Au digne emploi de chef de sa cuisine,

Va dans l’instant mériter cet honneur ;

Des boudins blancs il était l’inventeur,

Et tu lui dois, ô nation française,

Pâtés d’anguille et gigots à la braise.

 

 

« Monsieur Chandos, hélas ! que faites-vous ?

Disait Agnès, d’un ton timide et doux.

« Pardieu, dit-il (tout héros anglais jure) (28),

Quelqu’un m’a fait une sanglante injure.

Cette culotte est mienne ; et je prendrai

Ce qui fut mien où je le trouverai. »

Parler ainsi, mettre Agnès toute nue,

C’est même chose ; et la belle éperdue

Tout en pleurant était entre ses bras,

Et lui disait : « Non, je n’y consens pas. »

 

Dans l’instant même un horrible fracas

Se fait entendre, on crie : « Alerte, aux armes ! »

Et la trompette, organe du trépas,

Sonne la charge, et porte les alarmes.

A son réveil, Jeanne cherchant en vain

L’affublement du harnois masculin,

Son bel armet ombragé de l’aigrette,

Et son hautbert (29), et sa large braguette (3),

Sans raisonner saisit soudainement

D’un écuyer le dur accoutrement,

Monte à cheval sur son âne, et s’écrie :

« Venez venger l’honneur de la patrie ! »

Cent chevaliers s’empressent sur ses pas ;

Ils sont suivis de six cent vingt soldats.

 

Frère Lourdis, en ce moment de crise,

Du beau palais où règne la Sottise

Est descendu chez les Anglais guerriers,

Environné d’atomes tout grossiers,

Sur son gros dos portant balourderies,

Œuvres de moines et belles âneries.

Ainsi bâté, sitôt qu’il arriva,

Sur les Anglais sa robe il secoua,

Son ample robe, et dans leur camp versa

Tous les trésors de sa crasse ignorance,

Trésors communs au bon pays de France.

Ainsi des nuits la noire déité,

Du haut d’un char d’ébène marqueté,

Répand sur nous les pavots et les songes,

Et nous endort dans le sein des mensonges.

 

 

 

 

LA PUCELLE 6 CHANT 3

 

 

 

1 -  A la fameuse bataille des Dunes, près de Dunkerque. (1762.) (Voltaire.) ― Condé n’était pas à la bataille des Dunes. (G.A.)

 

2 – A Malplaquet, près de Mons, en 1709. (1762.) (Voltaire.)

 

3 – Variante de 1756 :

Créqui vaincu fut ensuite vainqueur,

L’heureux Villars, fanfaron plein de cœur,

Gagna le quitte ou double avec Eugène. (G.A.)

 

4 – Aussi en 1709. (1762.) (Voltaire.) ― Voyez l’Histoire de Charles XII. (G.A.)

 

5 – Venaient ici, en 1756, près de soixante vers sur Moïse, qui ne sont pas, paraît-il, de Voltaire. (G.A.)

 

6 – Voltaire veut sans doute parler de l’édition de la Gallia christiana, qui parut de 1715 à 1728. (G.A.)

 

7 – On appelait autrefois paradis des fous, paradis des sots, les limbes ; et on plaça  dans ces limbes les âmes des imbéciles et des petits enfants morts sans baptême. Limbe signifie bord, bordure ; et c’était vers les bords de la lune qu’on avait établi ce paradis. Milton en parle ; il fait passer le diable par le paradis des sots, the paradise of fools. (1762.) (Voltaire.)

 

8 – Ceci paraît une allusion aux fameux couplets de Rousseau :

 

Je te vois, innocent Danchet,

Grands yeux ouverts, bouche béante.

 

Une bouche à la Danchet était devenu une espèce de proverbe. Ce Danchet était un poète médiocre qui a fait quelques  pièces de théâtre, etc. (1762.) (Voltaire.)

 

9 – Ce sont les limbes, inventés, dit-on, par un nommé Pierre Chrysologue. C’est  là qu’on envoie tous les petits enfants qui meurent sans avoir été baptisés ; car s’ils meurent à quinze ans, ils sont damnés sans difficulté. (1773.) (Voltaire.)

 

10 – Mauvais génie. (G.A.)

 

11 – Le système fameux du sieur Lass ou Law, Ecossais, qui bouleversa tant de fortunes en France depuis 1718 jusqu’à 1720, avait encore laissé des traces funestes, et l’on s’en ressentait en 1730, qui fut le temps où nous jugeons que l’auteur commença ce poème. (1762.) (Voltaire.)

 

12 – On connaît assez, par les excellentes Lettres provinciales, les casuistes Escobar et Molina ; ce Molina est appelée ici suffisant, par allusion à la grâce suffisante et versatile, sur laquelle il avait fait un système absurde, comme celui de ses adversaires. (1762.) (Voltaire.)

 

13 – Letellier, jésuite, fils d’un procureur de Vire en Basse-Normandie, confesseur de Louis XIV, auteur de la bulle et de tous les troubles qui la suivirent, exilé pendant la régence, et dont la mémoire est abhorrée de nos jours. Le P. Doucin était son premier ministre. (1762.) (Voltaire.) ― Voyez le Siècle de Louis XIV, chapitre XXXVII. (G.A.)

 

14 – Homère, dans la Batrachomyomachie. (G.A.)

 

15 – Les jansénistes disent que le Messie n’est venu que pour  plusieurs. (1762.) (Voltaire.)

 

16 – Ceci désigne les convulsionnaires et les miracles attestés par des milliers de jansénistes, miracles dont Carré de Montgeron fit imprimer un gros recueil qu’il présenta au roi Louis XV. (1762.) ― Voyez l’Histoire du Parlement, chap LXV. (G.A.)

 

17 – Le bon Pâris était un diacre imbécile, mais qui, étant un des jansénistes les plus zélés et les plus accrédités parmi la populace, fut regardé comme un saint par cette populace. Ce fut vers l’an 1724 qu’on imagina d’aller prier sur la tombe de ce bon homme, au cimetière d’une église de Paris érigée à un saint Médard, qui d’ailleurs est peu connu. Ce saint Médard n’avait jamais fait de miracles ; mais l’abbé Pâris en fit une multitude. Le plus marqué est celui  que madame la duchesse du Maine célébra dans cette chanson :

 

Un décrotteur à la royale,

Du talon gauche estropié,

Obtint pour grâce spéciale

D’être boiteux de l’autre pié.

 

Ce saint Pâris fit trois ou quatre cents miracles de cette espèce ; il aurait ressuscité des morts si on l’avait laissé faire ; mais la police y mit ordre ; de là ce distique connu :

 

De par le roi, défense à Dieu

D’opérer miracle en ce lieu. (1762.) (Voltaire.)

 

― Le diacre Pâris est mort, non en 1724, mais en 1727. (G.A.)

 

18 – Galilée, le fondateur de la philosophie en Italie, fut condamné par la congrégation du Saint-Office, mis en prison, et traité très durement, non-seulement comme hérétique, mais comme ignorant, pour avoir démontré le mouvement de la terre. (1762.) (Voltaire.)

 

19 – Urbain Grandier, curé de Loudun, condamné au feu en 1629, par une commission du conseil, pour avoir mis le diable dans le corps de quelques religieuses. Un nommé La Ménardaye a été assez imbécile pour faire imprimer, en 1749, un livre dans lequel il croit prouver la vérité de ces possessions. (1762.) (Voltaire.)

 

20 – Eléonore Galigaï, fille de grande qualité, attachée à la reine Marie de Médicis, et sa dame d’honneur, épouse de Concino Concini, Florentin, marquis d’Ancre, maréchal de France, fut non seulement décapitée à la Grève en 1617, comme il est dit dans l’Abrégé chronologique de l’Histoire de France, mais fut brûlée comme sorcière, et ses biens furent donnés à ses ennemis. Il n’y eut que cinq conseillers qui, indignés d’une horreur si absurde, ne voulurent pas assister au jugement. (1762.) (Voltaire.)

 

21 – Le parlement, sous Louis XIII, défendit, sous peine des galères, qu’on enseignât une autre doctrine que celle d’Aristote, et défendit ensuite l’émétique, mais sans condamner aux galères les médecins ni les malades. Louis XIV fut guéri à Calais par l’émétique, et l’arrêt du parlement perdit de son crédit (1762.) (Voltaire.) ― Voyez l’Histoire du Parlement, chap. XLIX. (G.A.)

 

22 – L’histoire du jésuite Girard et de la Cadière est assez publique ; le jésuite fut condamné au feu comme sorcier par la moitié du parlement d’Aix, et absous par l’autre moitié. (1762.) (Voltaire.)

 

23 – Voyez le Précis du Siècle de Louis XV. Chap. XXXVI. (G.A.)

 

24 – Le jésuite Berthier. (G.A.)

 

25 – Fontevraud, Fontevraux, Fontevrauld, Fons Ebraldi est un bourg en Anjou, à trois lieues de Saumur, connu par une célèbre abbaye de filles, chef d’ordre, érigée par Robert d’Arbrissel, né en 1047, et mort en 1117. Après avoir fixé ses tabernacles à la forêt de Fontevrauld, il parcourut nu-pieds les provinces du royaume, afin d’exhorter à la pénitence les filles de joie, et les attirer dans son cloître ; il fit de grandes conversions en ce genre, entre autres dans la ville de Rouen. Il persuada la célèbre reine Bertrade de prendre l’habit de Fontevrauld, et il établit son ordre par toute la France. Le pape Paschal II le mit sous la protection du saint-siège, en 1106. Robert, quelque temps avant sa mort, en conféra le généralat à une dame nommée Pétronille du Chenille, et voulut que jours une femme succédât à une autre femme dans la dignité de chef de l’ordre, commandant également aux religieux comme aux religieuses. Trente-quatre ou trente-cinq abbesses ont succédé, jusqu’à ce jour, à Pétronille, parmi lesquelles ont compte quatorze princesses, et dans ce nombre cinq de la maison de Bourbon. Voyez sur cela Sainte-Marthe, dans le quatrième volume du Gallia Crhistiana, et le Clypeus ordinis Fontebraldensis, du P. de La Mainferme. (1762.) (Voltaire.)

 

26 – Il y a grande apparence que l’auteur a ici en vue les héroïnes de l’Arioste et du Tasse. Elles devaient être un peu malpropres ; mais les chevaliers n’y regardaient pas de si près. (1762.) (Voltaire.)

 

27 – Voyez le chant II. (G.A.)

 

28 – Les Anglais jurent by Gold ! God damn me ! blood ! etc. ; les Allemands, sacrament, les Français, par un mot qui est au jurement des Italiens ce que l’action est à l’instrument ; les Espagnols voto a Dios. Un révérend père récollet a fait un livre sur les jurements de toutes les nations, qui sera probablement très exact et très instructif ; on l’imprime actuellement. (1762.) (Voltaire.)

 

29 – Haubert, aubergeon, cotte d’armes ; elle était d’ordinaire composée de mailles de fer, quelquefois couverte de soie ou de laine blanche ; elle avait des manches larges, et un gorgerin. Les fiefs de haubert sont ceux dont le seigneur avait droit de porter cette cotte. (1762.) (Voltaire.)

 

30 – Braguettes, de braye, bracca. On portait de longues braguettes détachées du haut-de-chausses, et souvent au fond de ces braguettes on portait une orange qu’on présentait aux dames. Rabelais parle d’un beau livre intitulé De la dignité des braguettes. C’était la prérogative distinctive du sexe  le plus noble ; c’est pourquoi la Sorbonne présenta requête pour faire brûler la Pucelle, attendu qu’elle avait porté culotte avec braguette. Six évêques de France, assistés de l’évêque de Vinchester, la condamnèrent au feu, ce qui était bien juste : c’est dommage que cela n’arrive pas plus souvent ; mais il ne faut désespérer de rien. (1762.) (Voltaire.)

 

Publié dans La Pucelle d'Orléans

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