LA PUCELLE D'ORLEANS : Chant treizième

Publié le par loveVoltaire

LA-PUCELLE---CHAT-13-1.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA PUCELLE.

 

 

 

CHANT TREIZIÈME.

 

 

 

 

ARGUMENT.

 

 

  

LA-PUCELLE---Chant-13-3.jpg

  

 

 

Sortie du château de Cutendre. Combat de la Pucelle et de Jean Chandos : étrange loi du combat à laquelle la Pucelle est soumise. Vision du père Bonifoux. Miracle qui sauve l’honneur de Jeanne.

 

 

_________

 

 

 

 

C’était le temps de la saison brillante,

Quand le soleil aux bornes de son cours

Prend sur les nuits pour ajouter aux jours,

Et, se plaisant, dans sa démarche lente,

A contempler nos fortunés climats,

Vers le tropique arrête encor ses pas.

O grand saint Jean ! c’était alors ta fête (1) ;

Premier des Jeans, orateur des déserts,

Toi qui criais jadis à pleine tête

Que du salut les chemins soient ouverts ;

Grand précurseur, je t’aime, je te sers.

Un autre Jean eut la bonne fortune

De voyager au pays de la lune

Avec Astolphe, et rendit la raison (2),

Si l’on en croit un auteur véridique,

Au paladin amoureux d’Angélique :

Rends-moi la mienne, ô Jean second du nom !

Tu protégeas ce chantre aimable et rare

Qui réjouit les seigneurs de Ferrare

Par le tissu de ses contes plaisants :

Tu pardonnas aux vives apostrophes

Qu’il t’adressa dans ses comiques strophes :

Etends sur moi tes secours bienfaisants ;

J’en ai besoin, car tu sais que les gens

Sont bien plus sots et bien moins indulgents

Qu’on ne l’était au siècle du génie,

Quant l’Arioste illustrait l’Italie.

Protège-moi contre ces durs esprits,

Frondeurs pesants de mes légers écrits.

Si quelquefois l’innocent badinage

Vient en riant égayer mon ouvrage,

Quand il le faut je suis très sérieux,

Mais je voudrais n’être point ennuyeux.

Conduis ma plume, et surtout daigne faire

Mes compliments à Denys ton confrère.

 

En accourant, la fière Jeanne d’Arc

D’une lucarne aperçut dans le parc

Cent palefrois, une brillante troupe

De chevaliers ayant dames en croupe,

Et d’écuyers qui tenaient dans leurs mains

Tout l’attirail des combats inhumains ;

Cent boucliers où des nuits la courrière

Réfléchissait sa tremblante lumière ;

Cent casques d’or d’aigrettes ombragés,

Et les longs bois d’un fer pointu chargés,

Et des rubans dont les touffes dorées

Pendaient au bout des lances acérées.

Voyant cela, Jeanne crut fermement

Que les Anglais avaient surpris Cutendre :

Mais Jeanne d’Arc se trompa lourdement.

En fait de guerre on peut bien se méprendre,

Ainsi qu’ailleurs : mal voir et mal entendre

De l’héroïne était souvent le cas,

Et saint Denys ne l’en corrigea pas (3).

 

Ce n’était point des enfants d’Angleterre

Qui de Cutendre avaient surpris la terre ;

C’est ce Dunois de Milan revenu,

Ce grand Dunois à Jeanne si connu ;

C’est la Trimouille avec sa Dorothée.

Elle était d’aise et d’amour transportée ;

Elle en avait sujet assurément :

Elle voyage avec son cher amant,

Ce cher amant, ce tendre La Trimouille,

Que l’honneur guide et que l’amour chatouille.

Elle le suit toujours avec honneur,

Et ne craint plus monsieur l’inquisiteur.

 

En nombre pair cette troupe dorée

Dans le château la nuit était entrée.

Jeanne y vola : le bon roi, qui la vit,

Crut qu’elle allait combattre, et la suivit ;

Et, dans l’erreur qui trompait son courage,

Il laisse encore Agnès avec son page.

 

O page heureux, et plus heureux cent fois

Que le plus grand, le plus chrétien des rois,

Que de bon cœur alors tu rendis grâce

Au benoît saint dont tu tenais la place !

Il te fallut rhabiller promptement ;

Tu rajustas ta trousse (4) diaprée ;

Agnès t’aidait d’une main timorée,

Qui s’égarait et se trompait souvent.

Que de baisers sur sa bouche de rose

Elle reçut en rhabillant Monrose !

Que son bel œil, le voyant rajusté,

Semblait encor chercher la volupté !

Monrose au parc descendit sans rien dire.

Le confesseur tout saintement soupire,

Voyant passer ce beau jeune garçon,

Qui lui donnait de la distraction.

 

La douce Agnès composa son visage,

Ses yeux, son air, son maintien, son langage.

Auprès du roi Bonifoux se rendit,

Le consola, le rassura, lui dit

Que dans la niche un envoyé céleste

Etait d’en haut venu pour annoncer

Que des Anglais la puissance funeste

Touchait au terme, et que tout doit passer ;

Que le roi Charles obtiendrait la victoire.

Charles le crut, car il aimait à croire.

La fière Jeanne appuya ce discours.

« Du ciel, dit-elle, acceptons le secours ;

Venez, grand prince, et rejoignons l’armée,

De votre absence à bon droit alarmée. »

 

Sans balancer, La Trimouille et Dunois

De cet avis furent à haute voix.

Par ces héros la belle Dorothée

Honnêtement au roi fut présentée.

Agnès la baise, et le noble escadron

Sortit enfin du logis du baron.

 

Le juste ciel aime souvent à rire

Des passions du sublunaire empire.

Il regardait cheminer dans les champs

Cet escadron de héros et d’amants.

Le roi de France allait près de sa belle,

Qui, s’efforçant d’être toujours fidèle,

Sur son cheval la main lui présentait,

Serrait la sienne, exhalait sa tendresse,

Et cependant, ô comble de faiblesse !

De temps en temps le beau page lorgnait.

Le confesseur psalmodiant suivait,

Des voyageurs récitait la prière,

S’interrompait en voyant tant d’attraits,

Et regardait avec des yeux distraits

Le roi, le page, Agnès et son bréviaire.

Tout brillant d’or, et le cœur plein d’amour,

Ce La Trimouille, ornement de la cour,

Caracolait auprès de Dorothée

Ivre de joie et d’amour transportée,

Qui le nommait son cher libérateur,

Son cher amant, l’idole de son cœur.

Il lui disait : « Je veux, après la guerre,

Vivre à mon aise avec vous dans ma terre.

O cher objet dont je suis toujours fou !

Quand serons-nous tous les deux en Poitou ? »

 

 

 

Jeanne auprès d’eux, ce fier soutien du trône,

Portant corset et jupon d’amazone,

Le chef orné d’un petit chapeau vert,

Enrichi d’or et de plumes couvert,

Sur son fier âne étalait ses gros charmes,

Parlait au roi, courait, allait le pas,

Se rengorgeait, et soupirait tout bas

Pour le Dunois compagnon de ses armes ;

Car elle avait toujours le cœur ému,

Se souvenant de l’avoir vu tout nu.

 

Bonneau, portant barbe de patriarche,

Suant, soufflant, Bonneau fermait la marche.

O d’un grand roi serviteur précieux !

Il pense à tout, il a soin de conduire

Deux gros mulets tout chargés de vin vieux,

Longs saucissons, pâtés délicieux,

Jambons, poulets, ou cuits ou prêts à cuire.

 

On avançait, alors que Jean Chandos,

Cherchant partout son Agnès et son page,

Au coin d’un bois, près d’un certain passage,

Le fer en main rencontre nos héros.

Chandos avait une suite assez belle

De fiers Bretons, pareille en nombre à celle

Qui suit les pas du monarque amoureux ;

Mais elle était d’espèce différente,

On n’y voyait ni tétons ni beaux yeux.

« Oh ! oh ! dit-il d’une voix menaçante,

Galants Français, objets de mon courroux,

Vous aurez donc trois filles avec vous,

Et moi Chandos je n’en aurai pas une !

Ça, combattons : je veux que la fortune

Décide ici qui sait le mieux de nous

Mettre à plaisir des ennemis dessous,

Frapper d’estoc et pointer de sa lance.

Que de vous tous le plus ferme s’avance,

Qu’on entre en lice ; et celui qui vaincra,

L’une des trois à son aise tiendra. »

 

Le roi, piqué de cette offre cynique,

Veut l’en punir, s’avance, prend sa pique.

Dunois lui dit : « Ah ! laissez-moi, seigneur,

Venger mon prince et des dames l’honneur. »

Il dit et court : La Trimouille l’arrête ;

Chacun prétend à l’honneur de la fête.

L’ami Bonneau, toujours de bon accord,

Leur proposa de s’en remettre au sort.

Car c’est ainsi que les guerriers antiques

En ont usé dans les temps héroïques :

Même aujourd’hui dans quelques républiques

Plus d’un emploi, plus d’un rang glorieux,

Se tire aux dés (5), et tout en va bien mieux.

Si j’osais même en cette noble histoire

Citer des gens que tout mortel doit croire,

Je vous dirais que monsieur saint Mathias

Obtint ainsi la place de Judas.

Le gros Bonneau tient le cornet, soupire,

Craint pour son roi, prend les dés, roule, tire.

Denys, du haut du céleste rempart,

Voyait le tout d’un paternel regard ;

Et, contemplant la Pucelle et son âne,

Il conduisit ce qu’on nomme hasard.

Il fut heureux, le sort échut à Jeanne.

Jeanne, c’était pour vous faire oublier

L’infâme jeu de ce grand cordelier,

Qui ci-devant avait raflé vos charmes.

 

Jeanne à l’instant court au roi, court aux armes,

Modestement va derrière un buisson

Se délacer, détacher son jupon,

Et revêtir son armure sacrée,

Qu’un écuyer tient déjà préparée ;

Puis sur son âne elle monte en courroux,

Branlant sa lance et serrant les genoux :

Elle invoquait les onze mille belles,

Du pucelage héroïnes fidèles (6).

Pour Jean Chandos, cet indigne chrétien

Dans les combats n’invoquait jamais rien (7).

 

Jean contre Jeanne avec fureur avance :

Des deux côtés égale est la vaillance ;

Ane et cheval, bardés, coiffés de fer,

Sous l’éperon partent comme un éclair,

Vont se heurter, et de leur tête dure

Front contre front fracassent leur armure ;

La flamme en sort, et le sang du coursier

Teint les éclats du voltigeant acier.

Du choc affreux les échos retentissent :

Des deux coursiers les huit pieds rejaillissent ;

Et les guerriers, du coup désarçonnés,

Tombent chacun sur la croupe étonnés :

Ainsi qu’on voit deux boules suspendues,

Aux bouts égaux de deux cordes tendues,

Dans une courbe au même instant partir,

Hâter leur course, se heurter, s’aplatir,

Et remonter sous le choc qui les presse,

Multipliant leur poids par leur vitesse.

Chaque parti crut morts les deux coursiers,

Et tressaillit pour les deux chevaliers.

 

Or des Français la championne auguste

N’avait la chair si ferme, si robuste,

Les os si durs, les membres si dispos,

Si musculeux, que le fier Jean Chandos.

Son équilibre ayant dans cette rixe

Abandonné sa ligne et son point fixe,

Son quadrupède un haut-le-corps lui fît,

Qui dans le pré Jeanne d’Arc étendit

Sur son beau dos, sur sa cuisse gentille,

Et comme il faut que tombe toute fille.

 

Chandos pensait qu’en ce grand désarroi

Il avait mis ou Dunois ou le roi.

Il veut soudain contempler sa conquête :

Le casque ôté, Chandos voit une tête

Où languissaient deux grands yeux noirs et longs.

De la cuirasse il défait les cordons ;

Il voit (ô ciel ! ô plaisir ! ô merveille !)

Deux gros tétons de figure pareille,

Unis, polis, séparés, demi-ronds,

Et surmontés de deux petits boutons

Qu’en sa naissance a la rose vermeille.

On tient  qu’alors, en élevant la voix,

Il bénit Dieu pour la première fois.

« Elle est à moi, la Pucelle de France !

S’écria-t-il ; contentons ma vengeance.

J’ai, grâce au ciel, doublement mérité

De mettre à bas cette fière beauté.

Que saint Denys me regarde et m’accuse ;

Mars et l’Amour sont mes droits, et j’en use. »

Son écuyer disait : « Poussez, milord ;

Du trône anglais affermissez le sort.

Frère Lourdis en vain nous décourage ;

Il jure en vain que ce saint pucelage

Est des Troyens le grand palladium,

Le bouclier sacré du Latium (8) ;

De la victoire il est, dit-il, le gage ;

C’est l’oriflamme : il faut vous en saisir. »

« Oui, dit Chandos, et j’aurai pour partage

Les plus grands biens, la gloire et le plaisir. »

   

Jeanne pâmée écoutait ce langage

Avec horreur, et faisait mille vœux

A saint Denys, ne pouvant faire mieux.

Le grand Dunois, d’un courage héroïque,

Veut empêcher le triomphe impudique :

Mais comment faire ? Il faut dans tout Etat

Qu’on se soumette à la loi du combat.

Les fers en l’air et la tête penchée,

L’oreille basse et du choc écorchée,

Languissamment le céleste baudet

D’un œil confus Jean Chandos regardait.

Il nourrissait dès longtemps dans son âme

Pour la Pucelle une discrète flamme,

Des sentiments nobles et délicats,

Très peu connus des ânes d’ici-bas.

 

Le confesseur du bon monarque Charles

Tremble en sa chair alors que Chandos parle.

Il craint surtout que son cher pénitent,

Pour soutenir la gloire de la France,

Qu’on avilit avec tant d’impudence,

A son Agnès n’en veuille faire autant,

Et que la chose encor soit imitée

Par La Trimouille et par sa Dorothée.

Au pied d’un chêne il entre en oraison

Et fait tout bas sa méditation

Sur les effets, la cause, la nature

Du doux péché qu’aucuns nomment luxure (9).

 

En méditant avec attention,

Le benoît moine eut une vision

Assez semblable au prophétique songe

De ce Jacob, heureux par un mensonge (10),

Pate-pelu dont l’esprit lucratif

Avait vendu ses lentilles en Juif.

Ce vieux Jacob (ô sublime mystère !)

Devers l’Euphrate une nuit aperçut

Mille béliers qui grimpèrent en rut

Sur des brebis qui les laissèrent faire.

Le moine vit de plus plaisant objets ;

Il vit courir à la même aventure

Tous les héros de la race future.

Il observait les différents attraits

De ces beautés qui, dans leur douce guerre,

Donnent des fers aux maîtres de la terre.

Chacune était auprès de son héros,

Et l’enchaînait des chaînes de Paphos (11).

Tels, au retour de Flore et de Zéphyre,

Quand le printemps reprend son doux empire,

Tous ces oiseaux, peints de mille couleurs,

Par leurs amours agitent les feuillages :

Les papillons se baisent sur les fleurs,

Et les lions courent sous les ombrages

A leurs moitiés qui ne sont plus sauvages.

 

C’est là qu’il vit le beau François premier.

Ce brave roi, ce loyal chevalier,

Avec Etampe heureusement oublie (12)

Les autres fers qu’il reçut à Pavie (13).

Là Charles-Quint joint le myrte au laurier,

Sert à la fois la Flamande et la Maure.

Quels rois, ô ciel ! l’un à ce beau métier

Gagne la goutte, et l’autre pis encore.

Près de Diane on voit danser les Ris (14),

Aux mouvements que l’Amour lui fait faire

Quand dans ses bras tendrement elle serre,

En se pâmant, le second des Henris (15).

De Charles neuf le successeur volage (16)

Quitte en riant sa Chloris pour un page,

Sans s’alarmer des troubles de Paris.

 

Mais quels combats le jacobin vit rendre

Par Borgia le sixième Alexandre !

En cent tableaux il est représenté :

Là sans tiare, et d’amour transporté,

Avec Vanoze il se fait sa famille (17) ;

Un peu plus bas on voit sa sainteté

Qui s’attendrit pour Lucrèce sa fille.

O Léon dix ! o sublime Paul trois (18) !

A ce beau jeu vous passiez tous les rois ;

Mais vous cédez à mon grand Béarnois,

A ce vainqueur de la Ligue rebelle,

A mon héros plus connu mille fois

Par les plaisirs que goûta Gabrielle (19),

Que par vingt ans de travaux et d’exploits (20).

 

Bientôt on voit le plus beau des spectacles,

Ce siècle heureux, ce siècle des miracles,

Ce grand Louis, cette superbe cour

Où tous les arts sont instruits par l’Amour.

L’Amour bâtit la superbe Versailles ;

L’Amour, aux yeux des peuples éblouis,

D’un lit de fleurs fait un trône à Louis :

Malgré les cris du fier dieu des batailles,

L’Amour amène au plus beau des humains

De cette cour les rivales charmantes,

Toutes en feu, toutes impatientes :

De Mazarin la nièce aux yeux divins (21),

La généreuse et tendre La Vallière,

La Montespan, plus ardente et plus fière.

L’une se livre au moment de jouir,

Et l’autre attend le moment du plaisir (22).

 

Voici le temps de l’aimable Régence,

Temps fortuné, marqué par la licence,

Où la Folie, agitant son grelot,

D’un pied léger parcourt toute la France,

Où nul mortel ne daigne être dévot,

Où l’on fait tout, excepté pénitence.

Le bon Régent, de son palais royal,

Des voluptés donne à tous le signal.

Vous répondez à ce signal aimable,

Jeune Daphné (23), bel astre de la cour ;

Vous répondez du sein du Luxembourg,

Vous que Bacchus et le dieu de la table

Mènent au lit, escortés par l’Amour.

Mais je m’arrête, et de ce dernier âge

Je n’ose en vers tracer la vive image :

Trop de péril suit ce charme flatteur.

Le temps présent est l’arche du Seigneur :

Qui la touchait d’une main trop hardie,

Puni du ciel, tombait en léthargie.

Je me tairai ; mais si j’osais pourtant,

O des beautés aujourd’hui la plus belle (24) !

O tendre objet, noble, simple, touchant,

Et plus qu’Agnès généreuse et fidèle !

Si j’osais mettre à vos genoux charnus

Ce grain d’encens que l’on doit à Vénus ;

Si de l’Amour je déployais les armes ;

Si je chantais ce tendre et doux lien :

Si je disais… Non, je ne dirai rien :

Je serais trop au-dessous de vos charmes.

 

 

 

Dans son extase enfin le moine noir

Vit à plaisir ce que je n’ose voir.

D’un œil avide, et toujours très modeste,

Il contemplait le spectacle céleste

De ces beautés, de ces nobles amants,

De ces plaisirs défendus et charmants.

« Hélas ! dit-il, si les grands de la terre

Font deux à deux cette éternelle guerre ;

Si l’univers doit en passer par là,

Dois-je gémir que Jean Chandos se mette

A deux genoux auprès de sa brunette ?

Du seigneur Dieu la volonté soit faite :

Amen, Amen. » Il dit, et se pâma,

Croyant jouir de tout ce qu’il voit là.

 

Mais saint Denys était loin de permettre

Qu’aux yeux du ciel Jean Chandos allât mettre

Et la Pucelle et la France aux abois.

Ami lecteur, vous avez quelquefois

Ouï conter qu’on nouait l’aiguillette (25).

C’est une étrange et terrible recette,

Et dont un saint ne doit jamais user

Que quand d’une autre il ne peut s’aviser.

D’un pauvre amant le feu se tourne en glace,

Vif et perclus sans rien faire il se lasse ;

Dans ses efforts étonné de languir,

Et consumé sur le bord du plaisir.

Telle une fleur, des feux du jour séchée

La tête basse et la tige penchée,

Demande en vain les humides vapeurs

Qui lui rendaient la vie et les couleurs.

Voilà comment le bon Denys arrête

Le fier Anglais dans ses droits de conquête (26).

Jeanne, échappant à son vainqueur confus,

Reprend ses sens quand il les a perdus ;

Puis d’une voix imposante et terrible,

Elle lui dit : « Tu n’es pas invincible :

Tu vois qu’ici, dans le plus grand combat,

Dieu t’abandonne et ton cheval s’abat ;

Dans l’autre un jour je vengerai la France,

Denys le veut, et j’en ai l’assurance ;

Et je te donne, avec tes combattants,

Un rendez-vous sous les murs d’Orléans. »

Le grand Chandos lui repartit : « Ma belle,

Vous m’y verrez ; pucelle ou non pucelle,

J’aurai pour moi saint George le très fort,

Et je promets de réparer mon tort. (27). »

 

 

LA PUCELLE - CHAT 13-1

 

 

1 – L’auteur désigne clairement la fin du mois de juin. La fête de saint Jean le baptiseur, qu’on appelle Baptiste, est célébrée le 24 Juin.

 

2 – Ce que dit ici l’auteur fait allusion au trente-quatrième chant de l’Orlando furioso :

 

Quando scoprendo il nome suo gli disse

Esser colui che l’Evangilio schisse. (1762.) (Voltaire.)

 

 

Voyez notre Préface, et surtout souvenez-vous qu’Arioste place saint Jean dans la lune avec les trois Parques. (1773.) (Voltaire.)

 

3 – Variante :

 

En fait de guerre on peut bien se méprendre,

Témoin Ajax et certain général,

Duc, bel esprit, ministre, maréchal (*) ;

L’un sur le Rhin, l’autre aux bords du Scamandre,

Un beau matin s’avisèrent de prendre

Des moutons blancs pour autant d’ennemis,

Sans que l’honneur fut en rien compromis.

 

4 – Haut-de-chausses que portaient les pages. (G.A.)

 

(*) De Noailles. (G.A.)

 

5 – Les exemples des sorts sont très fréquents dans Homère. On devinait aussi par des sorts chez les Hébreux. Il est dit que la place de Judas fut tirée au sort ; et aujourd’hui à Venise, à Gênes, et dans d’autres Etats on tire au sort plusieurs places. (1762.) (Voltaire.)

 

6 – Les onze mille vierges et martyres enterrées à Cologne. (1762.) (Voltaire.)

 

7 – Variante :

 

Branlant sa lance et serrant les genoux.

Le fier Chandos se targuait dans sa gloire,

De deux combats espérant la victoire,

Jurant ce mot lequel commence en F.

Jeanne invoquait l’épouse de Joseph,

Mère de Dieu, reine du pucelage.

L’un contre l’autre ils volent avec rage ;

Les deux coursiers, bardés, coiffes de fer. (G.A.)

 

8 – C’était un bouclier qui était tombé du ciel à Rome, et qui était gardé soigneusement, comme un gage de la sûreté de la ville. (1762.) (Voltaire.)

 

9 – En 1756, c’était ici la fin du douzième chant ; ce qui suit formait le treizième. (G.A.)

 

10 – Notre auteur entend sans doute l’artifice dont usa Jacob quand il se fit passer pour Esaü ; Pate-pelu signifie les gants de peau et de poil dont il couvrit ses mains. (1762.) (Voltaire.)

 

 

11 – Variante :

 

Le moine vit de plus plaisants objets ;

Il vit très bien, ou crut voir, le bon père,

Ce qu’aucun Saint n’obtint de voir jamais

Il vit courir à la même aventure,

Il vit aux pieds des futures Agnès

Les demi-dieux de la race future ;

Il observa les différents attraits

De ces beautés dont l’adresse féconde

Faisait danser tous les maîtres du monde :

Chacune était juste sous son héros,

Partant ensemble, et disant les grands mots ;

Chacune avait son trot et son allure ;

Chacun piquait à l’envi sa monture ;

Tous excellaient à ce jeu des deux dos. (1756.) (G.A.)

 

12 – Anne de Pisseleu, duchesse d’Etampes. (1762.) (Voltaire.)

 

13 – Variante :

 

C’est là qu’il vit le beau François premier,

Roi malheureux, mais galant chevalier,

Qui sur un lit fait goûter à deux belles

Tous les plaisirs que François reçoit d’elles. (1756.) (G.A.)

 

14 – Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois. (1762.) (Voltaire.)

 

15 – Variante :

 

Aux mouvements que l’Amour lui fit faire

Quand dans ses bras décharnés et flétris,

Ivre d’amour, tendrement elle serre,

En se pâmant, le second des Henris.

De la débauche un long et triste usage

De la beauté lui fait avoir le prix. (1756.) (G.A.)

 

16 – Henri III et ses mignons. (1762.) (Voltaire.)

 

17 – Alexandre VI, pape, eut trois enfants de Vanoza. Lucrèce, sa fille, passa pour être sa maîtresse et celle de son frère : « Alexandri filia ; sponsa, nurus. » (1762.) (Voltaire.)

 

18 – Variante :

 

Jules second : et toi Monte le drille ! (1756.) (Voltaire.)

 

Del Monte devint pape sous le nom de Jules III. (G.A.)

 

19 – La fameuse Gabrielle d’Estrées, duchesse de Beaufort. (1762.) (Voltaire.)

 

20 – Variante :

 

Que par vingt ans de travaux et d’exploits.

Le moine vit des doges de Venise,

Et ces grands ducs, fiers oppresseurs de Pise,

Avec les boucs partageant leurs plaisirs ;

Mais les laissant à leurs puants désirs. (1756.) (G.A.)

 

21 – Celle qui depuis fut la connétable Colonne. (1762. (Voltaire.)

 

22 – Nous avons rejeté à la fin du poème la longue variante qui part d’ici. (G.A.)

 

 

23 – Duchesse de Berry. (G.A.)

 

24 – Madame de Châteauroux. Voyez la variante à la fin du poème. (G.A.)

 

25 – On portait autrefois des hauts-de-chausses attachés avec une aiguillette ; et on disait d’un homme qui n’avait pu s’acquitter de son devoir que son aiguillette était nouée. Les sorciers ont de tout temps passé pour avoir le pouvoir d’empêcher la consommation du mariage ; cela s’appelait nouer l’aiguillette. La mode des aiguillettes passa sous Louis XIV, quand on mit des boutons aux braguettes. (1762.) (Voltaire.)

 

26 – Ici se trouvaient six vers désavoués par Voltaire :

 

Chandos, suant, et soufflant comme un bœuf, etc. (G.A.)

 

27 – On trouvera à la fin du poème le chant de Corisandre que Voltaire supprima comme un hors-d’œuvre en 1762. (G.A.)

 

Publié dans La Pucelle d'Orléans

Commenter cet article