LA HENRIADE - Chant sixième - Partie 2

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Chant VI 

 

 

Du côté du levant bientôt Bourbon s’avance.

Le voilà qui s’approche, et la Mort le devance.

Le fer avec le feu vole de toutes parts

Des mains des assiégeants et du haut des remparts.

Ces remparts menaçants, leurs tours, et leurs ouvrages,

S’écroulent sous les traits de ces brûlants orages.

On voit les bataillons rompus et renversés,

Et loin d’eux dans les champs leurs membres dispersés.

Ce que le fer atteint tombe réduit en poudre,

Et chacun des partis combat avec la foudre.

 

Jadis avec moins d’art, au milieu des combats,

Les malheureux mortels avançaient leur trépas,

Avec moins d’appareil ils volaient au carnage,

Et  le fer dans leurs mains suffisait à leur rage.

De leurs cruels enfants l’effort industrieux

A dérobé le feu qui brûle dans les cieux.

On entendait gronder ces bombes effroyables (1),

Des troubles de la Flandre enfants abominables :

Dans ces globes d’airain le salpêtre enflammé

Vole avec la prison qui le tient renfermé ;

Il la brise, et la mort en sort avec furie.

 

Avec plus d’art encore, et plus de barbarie,

Dans des antres profonds on a su renfermer

Des foudres souterrains, tout prêts à s’allumer.

Sous un chemin trompeur, où, volant au carnage,

Le soldat valeureux se fie à son courage,

On voit en un instant des abîmes ouverts,

De noirs torrents de soufre épandus dans les airs,

Des bataillons entiers par ce nouveau tonnerre

Emportés, déchirés, engloutis sous la terre.

Ce sont là les dangers où Bourbon va s’offrir ;

C’est par là qu’à son trône il brûle de courir.

Ses guerriers avec lui dédaignent ces tempêtes ;

L’enfer est sous leurs pas, la foudre est sur leurs têtes ;

Mais la gloire à leurs yeux vole à côté du roi ;

Ils ne regardent qu’elle et marchent sans effroi.

Mornay, parmi les flots de ce torrent rapide,

S’avance d’un pas grave et non moins intrépide :

Incapable à la fois de crainte et de fureur,

Sourd au bruit des canons, calme au sein de l’horreur,

D’un œil ferme et stoïque il regarde la guerre

Comme un fléau du ciel, affreux, mais nécessaire.

Il marche en philosophe où l’honneur le conduit,

Condamne les combats, plaint son maître, et le suit (2).

Ils descendent enfin dans ce chemin terrible,

Qu’un glacis teint de sang rendait inaccessible :

C’est là que le danger ranime leurs efforts :

Ils comblent les fossés de fascines, de morts ;

Sur ces morts entassés ils marchent, ils s’avancent ;

D’un cours précipité sur la brèche ils s’élancent.

Armé d’un fer sanglant, couvert d’un bouClier,

Henri vole à leur tête, et monte le premier.

Il monte : il a déjà, de ses mains triomphantes,

Arboré de ses lis les enseignes flottantes.

Les ligueurs, devant lui, demeurent pleins d’effroi :

Ils semblaient respecter leur vainqueur et leur roi.

Ils cédaient ; mais Mayenne à l’instant les ranime :

Il leur montre l’exemple, il les rappelle au crime ;

Leurs bataillons serrés pressent de toutes parts

Ce roi dont ils n’osaient soutenir les regards.

Sur le mur, avec eux, la Discorde cruelle

Se baigne dans le sang que l’on verse pour elle.

Le soldat à son gré, sur ce funeste mur,

Combattant de plus près, porte un trépas plus sûr.

Alors on n’entend plus ces foudres de la guerre,

Dont les bouches de bronze épouvantaient la terre ;

Un farouche silence, enfant de la fureur,

A ces bruyants éclats succède avec horreur.

D’un bras déterminé, d’un œil brûlant de rage,

Parmi ses ennemis chacun s’ouvre un passage.

On saisit, on reprend, par un contraire effort,

Ce rempart teint de sang, théâtre de la mort.

Dans ses fatales mains la Victoire incertaine

Tient encor près des lis l’étendard de Lorraine.

Les assiégeants surpris sont partout renversés,

Cent fois victorieux, et cent fois terrassés ;

Pareils à l’Océan poussé par les orages,

Qui couvre à chaque instant et qui fuit ses rivages.

 

Jamais le roi, jamais son illustre rival

N’avaient été si grands qu’en cet assaut fatal :

Chacun d’eux, au milieu du sang et du carnage,

Maître de son esprit, maître de son courage,

Dispose, ordonne, agit, voit tout en même temps,

Et conduit d’un coup d’œil ces affreux mouvements.

 

Cependant des Anglais la formidable élite,

Par le vaillant Essex à cet assaut conduite,

Marchait sous nos drapeaux pour la première fois,

Et semblait s’étonner de servir sous nos rois.

Ils viennent soutenir l’honneur de leur patrie,

Orgueilleux de combattre, et de donner leur vie

Sur ces mêmes remparts et dans ces mêmes lieux

Où la Seine autrefois vit régner leurs aïeux.

Essex monte à la brèche où combattait d’Aumale ;

Tous deux jeunes, brillants, pleins d’une ardeur égale,

Tels qu’aux remparts de Troie on peint les demi-dieux.

Leurs amis, tout sanglants, sont en foule autour d’eux ;

Français, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble,

Avançaient, combattaient, frappaient, mouraient ensemble.

 

Ange, qui conduisiez leur fureur et leur bras,

Ange exterminateur, âme de ces combats,

De quel héros enfin prîtes-vous la querelle ?

Pour qui pencha des cieux la balance éternelle ?

Longtemps, Bourbon, Mayenne, Essex, et son rival,

Assiégeants, assiégés, font un carnage égal.

Le parti le plus juste eut enfin l’avantage :

Enfin Bourbon l’emporte, il se fait un passage ;

Les ligueurs fatigués ne lui résistent plus ;

Ils quittent les remparts, ils tombent éperdus.

 

Comme on voit un torrent, du haut des Pyrénées,

Menacer des vallons les nymphes consternées,

Les digues qu’on oppose à ses flots orageux

Soutiennent quelque temps son choc impétueux ;

Mais bientôt, renversant sa barrière impuissante,

Il porte au loin le bruit, la mort et l’épouvante ;

Déracine, en passant, ces chênes orgueilleux

Qui bravaient les hivers, et qui touchaient les cieux ;

Détache les rochers du penchant des montagnes,

Et poursuit les troupeaux fuyant dans les campagnes :

Tel Bourbon descendait à pas précipités

Du haut des murs fumants qu’il avait emportés ;

Tels, d’un bras foudroyant fondant sur les rebelles,

Il moissonne en courant leurs troupes criminelles.

Les Seize, avec effroi, fuyaient ce bras vengeur,

Egarés, confondus, dispersés par la peur.

 

Mayenne ordonne enfin que l’on ouvre les portes :

Il rentre dans Paris, suivi de ses cohortes.

Les vainqueurs furieux, les flambeaux à la main,

Dans les faubourgs sanglants se répandent soudain.

Du soldat effréné la valeur tourne en rage ;

Il livre tout au fer, aux flammes, au pillage.

Henri ne les voit point ; son vol impétueux

Poursuivait l’ennemi fuyant devant ses yeux.

Sa victoire l’enflamme, et sa valeur l’emporte ;

Il franchit les faubourgs, il s’avance à la porte :

« Compagnons, apportez et le fer et les feux,

Venez, volez, montez sur ces murs orgueilleux. »

Comme il parlait ainsi, du profond d’une nue

Un fantôme éclatant se présente à sa vue ;

Son corps majestueux, maître des éléments,

Descendait vers Bourbon sur les ailes des vents :

De la Divinité les vives étincelles

Etalaient sur son front des beautés immortelles ;

Ses yeux semblaient remplis de tendresse et d’horreur :

« Arrête, cria-t-il, trop malheureux vainqueur !

Tu vas abandonner aux flammes, au pillage,

De cent rois tes aïeux l’immortel héritage,

Ravager ton pays, mes temples, tes trésors,

Egorger tes sujets, et régner sur des morts :

Arrête !... » A ces accents, plus forts que le tonnerre,

Le soldat s’épouvante, il embrasse la terre,

Il quitte le pillage. Henri, plein de l’ardeur

Que le combat encore enflammait dans son cœur,

Semblable à l’Océan qui s’apaise et qui gronde :

« O fatal habitant de l’invisible monde !

Que viens-tu m’annoncer dans ce séjour d’horreur ? (3)

Alors il entendit ces mots pleins de douceur :

« Je suis cet heureux roi que la France révère,

Le père des Bourbons, ton protecteur, ton père ;

Ce Louis qui jadis combattit comme toi,

Ce Louis dont ton cœur a négligé la foi,

Ce Louis qui te plaint, qui t’admire, et qui t’aime.

Dieu sur ton trône un jour te conduira lui-même ;

Dans Paris, ô mon fils ! Tu rentreras vainqueur,

Pour prix de ta clémence, et non de ta valeur.

C’est Dieu qui t’en instruit, et c’est Dieu qui m’envoie. »

Le héros, à ces mots, verse des pleurs de joie.

La paix a dans son cœur étouffé son courroux :

Il s’écrie, il soupire, il adore à genoux.

D’une divine horreur son âme est pénétrée ;

Trois fois il tend les bras à cette ombre sacrée ;

Trois fois son père échappe à ses embrassements,

Tel qu’un léger nuage écarté par les vents.

 

Du faîte cependant de ce mur formidable,

Tous les ligueurs armés, tout un peuple innombrable,

Etrangers et Français, chefs, citoyens, soldatS,

Font pleuvoir sur le roi le fer et le trépas.

La vertu du Très-Haut brille autour de sa tête,

Et des traits qu’on lui lance écarte la tempête.

Il vit alors, il vit de quel affreux danger

Le père des Bourbons venait le dégager.

Il contemplait Paris d’un œil triste et tranquille :

« Français ! s’écria-t-il, et toi, fatale ville,

Citoyens malheureux, peuple faible et sans foi,

Jusqu’à quand voulez-vous combattre votre roi ? »

Alors, ainsi que l’astre auteur de la lumière,

Après avoir rempli sa brûlante carrière,

Au bord de l’horizon brille d’un feu plus doux,

Et, plus grand à nos yeux, paraît fuir loin de nous,

Loin des murs de Paris le héros se retire,

Le cœur plein du saint roi, plein du Dieu qui l’inspire.

Il marche vers Vincennes, où Louis autrefois,

Au pied d’un chêne assis, dicta ses justes lois.

Que vous êtes changé, séjour jadis aimable !

Vincennes (4), tu n’es plus qu’un donjon détestable,

Qu’une prison d’Etat, qu’un lieu de désespoir,

Où tombent si souvent du faîte du pouvoir

Ces ministres, ces grands, qui tonnent sur nos têtes,

Qui vivent à la cour au milieu des tempêtes,

Oppresseurs, opprimés, fiers, humbles tour à tour,

Tantôt l’horreur du peuple, et tantôt leur amour.

Bientôt de l’Occident, où se forment les ombres,

La nuit vint sur Paris porter ses voiles sombres,

Et cacher aux mortels, en ce sanglant séjour,

Ces morts et ces combats qu’avait vus l’œil du jour.

 

LA HENRIADE-CHANT 6- Partie 2 

 

 

 

1– C’est dans les guerres de Flandre, sous Philippe II, qu’un ingénieur italien fit usage des bombes pour la première fois. Presque tous nos arts sont dus aux Italiens. (1738.) (Voltaire.)

 

2 – Voyez la Préface de Marmontel. Mornay joue dans ce poème le même rôle que Caton dans la Pharsale. (G.A.)

 

3 – « Il faut admirer, dit M. Villemain, la belle fiction de saint Louis apparaissant sur la brèche des remparts de Paris pour arrêter le vainqueur. Le langage est vraiment épique. » (G.A.)

 

4 – On sait combien d’illustres prisonniers d’état les cardinaux de Richelieu et Mazarin firent enfermer à Vincennes. Lorsqu’on travaillait à la Henriade, le secrétaire d’Etat Le Blanc était prisonnier dans ce château, et il y fit ensuite enfermer ses ennemis. (1752.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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