LA HENRIADE : Chant cinquième - Partie 2

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SUITE

 

Chant V 

 

 

D’abord, autour de lui, les ligueurs en furie

Commencent à grands cris ce sacrifice impie.

Leurs parricides bras se lavent dans le sang ;

De Valois sur l’autel ils vont percer le flanc ;

Avec plus de terreur, et plus encor de rage,

De Henri sous leurs pieds ils renversent l’image,

Et pensent que la mort (1), fidèle à leur courroux,

Va transmettre à ces rois l’atteinte de leurs coups.

 

L’Hébreu (2) joint cependant la prière au blasphème :

Il invoque l’abîme, et les cieux, et Dieu même,

Tous ces impurs esprits qui troublent l’univers,

Et le feu de la foudre, et celui des enfers.

 

Tel fut dans Gelboa le secret sacrifice

Qu’à ses dieux infernaux offrit la pythonisse,

Alors qu’elle évoqua devant un roi cruel

Le simulacre affreux du prêtre Samuel ;

Ainsi contre Juda, du haut de Samarie,

Des prophètes menteurs tonnait la bouche impie ;

Ou tel, chez les Romains, l’inflexible Atéius (3)

Maudit, au nom des dieux, les armes de Crassus.

 

Aux magiques accents que sa bouche prononce,

Les Seize osent du ciel attendre la réponse ;

A dévoiler leur sort ils pensent le forcer.

Le ciel, pour les punir, voulut les exaucer :

Il interrompt pour eux les lois de la nature ;

De ces antres muets sort un triste murmure ;

Les éclairs, redoublés dans la profonde nuit,

Poussent un jour affreux qui renaît et qui fuit.

Au milieu de ces feux, Henri, brillant de gloire,

Apparaît à leurs yeux sur un char de victoire :

Des lauriers couronnaient son front noble et serein,

Et le sceptre des rois éclatait dans sa main.

L’air s’embrase à l’instant par les traits du tonnerre ;

L’autel, couvert de feux, tombe, et fuit sous la terre ;

Et les Seize éperdus, l’Hébreu saisi d’horreur,

Vont cacher dans la nuit leur crime et leur terreur.

 

Ces tonnerres, ces feux, ce bruit épouvantable,

Annonçaient à Valois sa perte inévitable :

Dieu, du haut de son trône, avait compté ses jours ;

Il avait loin de lui retiré son secours :

La Mort impatiente attendait sa victime ;

Et, pour perdre Valois, Dieu permettait un crime.

Clément au camp royal a marché sans effroi.

Il arrive, il demande à parler à son roi ;

Il dit que, dans ces lieux amené par Dieu même,

Il y vient rétablir les droits du diadème,

Et révéler au roi des secrets importants.

On l’interroge, on doute, on l’observe longtemps,

On craint sous cet habit un funeste mystère :

Il subit sans alarme un examen sévère ;

Il satisfait à tout avec simplicité ;

Chacun, dans ses discours, croit voir la vérité.

La garde aux yeux du roi le fait enfin paraître.

 

L’aspect du souverain n’étonna point ce traître.

D’un air humble et tranquille il fléchit les genoux :

Il observe à loisir la place de ses coups ;

Et le mensonge adroit, qui conduisait sa langue,

Lui dicta cependant sa perfide harangue.

« Souffrez, dit-il, grand roi, que ma timide voix

S’adresse au Dieu puissant qui fait régner les rois ;

Permettez, avant tout, que mon cœur le bénisse

Des biens que va sur vous répandre sa justice.

Le vertueux Potier (4), le prudent Villeroi,

Parmi vos ennemis vous ont gardé leur foi ;

Harlay (5), le grand Harlay, dont l’intrépide zèle

Fut toujours formidable à ce peuple infidèle,

Du fond de sa prison réunit tous les cœurs,

Rassemble vos sujets, et confond les ligueurs.

Dieu, qui, bravant toujours les puissants et les sages,

Par la main la plus faible accomplit ses ouvrages,

Devant le grand Harlay lui-même m’a conduit.

Rempli de sa lumière, et par sa bouche instruit,

J’ai volé vers mon prince, et vous rends cette lettre

Qu’à mes fidèles mains Harlay vient de remettre. »

                                                                        

Valois reçoit la lettre avec empressement.

Il bénissait les cieux d’un si prompt changement :

« Quand pourrai-je, dit-il, au gré de ma justice,

Récompenser ton zèle, et payer ton service ? »

En lui disant ces mots, il lui tendait les bras :

Le monstre au même instant tire son coutelas,

L’en frappe, et dans le flanc l’enfonce avec furie.

Le sang coule ; on s’étonne, on s’avance, on s’écrie ;

Mille bras sont levés pour punir l’assassin :

Lui, sans baisser les yeux, les voit avec dédain ;

Fier de son parricide, et quitte envers la France,

Il attend à genoux la mort pour récompense :

De la France et de Rome il croit être l’appui ;

Il pense voir les cieux qui s’entr’ouvrent pour lui ;

Et, demandant à Dieu la palme du martyre,

Il bénit, en tombant, les coups dont il expire.

Aveuglement terrible, affreuse illusion !

Digne à la fois d’horreur et de compassion,

Et de la mort du roi moins coupable peut-être

Que ces lâches docteurs, ennemis de leur maître,

Dont la voix, répandant un funeste poison,

D’un faible solitaire égara la raison !

Déjà Valois touchait à son heure dernière ;

Ses yeux ne voyaient plus qu’un reste de lumière :

Ses courtisans en pleurs, autour de lui rangés,

Par leurs desseins divers en secret partagés,

D’une commune voix formant les mêmes plaintes

Exprimaient des douleurs ou sincères ou feintes.

Quelques-uns, que flattait l’espoir du changement,

Du danger de leur roi s’affligeaient faiblement ;

Les autres, qu’occupait leur crainte intéressée,

Pleuraient, au lieu du roi, leur fortune passée (6).

Parmi ce bruit confus de plaintes, de clameurs,

Henri, vous répandiez de véritables pleurs.

Il fut votre ennemi ; mais les cœurs nés sensibles

Sont aisément émus dans ces moments horribles.

Henri ne se souvint que de son amitié :

En vain son intérêt combattait sa pitié ;

Ce héros vertueux se cachant à lui-même

Que la mort de son roi lui donne un diadème.

 

Valois tourna sur lui par un dernier effort,

Ses yeux appesantis qu’allait fermer la mort ;

Et, touchant de sa main ses mains victorieuses :

« Retenez, lui dit-il, vos larmes généreuses ;

L’univers indigné doit plaindre votre roi :

Vous, Bourbon, combattez, régnez, et vengez-moi.

Je meurs, et je vous laisse, au milieu des orages,

Assis sur un écueil couvert de mes naufrages.

Mon trône vous attend, mon trône vous est dû :

Jouissez de ce bien par vos mains défendu :

Mais songez que la foudre en tout temps l’environne ;

Craignez, en y montant, ce Dieu qui vous le donne.

Puissiez-vous, détrompé d’un dogme criminel,

Rétablir de vos mains son culte et son autel.

Adieu, régnez heureux ; qu’un plus puissant génie

Du fer des assassins défende votre vie !

Vous connaissez la Ligue, et vous voyez ses coups :

Ils ont passé par moi pour aller jusqu’à vous ;

Peut-être un jour viendra qu’une main plus barbare…

Juste ciel ! Epargnez une vertu si rare !

Permettez !... » A ces mots l’impitoyable Mort

Vient fondre sur sa tête (7), et termine son sort.

 

Au bruit de son trépas, Paris se livre en proie

Aux transports odieux de sa coupable joie :

De cent cris de victoire ils remplissent les airs ;

Les travaux sont cessés, les temples sont ouverts.

De couronnes de fleurs ils ont paré leurs têtes ;

Ils consacrent ce jour à d’éternelles fêtes ;

Bourbon n’est à leurs yeux qu’un héros sans appui,

Qui n’a plus que sa gloire et sa valeur pour lui.

Pourra-t-il résister à la Ligue affermie,

A L’Eglise en courroux, à l’Espagne ennemie,

Aux traits du Vatican, si craints, si dangereux,

A l’or du Nouveau-Monde, encor plus puissant qu’eux ?

 

Déjà quelques guerriers, funestes politiques,

Plus mauvais citoyens que zélés catholiques,

D’un scrupule affecté colorant leur dessein,

Séparent leurs drapeaux des drapeaux de Calvin ;

Mais le reste, enflammé d’une ardeur plus fidèle,

Pour la cause des rois redouble encor son zèle.

Ces amis éprouvés, ces généreux soldats,

Que longtemps la victoire a conduits sur ses pas,

De la France incertaine ont reconnu le maître ;

Tout leur camp réuni le croit digne de l’être.

Ces braves chevaliers, les Givry, les d’Aumont,

Les grands Montmorency, les Saucy, les Crillon,

Lui jurent de le suivre aux deux bouts de la terre :

Moins faits pour disputer que formés pour la guerre,

Fidèle à leur Dieu, fidèles à leurs lois,

C’est l’honneur qui leur parle ; ils marchent à sa voix.

 

« Mes amis, dit Bourbon, c’est vous dont le courage

Des héros de mon sang me rendra l’héritage :

Les pairs, et l’huile sainte, et le sacre des rois,

Font les pompes du trône, et ne font pas mes droits.

C’est sur un bouclier qu’on vit vos premiers maîtres

Recevoir les serments de vos braves ancêtres.

Le champ de la victoire est le temple où vos mains

Doivent aux nations donner leurs souverains. »

 

C’est ainsi qu’il s’explique ; et bientôt il s’apprête

A mériter son trône en marchant à leur tête.

 

 LA HENRIADE - Chant 5 - Partie 2

 

 

 

1 – Plusieurs prêtres ligueurs avaient fait faire de petites images de cire qui représentaient Henri III et le roi de Navarre : ils les mettaient sur l’autel, les perçaient pendant la messe quarante jours consécutifs, et le quarantième jour les perçaient au cœur. (1730.) (Voltaire.)

 

2 – C’était, pour l’ordinaire, des Juifs que l’on se servait pour faire des opérations magiques. Cette ancienne superstition vient des secrets de la cabale, dont les Juifs se disaient seuls dépositaires. Catherine de Médicis, la maréchale d’Ancre, et beaucoup d’autres, employèrent des Juifs à ces prétendus sortilèges. (1730.) (Voltaire.)

 

3 – Atéius, tribun du peuple, ne pouvant empêcher Crassus de partir pour aller contre les Parthes, porta un brasier ardent à la porte de la ville par où Crassus sortait, y jeta certaines herbes, et maudit l’expédition de Crassus, en invoquant les divinités infernales. (1730.) (Voltaire.)

 

4 – Potier, président du parlement, dont il est parlé ci-devant.

 

Villeroi, qui avait été secrétaire d’Etat sous Henri III, et qui avait pris le parti de la Ligue, pour avoir été insulté en présence du roi par le duc d’Epernon. (1730.)

 

5 – Achille de Harlay, qui était alors gardé à la Bastille par Bussi Le Clerc. Jacques Clément  présenta au roi une lettre de la part de ce magistrat. On n’a point su si la lettre était contrefaite ou non : c’est ce qui est étonnant dans un fait de cette importance, et c’est ce qui me ferait croire que la lettre était véritable, et qu’on l’aurait surprise au président de Harlay : autrement on aurait fait sonner bien haut cette fausseté contre la Ligue. (1741.)

 

6 – « Le groupe des courtisans rassemblés autour de Valois est heureusement dessiné, dit le critique de 94. On y reconnaît bien les ancêtres de nos émigrés, dignes fils de tels pères. » (G.A.)

 

7 – Henri III mourut de sa blessure le 3 Août, à deux heures du matin, à Saint-Cloud, mais non point dans la même maison où il avait pris, avec son frère, la résolution de la Saint-Barthélemy, comme l’ont écrit plusieurs historiens ; car cette maison n’était point encore bâtie du temps de la Saint-Barthélemy. (1730.) (Voltaire.) – Henri III mourut le 2 Août. (G.A.)

 

 

 

 

 

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