FACÉTIE - Extrait de la gazette de Londres

Publié le par loveVoltaire

EXTRAIT-DE-LA-GAZETTE-DE-LONDRES---1762.jpg

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

EXTRAIT DE LA GAZETTE DE LONDRES,

 

DU 20 FÉVRIER 1762.

 

 

________

 

 

 

[C’est au moment où la France était arrivée au dernier degré de l’épuisement et de l’abaissement, après sept ans de guerre, que Voltaire lança cette page ironique. On sait que les Anglais étaient nos vainqueurs.] (G.A.)

 

 

 

________

 

 

 

 

          Nous apprenons que nos voisins les Français sont animés autant que nous au moins de l’esprit patriotique. Plusieurs corps de ce royaume signalent leur zèle pour le roi et pour la patrie. Ils donnent leur nécessaire pour fournir des vaisseaux, et on nous apprend que les moines, qui doivent aussi aimer le roi et la patrie, donneront de leur superflu.

 

          On assure que les bénédictins, qui possèdent environ neuf millions de livres tournois de rente dans le royaume de France fourniront au moins neuf vaisseaux de haut bord.

 

          Que l’abbé de Cîteaux, homme très important dans l’Etat, puisqu’il possède, sans contredit, les meilleures vignes de Bourgogne et la plus grosse tonne, augmentera la marine d’une partie de ses futailles. Il fait bâtir actuellement un palais dont le devis est d’un million sept cent mille livres tournois, et il a déjà dépensé quatre cent mille francs à cette maison pour la gloire de Dieu : il va faire construire des vaisseaux pour la gloire du roi.

 

          On assure que Clairvaux suivra cet exemple, quoique les vignes de Clairvaux soient très peu de chose ; mais possédant quarante mille arpents de bois, il est très en état de faire construire de bons navires.

 

          Il sera imité par les chartreux, qui voulaient même le prévenir, attendu qu’ils mangent la meilleure marée, et qu’il est de leur intérêt que la mer soit libre. Ils ont trois millions de rente en France pour faire venir des turbots et des soles. On dit qu’ils donneront trois beaux vaisseaux de ligne.

 

          Les prémontrés et les carmes, qui sont aussi nécessaires dans un Etat que les chartreux, et qui sont aussi riches qu’eux, se proposent de fournir le même contingent. Les autres moines donneront à proportion. On est si assuré de cette oblation (1) volontaire de tous les moines, qu’il est évident qu’il faudrait les regarder comme ennemis de la patrie s’ils ne s’acquittaient pas de ce devoir.

 

          Les juifs de Bordeaux se sont cotisés : des moines, qui valent bien des juifs, seront jaloux, sans doute, de maintenir la supériorité de la nouvelle loi sur l’ancienne.

 

          Pour les frères jésuites, on n’estime pas qu’ils doivent se saigner en cette occasion, attendu que la France va être incessamment purgée desdits frères.

 

 

 

 

POST-SCRIPTUM.

 

 

 

          Comme la France manque un peu de gens de mer, le prieur des célestins a proposé aux abbés réguliers, prieurs, sous-prieurs, recteurs, supérieurs qui fourniront les vaisseaux, d’envoyer leurs novices servir de mousses, et les profès servir de matelots. Ledit célestin a démontré, dans un beau discours, combien il est contraire à l’esprit de charité de ne songer qu’à faire son salut, quand on doit s’occuper de celui de l’Etat : ce discours a fait un grand effet, et tous les chapitres délibéreraient encore au départ de la poste.

 

EXTRAIT DE LA GAZETTE DE LONDRES - 1762

 

1 – Action par laquelle on offre quelque chose à une divinité où à ses représentants. (G.A.)

 

 

Publié dans Facéties

Commenter cet article