FACETIE : Femmes, soyez soumises à vos maris.

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FEMMES, SOYEZ SOUMISES A VOS MARIS.

 

 

 

  1767 

 

 

 

 

[Nous plaçons cet opuscule à la date de 1767, mais nous n’affirmons pas que cette date soit exacte. Nous doutons même que la princesse allemande citée par Voltaire vers le milieu du morceau soit Catherine de Russie, comme quelques éditeurs le prétendent.] (G.A.)

 

 

 

____

 

 

         L’abbé de Châteauneuf (1) me contait un jour que madame la maréchale de Grancey (2) était fort impérieuse ; elle avait d’ailleurs de très grandes qualités. Sa plus grande fierté consistait à se respecter soi-même, à ne rien faire dont elle pût rougir en secret ; elle ne s’abaissa jamais à dire un mensonge : elle aimait mieux avouer une vérité dangereuse que d’user d’une dissimulation utile ; elle disait que la dissimulation marque toujours de la timidité. Mille actions généreuses signalèrent sa vie ; mais quand on l’en louait, elle se croyait méprisée, elle disait : « Vous pensez donc que ces actions m’ont coûté des efforts ? » Ses amants l’adoraient, ses amis la chérissaient, et son mari la respectait.

 

         Elle passa quarante années dans cette dissipation et dans ce cercle d’amusements qui occupent sérieusement les femmes ; n’ayant jamais rien lu que les lettres qu’on lui écrivait, n’ayant jamais mis dans sa tête que les nouvelles du jour, les ridicules de son prochain, et les intérêts de son cœur. Enfin, quand elle se vit à cet âge où l’on dit que les belles femmes qui ont de l’esprit passent d’un trône à l’autre, elle voulut lire. Elle commença par les tragédies de Racine, et fut étonnée de sentir, en les lisant, encore plus de plaisir qu’elle n’en avait éprouvé à la représentation : le bon goût qui se déployait en elle lui faisait discerner que cet homme ne disait jamais que des choses vraies et intéressantes, qu’elles étaient toutes à leur place ; qu’il était simple et noble, sans déclamation, sans rien de forcé, sans courir après l’esprit, que ses intrigues, ainsi que ses pensées, étaient toutes fondées sur la nature : elle retrouvait dans cette lecture l’histoire de ses sentiments et le tableau de sa vie.

 

         On lui fit lire Montaigne : elle fut charmée d’un homme qui faisait conversation avec elle, et qui doutait de tout. On lui donna ensuite les grands hommes de Plutarque : elle demanda pourquoi il n’avait pas écrit l’histoire des grandes femmes.

 

         L’abbé de Châteauneuf la rencontra un jour toute rouge de colère. Qu’avez-vous donc, madame ? lui dit-il. J’ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c’est, je crois, quelque recueil de lettres ; j’y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos maris (3) ; j’ai jeté le livre.

 

         Comment, madame ! savez-vous bien que ce sont les Epîtres de saint Paul ?

 

         Il ne m’importe de qui elles sont : l’auteur est très impoli. Jamais M. le maréchal ne m’a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme très difficile à vivre : était-il marié ?

 

         Oui, madame.

 

         Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature : si j’avais été la femme d’un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encore s’il s’était contenté de dire, Soyez douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais : Voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? Quand j’épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d’être fidèles : je n’ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes d’obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N’est-ce pas assez qu’un homme, après m’avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle ? N’est-ce pas assez que je mette au jour, avec de très grandes douleurs, un enfant qui pourra me plaider quand il sera majeur ? Ne suffit-il pas que je sois sujette tous les mois à des incommodités très désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble, la suppression d’une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort, sans qu’on vienne me dire encore, Obéissez ?

 

         Certainement la nature ne l’a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n’a pas prétendu que l’union formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a dit :

 

Du côté de la barbe est la toute puissance (4).

 

Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître ! Quoi ! parce qu’un homme a le menton couvert d’un vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse très humblement ? Je sais bien qu’en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu’ils peuvent donner un coup de poing mieux appliqué : j’ai bien peur que ce ne soit là l’origine de leur supériorité.

 

         Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent d’être plus capables de gouverner ; mais je leur montrerai des reines qui valent bien des rois. On me parlait ces jours passés d’une princesse allemande qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu’elle a de lumières. Son courage égale ses connaissances ; aussi n’a-t-elle pas été élevée dans un couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre. Pour moi, si j’avais un Etat à gouverner, je me sens capable d’oser suivre ce modèle.

 

         L’abbé de Châteaueuf, qui était fort poli, n’eut garde de contredire madame la maréchale.

 

         A propos, dit-elle, est-il vrai que Mahomet avait pour nous tant de mépris, qu’il prétendait que nous n’étions pas dignes d’entrer en paradis, et que nous ne serions admises qu’à l’entrée ? En ce cas, dit l’abbé, les hommes se tiendront toujours à la porte ; mais consolez-vous, il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce qu’on dit ici de la religion mahométane. Nos moines ignorants et méchants nous ont bien trompés, comme le dit mon frère (5), qui a été douze ans ambassadeur à la Porte.

 

         Quoi ! il n’est pas vrai, monsieur, que Mahomet ait inventé la pluralité des femmes, pour mieux s’attacher les hommes ? Il n’est pas vrai que nous soyons esclaves en Turquie, et qu’il nous soit défendu de prier Dieu dans une mosquée ? − Pas un mot de tout cela, madame ; Mahomet, loin d’avoir imaginé la polygamie, l’a réprimée et restreinte. Le sage Salomon possédait sept cents épouses. Mahomet a réduit ce nombre à quatre seulement. Mesdames iront en paradis tout comme messieurs, et sans doute on y fera l’amour, mais d’une autre manière qu’on ne le fait ici ; car vous sentez bien que nous ne connaissons l’amour dans ce monde que très imparfaitement.

 

         Hélas ! vous avez raison, dit la maréchale : l’homme est bien peu de chose.

 

         Mais, dites-moi, votre Mahomet a-t-il ordonné que les femmes fussent soumises à leurs maris ?

 

         Non, madame, cela ne se trouve point dans l’Alcoran.

 

         Pourquoi donc sont-elles esclaves en Turquie ?

 

         Elles ne sont point esclaves, elles ont leurs biens, elles peuvent tester, elles peuvent demander un divorce dans l’occasion ; elles vont à la mosquée à leurs heures, et à leurs rendez-vous à d’autres heures ; on les voit dans les rues avec leurs voiles sur le nez, comme vous aviez votre masque il y a quelques années. Il est vrai qu’elles ne paraissent ni à l’Opéra, ni à la comédie ; mais c’est parce qu’il n’y en a point. Doutez-vous que si jamais dans Constantinople, qui est la patrie d’Orphée, il y avait un Opéra, les dames turques ne remplissent les premières loges ?

 

         Femmes, soyez soumises à vos maris ! disait toujours la maréchale entre ses dents. Ce Paul était bien brutal.

 

         Il était un peu dur, repartit l’abbé, et il aimait fort à être le maître : il traita du haut en bas saint Pierre qui était un assez bon homme. D’ailleurs, il ne faut pas prendre au pied de la lettre tout ce qu’il dit. On lui reproche d’avoir eu beaucoup de penchant pour le jansénisme. Je me doutais bien que c’était un hérétique, dit la maréchale, et elle se remit à sa toilette.

 

 

 

 FEMMES

 

 

 

 

1 – Parrain de Voltaire. Voyez la Vie de Voltaire par Condorcet. (G.A.)

 

2 – Morte en 1694, année de la naissance de Voltaire. (G.A.)

 

3 – Cette obligation a été reproduite dans le Code civil. « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari, » dit le fameux article 213. (G.A.)

 

4 – Ecole des femmes. (G.A.)

 

5 – Le marquis de Châteauneuf, qui fut aussi ambassadeur en Hollande, et auprès duquel Voltaire fut envoyé à l’âge de dix-neuf ans. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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