FACÉTIE : Extrait
Photo de PAPAPOUSS
EXTRAIT
DES NOUVELLES A LA MAIN DE LA VILLE DE MONTAUBAN,
EN QUERCY, LE 1ER JUILLET 1760.
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Le mémoire de M le Franc de Montauban, présenté au roi (1), étant parvenu à Montauban, et chacun étant stupéfait, les parents du sieur auteur du mémoire s’assemblèrent ; et ayant reconnu que ledit sieur instruisait familièrement sa majesté de ses gestes, dits, et écrits ; qu’il parlait au roi des entretiens amiables que lui sieur Le Franc avait eus avec M. d’Aguesseau ; qu’il appartenait au roi qu’il avait eu une bibliothèque à Montauban, et de plus qu’il faisait des vers ; ayant remarqué dans ledit écrit plusieurs autres passages qui dénotaient une tête attaquée, ils députèrent en poste un avocat de ladite ville au sieur auteur, demeurant pour lors à Paris, et lui enjoignirent de s’informer exactement de sa santé, et d’en faire un rapport juridique. Ledit avocat, accompagné d’un témoin irréprochable, alla à Paris, et se transporta chez le malade. Il le trouva debout, à la vérité, mais les yeux un peu égarés, et le pouls élevé. Le patient cria d’abord devant les deux députés : Jéhova, Jupiter, Seigneur (2).
Je ne suis qu’un avocat, répondit le voyageur ; je ne m’appelle point Jehovah. Avez-vous vu le roi ? dit le malade. Non, monsieur, je viens vous voir. Allez dire au roi de ma part, reprit le sieur malade, qu’il relise mon mémoire, et portez lui le catalogue de ma bibliothèque. L’avocat lui conseilla de manger de bons potages, de se baigner, et de se coucher de bonne heure. A ces mots, le patient eut des convulsions, et dans l’accès il s’écria :
Créateur de tous les êtres,
Dans ton amour paternel,
Pour nous former tu pénètres
L’ombre du sein maternel (3).
Eh ! monsieur, dit l’avocat, pour me citez-vous ces détestables vers, quand je vous parle raison ? Le malade écuma à ce propos, et grinçant des dents, il dit :
Le cruel Amalec tombe (4)
Sous le fer de Josué ;
L’orgueilleux Jabin succombe
Sous le fer d’Abinoé,
Issachar a pris les armes ;
Zabulon court aux alarmes.
L’avocat versa des larmes en voyant l’état lamentable du patent ; il retourna à Montauban faire son rapport juridique ; et la famille, étant certaine que le malade était mentis non compos, fit interdire le sieur Le Franc de Pompignan jusqu’à ce qu’un bon régime pût rétablir la santé d’icelui.
1 – Voyez notre Notice. (G.A.)
2 – Prière du déiste, composée par ledit sieur. (Voltaire.)
3 – Poésies sacrées dudit auteur, page 61.
4 – Ibid, page 87