ERIPHYLE - Partie 6 : Acte quatrième
Photo de PAPAPOUSS
É R I P H Y L E
ACTE QUATRIÈME.
(1)
SCÈNE I.
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ALCMÉON, THÉANDRE.
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ALCMÉON
Tu le vois, j’ai franchi cet intervalle immense
Que mit du trône à moi mon indigne naissance :
Oui, tout me favorise ; oui, tout sera pour moi.
Vainqueur de tous côtés, on m’aime et je suis roi ;
Tandis que mon rival, méditant sa vengeance,
Va des rois ennemis implorer l’assistance.
L’hymen me paie enfin le prix de ma valeur,
Je ne vois qu’Eriphyle, un sceptre, et mon bonheur.
THÉANDRE.
Et les dieux !...
ALCMÉON
Que dis-tu ? Ma gloire est leur ouvrage.
Au pied de leurs autels je viens en faire hommage.
Entrons…
(Alcméon et Théandre marchent vers la porte du temple.)
Ces murs sacrés s’ébranlent à mes yeux ! …
Quelle plaintive voix s’élève dans ses lieux ?
THÉANDRE.
Ah ! Mon fils, de ce jour les prodiges funestes
Sont les avant-coureurs des vengeances célestes.
Craignez…
ALCMÉON
L’air s’obscurcit… Qu’entends-je ? Quels éclats ?
THÉANDRE.
O ciel !
ALCMÉON
La terre tremble et fuit devant mes pas.
THÉANDRE.
Les dieux même ont brisé l’éternelle barrière
Dont ils ont séparé l’enfer et la lumière.
Amphiaraüs, dit-on, bravant les lois du sort,
Apparaît aujourd’hui du séjour de la mort :
Moi-même, dans la nuit, au milieu du silence,
J’entendais une voix qui demandait vengeance.
« Assassin, disait-elle, il est de trembler ;
Assassins, l’heure approche et le sang va couler.
La vérité terrible éclaire enfin l’abîme
Où dans l’impunité s’était caché le crime. »
Ces mots, je l’avouerai, m’ont glacé de terreur.
ALCMÉON
Laisse, laisse aux méchants l’épouvante et l’horreur.
C’est sur leurs attentats que mon espoir se fonde ;
Ce sont eux qu’on menace, et si la foudre gronde,
La foudre me rassure, et ce ciel que tu crains,
Pour les mieux écraser, la mettra dans mes mains.
THÉANDRE.
Eh ! C’est ce qui pour vous m’effraie et m’intimide.
ALCMÉON
Crains-tu donc que mon bras ne punisse Hermogide ?
Lui, l’ennemi des dieux, des hommes et des lois !
Lui, dont la main versa tout le sang de nos rois !
Quand pourrai-je venger ce meurtre abominable ?
THÉANDRE.
Je souhaite, Alcméon, qu’il soit le moins coupable.
ALCMÉON
Comment, que me dis-tu ?
THÉANDRE.
De tristes vérités.
Peut-être contre vous les dieux sont irrités.
ALCMÉON
Contre moi !
THÉANDRE.
Des héros imitateur fidèle,
Vous jurez aux forfaits une guerre immortelle ;
Vous vous croyez, mon fils, armé pour les venger ;
Gardez de les défendre et de les partager.
ALCMÉON
Comment ! Que dites-vous ?
THÉANDRE.
Vous êtes jeune encore :
A peine aviez-vous vu votre première aurore,
Quand ce roi malheureux descendit chez les morts.
Peut-être ignorez-vous ce qu’on disait alors
Et de la cour du roi quel fut l’affreux langage.
ALCMÉON
Eh bien ?
THÉANDRE.
Je vais vous faire un trop sensible outrage ;
Le secret est horrible, il faut le révéler :
Je vous tiens lieu de père, et je dois vous parler.
ALCMÉON
Eh bien ! Que disait-on ? Achève.
THÉANDRE.
Que la reine
Avait lié son cœur d’une coupable chaîne ;
Qu’au barbare Hermogide elle promit sa main,
Et jusqu’à son époux conduisit l’assassin.
ALCMÉON
Rends grâce à l’amitié qui pour toi m’intéresse :
Si tout autre que toi soupçonnait la princesse,
Si quelque audacieux avait pu l’offenser …
Mais que dis-je ? Toi-même, as-tu pu le penser ?
Peux-tu me présenter ce poison que l’envie
Répand aveuglément sur la plus belle vie ?
Tu connais peu la cour ; mais la crédulité
Aiguise ainsi les traits de la malignité ;
Vos oisifs courtisans que les chagrins dévorent
S’efforcent d’obscurcir les astres qu’ils adorent :
Si l’on croit de leurs yeux le regard pénétrant,
Tout ministre est un traître, et tout prince un tyran ;
L’hymen n’est entouré que de feux adultères,
Le frère à ses rivaux est vendu par ses frères ;
Et sitôt qu’un grand roi penche vers son déclin,
Ou son fils, ou sa femme, ont hâté son destin.
Je hais de ces soupçons la barbare imprudence :
Je crois que sur la terre il est quelque innocence ;
Et mon cœur, repoussant ces sentiments cruels,
Aime à juger par lui du reste des mortels (2).
Qui croit toujours le crime, en paraît trop capable.
A mes yeux comme aux tiens Hermogide est coupable.
Lui seul a pu commettre un meurtre si fatal :
Lui seul est parricide.
THÉANDRE.
Il est votre rival :
Vous écoutez sur lui vos soupçons légitimes ;
Vous trouvez du plaisir à détester ses crimes.
Mais un objet trop cher …
ALCMÉON
Ah ! Ne l’offense plus ;
Et garde le silence, ou vante ses vertus.
1 – Ce quatrième acte a subi bien des remaniements. Voltaire en trouvait le début froid, mauvais, insupportable. (G.A.)
2 – Voici encore des vers qui font allusion aux bruits répandus contre le régent. (G.A.)
SCÈNE II.
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ÉRIPHYLE, ALCMÉON, THÉANDRE, ZÉLONIDE,
SUITE DE LA REINE.
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ÉRIPHYLE.
Roi d’Argos, paraissez, et portez la couronne,
Vos mains l’ont défendue, et mon cœur vous la donne.
Je ne balance plus : je mets sous votre loi
L’empire d’Inachus, et vos rivaux, et moi.
J’ai fléchi de nos dieux les redoutables haines ;
Leurs vertus sont en vous, leur sang coule en mes veines ;
Et jamais sur la terre on n’a formé de nœuds
Plus chers aux immortels, et plus dignes des cieux.
ALCMÉON
Ils lisent dans mon cœur : ils savent que l’empire
Est le moindre des biens où mon courage aspire.
Puissent tomber sur moi leurs plus funestes traits,
Si mon cœur infidèle oubliait vos bienfaits !
Ce peuple qui m’entend, et qui m’appelle au temple,
Me verra commander, pour lui donner l’exemple ;
Et, déjà par mes mains instruit à vous servir,
N’apprendra de son roi qu’à vous mieux obéir.
ÉRIPHYLE.
Enfin la douce paix vient rassurer mon âme :
Dieux ! Vous favorisez une si pure flamme !
Vous ne rejetez plus mon encens et mes vœux !
(A Alcméon.)
Recevez donc ma main…
SCÈNE III.
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LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, L’OMBRE D’AMPHIARAÜS.
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(Le temple s’ouvre, l’ombre d’Amphiaraüs paraît à l’entrée de ce temple, dans une posture menaçante.)
L’OMBRE D’AMPHIARAÜS.
Arrête, malheureux !
ÉRIPHYLE
Amphiaraüs ! ô ciel ! où suis-je ?
ALCMÉON
Ombre fatale,
Quel dieu te fait sortir de la nuit infernale ?
Quel est ce sang qui coule ! Et quel es-tu ?
L’OMBRE D’AMPHIARAÜS.
Ton roi.
Si tu prétends régner, arrête, et venge-moi.
ALCMÉON
Eh bien ! mon bras est prêt ; parle, que dois-je faire ?
L’OMBRE D’AMPHIARAÜS.
Me venger sur ma tombe.
ALCMÉON
Eh ! de qui ?
L’OMBRE D’AMPHIARAÜS.
De ta mère (1).
ALCMÉON
Ma mère ! Que dis-tu ? Quel oracle confus !
Mais l’enfer le dérobe à mes yeux éperdus.
Les dieux ferment leur temple !
(L’ombre rentre dans le temple, qui se referme.)