EPITRE : A M. le Comte Algarotti

Publié le par loveVoltaire

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A M. LE COMTE ALGAROTTI (1)

 

 

– 1735 

 

 

 

 

 

Lorsque ce grand courrier de la philosophie,

Condamine l’observateur (1),

De l’Afrique au Pérou conduit par Uranie,

Par la gloire et par la manie,

S’en va griller sous l’équateur,

Maupertuis et Clairaut, dans leur docte fureur,

Vont geler au pôle du monde.

Je les vois d’un degré mesurer la longueur ;

Pour ôter au peuple rimeur

Ce beau nom de machine ronde,

Que nos flasques auteurs, en chevillant leurs vers,

Donnaient à l’aventure à ce plat univers.

Les astres étonnés, dans leur oblique course,

Le grand, le petit Chien, et le Cheval, et l’Ourse,

Se disent l’un à l’autre, en langage des cieux :

« Certes, ces gens sont fous, ou ces gens sont des dieux. »

Et vous, Algarotti (3), vous cygne de Padoue,

Elève harmonieux du cygne de Mantoue,

Vous allez donc aussi, sous le ciel des frimas,

Porter, en grelottant, la lyre et le compas,

Et, sur des monts glacés traçant des parallèles ;

Faire entendre aux Lapons vos chansons immortelles ?

Allez donc, et du pôle observé, mesuré,

Revenez aux Français apporter des nouvelles.

Cependant je vous attendrai,

Tranquille admirateur de votre astronomie,

Sous mon méridien, dans les champs de Cirey,

N’observant désormais que l’astre d’Emilie.

Echauffé par le feu de son puissant génie ;

Et par sa lumière éclairée,

Sur ma lyre je chanterai

Son âme universelle autant qu’elle est unique ;

Et j’atteste les cieux, mesurés par vos mains,

Que j’abandonnerais pour ses charmes divins

L’équateur et le pôle arctique.

 

 

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1 – Cette épître fut imprimée par Desfontaines malgré Voltaire. Voyez la lettre à Thieriot du 30 Novembre 1735. (G. A.)

 

2 – MM. Godin, Bouguer, et de La Condamine, étaient partis alors pour faire leurs observations en Amérique, dans des contrées voisines de l’équateur. MM. de Maupertuis, Clairant, et Le Monnier, devaient, dans la même vue, partir pour le nord, et M. Algarotti était du voyage. Il s’agissait de décider si la terre est un sphéroïde aplati ou allongé. (1739)

 

3 – M. Algarotti faisait très bien des vers en sa langue, et avait quelques connaissances en mathématiques. (1739).

 

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