EPITRE : A M. le comte Algarotti

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A M. LE COMTE ALGAROTTI,

 

QUI ETAIT ALORS A LA COUR DE SAXE, ET QUE LE ROI DE POLOGNE AVAIT FAIT SON CONSEILLER DE GUERRE.

 

 

 

 

A Paris, 21 Février 1747.

 

 

 

 

 

 

Enfant du Pinde et de Cythère,

Brillant et sage Algarotti,

A qui le ciel a départi

L’art d’aimer, d’écrire, et de plaire,

Et que, pour comble de bienfaits,

Un des meilleurs rois de la terre

A fait son conseiller de guerre

Dès qu’il a voulu vivre en paix ;

Dans vos palais de porcelaine (1)

Recevez ces frivoles sons,

Enfilés sans art et sans peine

Au charmant pays des pompons.

O Saxe ! que nous vous aimons !

O Saxe ! que nous vous devons

D’amour et de reconnaissance !

C’est de votre sein que sortit

Le héros qui venge la France (2)

Et la nymphe qui l’embellit (3).

 

Apprenez que cette dauphine,

Par ses grâces, par son esprit,

Ici chaque jour accomplit

Ce que votre muse divine

Dans ses lettres m’avait prédit.

Vous penserez que je l’ai vue,

Quand je vous en dis tant de bien,

Et que je l’ai même entendue :

Je vous jure qu’il n’en est rien,

Et que ma muse peu connue,

En vous répétant dans ces vers

Cette vérité toute nue,

N’est que l’écho de l’univers.

 

Une dauphine est entourée,

Et l’étiquette est son tourment.

J’ai laissé passer prudemment

Des paniers la foule titrée,

Qui remplit tout l’appartement

De sa bigarrure dorée.

Virgile était-il le premier

A la toilette de Livie ?

Il laissait passer Cornélie,

Les ducs et pairs, le chancelier,

Et les cordons bleus d’Italie,

Et s’amusait sur l’escalier

Avec Tibulle et Polymnie.

Mais à la fin j’aurai mon tour :

Les dieux ne me refusent guère ;

Je fais aux Grâces chaque jour

Une très dévote prière.

Je leur dis : « Filles de l’Amour,

Daignez, à ma muse discrète

Accordant un peu de faveur,

Me présenter à votre sœur

Quand vous irez à sa toilette. »

 

Que vous dirai-je maintenant

Du dauphin, et de cette affaire

De l’amour et du sacrement ?

Les dames d’honneur de Cythère

En pourraient parler dignement :

Mais un profane doit se taire.

Sa cour dit qu’il s’occupe à faire

Une famille de héros,

Ainsi qu’on fait très à propos

Son aïeul et son digne père.

 

Daignez pour moi remercier

Votre ministre magnifique ;

D’un fade éloge poétique

Je pourrais fort bien l’ennuyer :

Mais je n’aime pas à louer ;

Et ces offrandes si chéries

Des belles et des potentats,

Gens tout nourris de flatteries,

Sont un bijou qui n’entre pas

Dans son baguier de pierreries.

 

Adieu : faites bien au Saxon

Goûter les vers de l’Italie

Et les vérités de Newton (4),

Et que votre muse polie

Parle encor sur un nouveau ton

De notre immortelle Emilie (5)

 

 

 

 A M. LE COMTE ALGAROTTI - 1747

 

 

1 – Allusion à la porcelaine de Saxe. (G.A.)

 

2 – Maurice de Saxe. (G.A.)

 

3 – La fille du roi de Pologne, électeur de Saxe, mariée au dauphin depuis dix jours. (G.A.)

 

4 – Allusion à l’ouvrage d’Algarotti : le Newtonianisme pour les dames. (G.A.)

 

5 – Toujours madame du Châtelet. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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