DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : E comme ESPRIT - Section III

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E comme ESPRIT.

 

 

 

 

 

 

SECTION III.

 

 

 

 

 

         Ce mot n’est-il pas une grande preuve de l’imperfection des langues, du chaos où elles sont encore, et du hasard qui a dirigé presque toutes nos conceptions ?

 

         Il plut aux Grecs, ainsi qu’à d’autres nations, d’appeler vent, souffle, ce qu’ils entendaient vaguement par respiration, vie, âme. Ainsi âme et vent étaient en un sens la même chose dans l’antiquité ; et si nous disions que l’homme est une machine pneumatique, nous ne ferions que traduire les Grecs. Les Latins les imitèrent, et se servirent du mot spiritus, esprit, souffle. Anima, spiritus, furent la même chose.

 

         Le rouhak des Phéniciens, et, à ce qu’on prétend, des Chaldéens, signifiait de même souffle et vent.

 

         Quand on traduisit la Bible en latin, on employa toujours indifféremment le mot souffle, esprit, vent, âme. « Spiritus Dei ferebatur super aquas. »  Le vent de Dieu, l’esprit de Dieu était porté sur les eaux.

 

         « Spiritus vitæ. » le souffle de la vie, l’âme de la vie.

 

         «Inspiravit in faciem ejus spiraculum ou  spiritum vitæ. »

 

         Et il souffla sur sa face un souffle de vie. Et selon l’hébreu : il souffla dans ses narines un souffle, un esprit de vie.

 

         « Hæc quum dixisset, insufflavit et dixit eis : Accipite spiritum sanctum. » Ayant dit cela, il souffla sur eux, et leur dit : Recevez le souffle saint, l’esprit saint.

 

         « Spiritus ubi vult spirat, et vocem ejus audis, sed nescis unde veniat. » L’esprit, le vent souffle où il veut, et vous entendez sa voix (son bruit) ; mais vous ne savez d’où il vient.

 

         Il y a loin de là à nos brochures du quai des Augustins et du pont Neuf, intitulées Esprit de Marivaux, Esprit de Desfontaines, etc.

 

         Ce que nous entendons communément en français par esprit, bel esprit, trait d’esprit, etc., signifie des pensées ingénieuses. Aucune autre nation n’a fait un tel usage du mot spiritus. Les Latins disent ingenium ; les Grecs, εьφυϊχ, ou bien ils employaient des adjectifs. Les Espagnols disent agudo, agudeza.

 

         Les Italiens emploient communément le terme ingegno.

 

         Les Anglais se servent du mot wit, witty, dont l’étymologie est belle ; car ce mot autrefois signifiait sage.

 

         Les Allemands disent verstandig ; et quand ils veulent exprimer des pensées ingénieuses, vives, agréables, ils disent riche en sensations, sinnreich. C’est de là que les Anglais, qui ont retenu beaucoup d’expressions de l’ancienne langue germanique et française, disent sensible man.

 

         Ainsi, presque tous les mots qui expriment des idées de l’entendement sont des métaphores.

 

         L’ingegno, l’ingenium, est tiré de ce qui engendre ; l’agudeza, de ce qui est pointu ; le sinreich, des sensations ; l’esprit, du vent ; et le wit, de la sagesse.

 

         En toute langue, ce qui répond à esprit en général est de plusieurs sortes ; et quand vous dites : Cet homme a de l’esprit, on est en droit de vous demander duquel.

 

         Girard, dans son livre utile des définitions, intitulé Synonymes français, conclut ainsi :

 

 

         « Il faut, dans le commerce des dames, de l’esprit, ou du jargon qui en ait l’apparence. (Ce n’est pas leur faire honneur, elles méritent mieux). L’entendement est de mise avec les politiques et les courtisans. »

 

 

         Il me semble que l’entendement est nécessaire partout, et qu’il est bien extraordinaire de voir un entendement de mise.

 

 

         « Le génie est propre avec les gens à projets et à dépense. »

 

 

         Ou je me trompe, ou le génie de Corneille était fait pour tous les spectateurs, le génie de Bossuet pour tous les auditeurs, encore plus que propre avec les gens à dépense.

 

         Le mot qui répond à Spiritus, esprit, vent, souffle, donnant nécessairement à toutes les nations l’idée de l’air, elles supposèrent toutes que notre faculté de penser, d’agir, ce qui nous anime, est de l’air ; et de là notre âme fut de l’air subtil.

 

         De là les mânes, les esprits, les revenants, les ombres, furent composés d’air (1).

 

         De là nous disions, il n’y a pas longtemps : « Un esprit lui est apparu ; il a un esprit familier ; il revient des esprits dans ce château ; » et la populace le dit encore.

 

         Il n’y a guère que les traductions des livres hébreux en mauvais latin qui aient employé le mot spiritus en ce sens.

 

         Manes, umbrœ, simulacra, sont les expressions de Cicéron et de Virgile. Les Allemands disent geist, les Anglais ghost, les Espagnols duende, trasgo ; les Italiens semblent n’avoir point de terme qui signifie revenant. Les Français seuls se sont servis du mot esprit. Le mot propre pour toutes les nations, doit être fantôme, imagination, rêverie, sottise, friponnerie.

 

 E comme ESPRIT - Section III

 

1 – Voyez à l’article ÂME. (Voltaire.)

 

 

 

 

 

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