DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : E comme EPOPEE - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

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E comme ÉPOPÉE.

 

 

 

- Partie 2 -

 

 

 

 

DE VIRGILE.

 

 

 

          Il me semble que le second livre de l’Énéide, le quatrième et le sixième sont autant au-dessus de tous les poètes grecs et de tous les latins, sans exception, que les statues de Girardon sont supérieures à toutes celles qu’on fit en France avant lui (1).

 

          On a souvent dit que Virgile a emprunté beaucoup de traits d’Homère, et que même il lui est inférieur dans ses imitations ; mais il ne l’a point imité dans ces trois chants dont je parle. C’est là qu’il est lui-même ; c’est là qu’il est touchant et qu’il parle au cœur. Peut-être n’était-il point fait pour le détail terrible mais fatigant des combats. Horace avait dit de lui, avant qu’il eût entrepris l’Enéide :

 

 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  Molle atque facetum

Virgilio annuerunt gaudentes rure camoœnæ

 

HOR., lib. I, sat. X, vers 44.

 

 

          Facetum ne signifie pas ici facétieux, mais agréable. Je ne sais si on ne retrouve pas un peu de cette mollesse heureuse et attendrissante dans la passion fatale de Didon. Je crois du moins y retrouver l’auteur de ces vers admirables qu’on rencontre dans ses Eglogues :

 

 

Ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit errot !

 

VIRG., Eclog. VIII, 41.

 

 

          Certainement le chant de la descente aux enfers ne serait pas déparé par ces vers de la quatrième Eglogue :

 

 

Ille deum vitam accipiet, divisque videbit

Permixtos heroas, et ipse videbitur illis ;

Pacatumque reget patriis virtutibus orgem.

 

 

          Je crois revoir beaucoup de ces traits simples, élégants, attendrissants, dans les trois beaux chants de l’Enéide.

 

          Tout le quatrième chant est rempli de vers touchants qui font verser des larmes à ceux qui ont de l’oreille et du sentiment.

 

 

Dissimulare etiam sperasti, perfide, tantum

Posse nefas, tacitusque mpea decedere terra ?

Nec te noster amor, nec te data dextera quondam,

Nec moritura tenet crudeli funere Dido ?

 

V. 305-308.

 

Conscendit furibunda rogos, ensemque recludit

Dardanium, non hos quæsitum munus in usus.

 

V. 646-647.

 

          Il faudrait transcrire presque tout ce chant, si on voulait en faire remarquer les beautés.

 

          Et, dans le sombre tableau des enfers, que de vers encore respirent cette mollesse touchante et noble à la fois :

 

 

Ne, pueri, ne tanta animis assuescite bella.

 

VI. 832.

 

 

Tuque prior, tu, parce, genus qui ducis Olympe ;

Projice tela manu, sanguis meus.

 

VI. 834-835.

 

 

Tu Marcellus eris .  .  .  .  .  .

 

VI. 883.

 

 

          Homère n’a jamais fait répandre de pleurs. Le vrai poète est, à ce qu’il me semble, celui qui remue l’âme et qui l’attendrit ; les autres sont de beaux parleurs. Je suis loin de proposer cette opinion pour règle. Je donne mon avis, dit Montaigne, non comme bon, mais comme mien.

 

 

 

 

 

DE LUCAIN.

 

 

 

          Si vous cherchez dans Lucain l’unité de lieu et d’action, vous ne la trouverez pas ; mais où la trouveriez-vous ? Si vous espérez sentir quelque émotion, quelque intérêt, vous n’en éprouverez pas dans les longs détails d’une guerre dont le fond est rendu très sec, et dont les expressions sont ampoulées ; mais si vous voulez des idées fortes, des discours d’un courage philosophique et sublime, vous ne les verrez que dans Lucain parmi les anciens. Il n’y a rien de plus grand que le discours de Labiénus à Caton, aux portes du temple de Jupiter Ammon, si ce n’est la réponse de Caton même :

 

 

Hæremus cuncti superis ; temploque tacente

Nil facimus non sponte Dei .  .  .  .  .  .  .  . 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  Steriles num legit arenas

Ut caneret paucis ? mersitne hoc pulvere verum ?

Estne Dei sedes nisi terra, et pontus, et aer,

Et cœlum, et virtus ? Superos quid quærimus ultra ?

Jupiter est quodcumque vides, quocumque moveris.

 

Pharsal., liv. IX, c. 573-574 ; 576-580.

 

 

          Mettez ensemble tout ce que les anciens poètes ont dit des dieux, ce sont des discours d’enfants en comparaison de ce morceau de Lucain. Mais dans un vaste tableau où l’on voit cent personnages, il ne suffit pas qu’il y en ait un ou deux supérieurement dessinés.

 

 

 

 

 

DU TASSE.

 

 

 

          Boileau a dénigré le clinquant du Tasse ; mais qu’il y ait une centaine de paillettes d’or faux dans une étoffe d’or, on doit le pardonner. Il y a beaucoup de pierres brutes dans le grand bâtiment de marbre élevé par Homère, Boileau le savait, le sentait, et il n’en parle pas. Il faut être juste.

 

          On renvoie le lecteur à ce qu’on a dit du Tasse dans l’Essai sur la poésie épique (2). Mais il faut dire ici qu’on sait par cœur ses vers en Italie. Si à Venise, dans une barque, quelqu’un récite une stance de la Jérusalem délivrée, la barque voisine lui répond par la stance suivante.

 

          Si Boileau eût entendu ces concerts, il n’aurait eu rien à répliquer.

 

          On connaît assez le Tasse : je ne répéterai ici ni les éloges ni les critiques. Je parlerai un peu plus au long de l’Arioste.

 

E comme EPOPEE - Partie 2

 

 

 

1 – «  Entre l’Iliade et l’Enéide, dit P.-J. Proudhon dans son admirable étude sur Virgile, il u a pour le style la même distance qu’entre la Chanson de Roland et Athalie, ou bien, dans un autre genre, entre la Satire Ménippée et mes harangues de Mirabeau. » (G.A.)

 

2 – A la suite de la Henriade.  (K.)

 

 

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