DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : C comme CATECHISME CHINOIS - Partie 3
Photo de PAPAPOUSS
C comme CATÉCHISME CHINOIS.
(Partie 3)
CINQUIÈME ENTRETIEN.
CU-SU.
Puisque vous aimez la vertu, comment la pratiquerez-vous quand vous serez roi ?
KOU.
En n’étant injuste ni envers mes voisins, ni envers mes peuples.
CU-SU.
Ce n’est pas assez de ne point faire de mal, vous ferez du bien ; vous nourrirez les pauvres en les occupant à des travaux utiles, et non pas en dotant la fainéantise ; vous embellirez les grands chemins ; vous creuserez des canaux ; vous éléverez des édifices publics ; vous encouragerez tous les arts, vous récompenserez le mérite en tout genre ; vous pardonnerez les fautes involontaires.
KOU.
C’est ce que j’appelle n’être point injuste ; ce sont là autant de devoirs.
CU-SU.
Vous pensez en véritable roi ; mais il y a le roi et l’homme, la vie publique et la vie privée. Vous allez bientôt vous marier ; combien comptez-vous avoir de femmes ?
KOU.
Mais je crois qu’une douzaine me suffira, un plus grand nombre pourrait me dérober un temps destiné aux affaires. Je n’aime point ces rois qui ont des sept cents femmes, et des trois cents concubines, et des milliers d’eunuques pour les servir. Cette manie des eunuques me paraît surtout un trop grand outrage à la nature humaine. Je pardonne tout au plus qu’on chaponne des coqs, ils en sont meilleurs à manger ; mais on n’a point encore fait mettre d’eunuques à la broche. A quoi sert leur mutilation ? Le dalaï-lama en a cinquante pour chanter dans sa pagode. Je voudrais bien savoir si le Chang-ti se plaît beaucoup à entendre les voix claires de ces cinquante hongres.
Je trouve encore très ridicule qu’il y ait des bonzes qui ne se marient point ; ils se vantent d’être plus sages que les autres Chinois : eh bien ! qu’ils fassent donc des enfants sages Voilà une plaisante manière d’honorer le Chang-ti que de la priver d’adorateurs ! Voilà une singulière façon de servir le genre humain, que de donner l’exemple d’anéantir le genre humain ! Le bon petit (1) lama nommé Stelca e disant Errepi voulait dire « que tout prêtre devait faire le plus d’enfants qu’il pourrait ; » il prêchait d’exemple, et a été fort utile en son temps. Pour moi, je marierai tous les lamas et bonzes, lamesses et bonzesses qui auront de la vocation pour ce saint œuvre ; ils en seront certainement meilleurs citoyens, et je croirai faire en cela un grand bien au royaume de Low.
CU-SU.
Oh ! le bon prince que nous aurons là ! Vous me faites pleurer de joie. Vous ne vous contenterez pas d’avoir des femmes et des sujets ; car enfin on ne peut pas passer sa journée à faire des édits et des enfants : vous aurez sans doute des amis ?
KOU.
J’en ai déjà, et de bons, qui m’avertissent de mes défauts ; je me donne la liberté de reprendre les leurs ; ils me consolent, je les console ; l’amitié est le baume de la vie, il vaut mieux que celui du chimiste Ereville, et même que les sachets du grand Lanourt. Je suis étonné qu’on n’ait pas fait de l’amitié un précepte de religion ; j’ai envie de l’insérer dans notre rituel.
CU-SU.
Gardez-vous en bien ; l’amitié est assez sacrée d’elle-même ; ne la commandez jamais ; il faut que le cœur soit libre et puis, si vous faisiez de l’amitié un précepte, un mystère, un rite, une cérémonie, il y aurait mille bonzes qui, en prêchant et en écrivant leurs rêveries, rendraient l’amitié ridicule ; il ne faut pas l’exposer à cette profanation.
Mais comment en userez-vous avec vos ennemis ? Confutzée recommande en vingt endroits de les aimer cela ne vous paraît-il pas un peu difficile ?
KOU.
Aimez ses ennemis, eh ! mon Dieu, rien n’est si commun.
CU-SU.
Comment l’entendez-vous ?
KOU.
Mais comme il faut, je crois, l’entendre. J’ai fait l’apprentissage de la guerre sous le prince de Décon contre le prince de Vis-Brunck (2) : dès qu’un de nos ennemis était blessé et tombait entre nos mains, nous avions soin de lui comme s’il eût été notre frère : nous avons souvent donné notre propre lit à nos ennemis blessés et prisonniers, et nous avons couché auprès d’eux sur des peaux de tigres étendues à terre ; nous les avons servis nous-même : que voulez-vous de plus ? que nous les aimions comme on aime sa maîtresse ?
CU-SU.
Je suis très édifié de tout ce que vous me dites, et je voudrais que toutes les nations vous entendissent ; car on m’assure qu’il y a des peuples assez impertinents pour oser dire que nous ne connaissons pas la vraie vertu, que nos bonnes actions ne sont que des péchés splendides, que nous avons besoin des leçons de leurs talapoins pour nous faire de bons principes. Hélas ! les malheureux ! ce n’est que d’hier qu’ils savent lire et écrire, et ils prétendent enseigner leurs maîtres !
1 – Stelca e disant Errepi signifie, en chinois, l’abbé Castel de Saint-Pierre. – Et les mots Ereville et Lanourt, qu’on trouvera plus bas, signifient dans la même langue Lelièvre et Arnoult. (G.A.)