DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : A comme ADULTERE
Photo de PAPAPOUSS
A comme ADULTÈRE.
(1)
Nous ne devons point cette expression aux Grecs. Ils appelaient l’adultère μςιχέιχ, dont les Latins ont fait leur mœchus, que nous n’avons point francisé. Nous ne la devons ni à la langue syriaque ni à l’hébraïque, jargon du syriaque, qui nommait l’adultère nyuph. Adultère signifiait en latin « altération, adultération, une chose mise pour une autre, un crime de faux, fausses clefs, faux contrats, faux seing ; adulteratio. » De là, celui qui se met dans le lit d’un autre fut nommé adulter, comme une fausse clef qui fouille dans la serrure d’autrui.
C’est ainsi qu’ils nommèrent par antiphrase coccyx, coucou, le pauvre mari chez qui un étranger venait pondre. Pline le Naturaliste dit (2) : « Coccix ova subdit in nidis alienis ; itaplerique alienas uxores faciunt matres. − Le coucou dépose ses œufs dans le nid des autres oiseaux ; ainsi force Romains rendent mères les femmes de leurs amis. » La comparaison n’est pas trop juste. Coccyx signifiant un coucou, nous en avons fait cocu. Que de choses on doit aux Romains ! mais comme on altère le sens de tous les mots ! Le cocu, suivant la bonne grammaire, devait être le galant, et c’est le mari. Voyez la chanson de Scarron (3).
Quelques doctes ont prétendu que c’est aux Grecs que nous sommes redevables de l’emblème des cornes, et qu’ils désignaient par le titre de bouc (4), l’époux d’une femme lascive comme une chèvre. En effet, ils appelaient fils de chèvre les bâtards, que notre canaille appelle fils de putain. Mais ceux qui veulent s’instruire à fond, doivent savoir que nos cornes viennent des cornettes des dames. Un mari qui se laissait tromper et gouverner par son insolente femme était réputé porteur de cornes, cornu, cornard, par les bons bourgeois. C’est par cette raison que cocu, cornard et sot, étaient synonymes. Dans une de nos comédies on trouve ce vers :
Elle ? elle n’en fera qu’un sot, je vous assure.
Cela veut dire : elle n’en fera qu’un cocu. Et dans l’Ecole des femmes (I, 1) :
Epouser une sotte est pour n’être point sot.
Bautru, qui avait beaucoup d’esprit, disait : « Les Bautrus sont cocus, mais ils ne sont pas des sots. »
La bonne compagnie ne se sert plus de tous ces vilains termes, et ne prononce même jamais le mot d’adultère. On ne dit point : Madame la duchesse est en adultère avec M. le chevalier ; madame la marquise a un mauvais commerce avec M. l’abbé. On dit : M. l’abbé est cette semaine l’amant de madame la marquise. Quand les dames parlent à leurs amies de leurs adultères, elles disent : j’avoue que j’ai du goût pour lui. Elles avouaient autrefois qu’elles sentaient quelque estime ; mais depuis qu’une bourgeoise s’accusa à son confesseur d’avoir quelque estime pour un conseiller, et que le confesseur lui dit : Madame, combien de fois vous a-t-il estimée ? les dames de qualité n’ont plus estimé personne, et ne vont plus guère à confesse.
Les femmes de Lacédémone ne connaissaient, dit-on, ni la confession ni l’adultère. Il est bien vrai que Ménélas avait éprouvé ce qu’Hélène savait faire. Mais Lycurgue y mit bon ordre en rendant les femmes communes, quand les maris voulaient bien les prêter, et que les femmes y consentaient. Chacun peu disposer de son bien. Un mari en ce cas n’avait point à craindre de nourrir dans sa maison un enfant étranger. Tous les enfants appartenaient à la république, et non à une maison particulière ; ainsi on ne faisait tort à personne. L’adultère n’est un mal qu’autant qu’il est un vol : mais on ne vole point ce qu’on vous donne. Un mari priait souvent un jeune homme beau, bien fait et vigoureux, de vouloir bien faire un enfant à sa femme. Plutarque nous a conservé dans son vieux style la chanson que chantaient les Lacédémoniens quand Acrotatus allait se coucher avec la femme de son ami :
Allez gentil Acrotatus, besognez bien Kélidonide,
Donnez de braves citoyens à Sparte.
Les Lacédémoniens avaient donc raison de dire que l’adultère était impossible parmi eux.
Il n’en est pas ainsi chez nos nations, dont toutes les lois sont fondées sur le tien et le mien.
Un des plus grands désagréments de l’adultère chez nous, c’est que la dame se moque quelquefois de son mari avec son amant ; le mari s’en doute ; et on n’aime point à être tourné en ridicule. Il est arrivé dans la bourgeoisie que souvent la femme a volé son mari pour donner à son amant ; les querelles de ménage sont poussées à des excès cruels : elles sont heureusement peu connues dans la bonne compagnie.
Le plus grand tort, le plus grand mal est de donner à un pauvre homme des enfants qui ne sont pas à lui, et de le charger d’un fardeau qu’il ne doit pas porter. On a vu par là des races de héros entièrement abâtardies. Les femmes des Astolphes et des Jocondes, par un goût dépravé, par la faiblesse du moment, ont fait des enfants avec un nain contrefait, avec un petit valet sans cœur et sans esprit. Les corps et les âmes s’en sont ressentis. De petits singes ont été les héritiers des plus grands noms dans quelques pays de l’Europe. Ils ont dans leur première salle les portraits de leurs prétendus aïeux, hauts de six pieds, beaux, bien faits, armés d’un estramaçon que la race d’aujourd’hui pourrait à peine soulever. Un emploi important est possédé par un homme qui n’y a nul droit, et dont le cœur, la tête et le bras n’en peuvent soutenir le faix.
Il y a quelques provinces en Europe où les filles font volontiers l’amour, et deviennent ensuite des épouses assez sages. C’est tout le contraire en France ; on enferme les filles dans des couvents, où jusqu’à présent on leur a donné une éducation ridicule. Leurs mères, pour les consoler, leur font espérer qu’elles seront libres quand elles seront mariées. A peine ont-elles vécu un an avec leur époux, qu’on s’empresse de savoir tout le secret de leurs appas. Une jeune femme ne vit, ne soupe, ne se promène, ne va au spectacle qu’avec des femmes qui ont chacune leur affaire réglée ; si elle n’a point son amant comme les autres, elle est ce qu’on appelle dépareillée ; elle en est honteuse ; elle n’ose se montrer.
Les Orientaux s’y prennent au rebours de nous. On leur amène des filles qu’on leur garantit pucelles sur la foi d’un Circassien. On les épouse et on les enferme par précaution, comme nous enfermons nos filles. Point de plaisanteries dans ces pays-là sur les dames et sur les maris ; point de chansons ; rien qui ressemble à nos froids quolibets de cornes et de cocuage. Nous plaignons les grandes dames de Turquie, de Perse, des Indes ; mais elles sont cent fois plus heureuses dans leurs sérails que nos filles dans leurs couvents.
Il arrive quelquefois chez nous qu’un mari mécontent, ne voulant point faire un procès criminel à sa femme, pour cause d’adultère, ce qui ferait crier à la barbarie, se contente de se faire séparer de corps et de biens.
C’est ici le lieu d’insérer le précis d’un mémoire composé par un honnête homme qui se trouve dans cette situation ; voici ses plaintes : sont-elles justes ?
1 –
Tous les jours une chaise
Me coûte un écu,
Pour porter à l’aise
Votre chien de cu,
A moi, pauvre cocu.
2 – Voyez l’article BOUC.
3 – Cet article, dont le commencement ne semble être qu’un simple badinage, n’en a pas moins pour but de prouver la nécessité du divorce. (G.A.)
4 – Liv. X., ch. IX.