CORRESPONDANCE : Catherine II et Voltaire - Partie 8

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56 - DE VOLTAIRE.

 

A Ferney, 21 Septembre.

 

 

         Madame, vive l’auguste, l’adorable Catherine ! Vivent ses troupes victorieuses ! Sa lettre du 20 auguste, nouveau style, est du plus beau style dont on ait jamais écrit. L’armée d’Alexandre forcera enfin les Athéniens à dire du bien d’elle. L’envie est contrainte d’admirer.

 

         Votre majesté a bien raison ; la guerre est très utile à un pays, quand on la fait avec succès sur les frontières. La nation devient alors plus industrieuse, plus active, comme plus terrible. Les Turcs sont battus de tous côtés chez eux, et chaque victoire augmente encore le courage et l’espérance de vos troupes. Les échos ont dit à nos Alpes que, tandis que le vizir repasse le Danube en désordre, le général Tottleben a vaincu un corps considérable de Turcs vers Erzeroum, et s’est même emparé de cette ville.

 

         Si la chose est vraie, il me semble que votre majesté ne peut hésiter à suivre sa destinée, qui l’appelle à si haute voix. La plus grande des révolutions est commencée ; votre génie l’achèvera. J’ai dit, il y a longtemps, que si jamais l’empire turc est détruit, ce sera par la Russie ; mon auguste impératrice accomplira ma prédiction. Je ne crains plus la paix, après la lettre dont elle m’honore.

 

         Un grand monarque m’avait mandé (1) que non seulement votre majesté ferait la paix, mais qu’elle la ferait avec modération ; je ne vois pas pourquoi tant se modérer avec ce Moustapha, qui ne se modèrerait point s’il était vainqueur.

 

         Quand je parlais de paix, en la redoutant, quand je disais que vous en dicteriez les conditions, j’étais bien loin d’imaginer que votre majesté abandonnerait ces braves Spartiates. Dieu me préserve de l’en soupçonner (2) ! Mais, après tant de victoires, il ne s’agit pas d’obtenir leur grâce auprès de leur vilain maître : il est temps qu’ils n’aient d’autre maître que ma protectrice, ou plutôt qu’ils soient libres sous ses drapeaux.

 

         J’ai craint quelque temps que votre armée ne passât le Danube, et ne s’exposât à quelques revers. J’ai cru le Danube très difficile à traverser en présence des Turcs, et la retraite plus difficile ; mais à présent tout me paraît aisé ; la terreur s’est emparée d’eux, et cette terreur combat pour vous. Je suis persuadé que dix mille de vos soldats battraient cinquante mille Osmanlis.

 

         Je ne suis pas surpris que votre âme, faite pour toutes les grandes choses, prenne goût à une pareille guerre. Je crois vos troupes de débarquement revenues en Grèce, et votre flotte de la mer Noire menaçant les environs de Constantinople. Si cette révolution de l’Egypte, dont on m’avait tant flatté, pouvait s’effectuer, je croirais l’empire turc détruit pour jamais.

 

         Il me semble qu’il a manqué aux Vénitiens la première des qualités en politique, la hardiesse. La finesse n’a jamais réussi à personne dans les grandes choses ; elle n’est bonne que pour les moines.

 

         Mais devant qui osé-je me livrer à mes idées ? Je parle au génie tutélaire du Nord ; je dois me taire, imposer silence à mon enthousiasme, et rester dans les bornes du profond respect et de l’attachement qui me met aux pieds de votre majesté impériale, pour le peu que j’ai à vivre. L’ermite de Ferney.

 

 

1 – Le roi de Prusse, dans sa lettre du 18 Auguste 1770. (G.A.)

 

2 – Elle les avait en effet abandonnés. (G.A.)

 

 

 

 

57 - DE L’IMPERATRICE.

 

A Pétersbourg, le 16/27 Septembre.

 

 

         Monsieur, que de choses j’ai à vous dire aujourd’hui ! Je ne sais par où commencer.

 

         Ma flotte, non pas sous le commandement de mes amiraux, mais sous celui du comte Alexis Orlof (1), après avoir battu la flotte ennemie, l’a brûlée tout entière dans le port de Chesme, anciennement Clazomène. J’en ai reçu, il y a trois jours, la nouvelle directe. Près de cent vaisseaux de toute espèce ont été réduits en cendres. Je n’ose dire le nombre des musulmans qui ont péri : on le fait monter jusqu’à vingt mille.

 

         Un conseil général de guerre avait terminé la désunion des deux amiraux (2) en déférant le commandement au général des troupes de terre, qui se trouvait sur cette flotte, et qui au reste était leur ancien dans le service. Le résultat fut unanimement approuvé de tous, et dès ce moment l’union fut rétablie. Je l’ai toujours dit, les héros sont nés pour les grands événements.

 

La flotte turque fut poursuivie depuis Napoli de Romanie, où elle avait été déjà harcelée à deux reprises, jusqu’à Scio. Le comte Orlof savait qu’un renfort était parti de Constantinople ; il crut qu’il préviendrait la jonction, en attaquant l’ennemi sans perte de temps. Arrivé dans le canal de Scio, il vit que cette jonction s’était faite. Il se trouvait avec neuf vaisseaux de haut-bord en présence de seize vaisseaux de ligne ottomans : le nombre des frégates et autres bâtiments était encore plus inégal. Il ne balança pas, et trouva la disposition des esprits telle, qu’il n’y eut qu’un avis, qui fut de vaincre ou de mourir. Le combat commença : le comte Orlof se tint au centre (3) ; l’amiral Spiridof, qui avait à son bord le comte Féodor Orlof, commanda l’avant-garde ; le contre-amiral Elphinson l’arrière-garde.

 

         L’ordre de bataille des Turcs était tel qu’une de leurs ailes se trouvait appuyée contre une île pierreuse, et l’autre à des bas-fonds, de façon qu’ils ne pouvaient être tournés.

 

         Le feu fut terrible de part et d’autre pendant plusieurs heures : les vaisseaux s’approchèrent de si près, que le feu de la mousqueterie se joignit à celui des canons. Le vaisseau de l’amiral Spiridof avait affaire à trois vaisseaux de guerre et un chebec turcs. Il accrocha malgré cela le capitan pacha, qui portait quatre-vingt-dix canons ; il y jeta tant de grenades et de matières combustibles que le feu prit au vaisseau, se communiqua au nôtre, et tous deux sautèrent en l’air, un moment après que l’amiral Spiridof et le comte Féodor Orlof, avec environ quatre-vingt-dix personnes, en furent descendus.

 

         Le comte Alexis, voyant, dans le plus fort du combat, les vaisseaux amiraux voler en l’air, crut son frère péri. Il sentit alors qu’il était homme ; il s’évanouit (4) : mais un moment après, reprenant ses esprits, il ordonna de lever toutes les voiles, et se jeta avec ses vaisseaux entre les ennemis. A l’instant de la victoire, un officier lui apporta la nouvelle que son frère et l’amiral étaient vivants ; il dit qu’il ne saurait décrire ce qu’il sentit à ce moment, le plus heureux de sa vie. Le reste de la flotte turque se jeta sans ordre ni règle dans le port de Chesme (5).

 

         Le lendemain fut employé à préparer les brûlots, et à canonner l’ennemi dans le port ; à quoi celui-ci répondit. Mais dans la nuit les brûlots furent lâchés, et firent si bien leur devoir, qu’en moins de six heures la flotte turque fut consumée tout entière (6). La terre et l’onde tremblaient, dit-on, de la grande quantité de vaisseaux ennemis qui sautaient en l’air. On l’a senti jusqu’à Smyrne, qui est à douze lieues de Chesme.

 

         Les nôtres, pendant cet incendie, tirèrent du port un vaisseau turc de soixante canons, qui se trouvait sous le vent, et qui, par cette raison, n’avait pas été consumé. Ils s’emparèrent ensuite d’une batterie que les Turcs avaient abandonnée.

 

         La guerre est une vilaine chose, monsieur ! Le comte Orlof me dit que le lendemain de l’incendie de la flotte, il vit avec effroi que l’eau du port de Chesme, qui n’est pas fort grand, était teinte de sang, tant il y était péri de Turcs.

 

         Cette lettre, monsieur, servira de réponse à la vôtre du 26 d’auguste, où vos alarmes à notre sujet commençaient déjà à se dissiper. J’espère qu’à présent vous n’en avez plus. Mes affaires, ce me semble, vont assez bien. Pour ce qui regarde la prise de Constantinople, je ne la crois pas si prochaine. Cependant il ne faut, dit-on désespérer de rien. Je commence à croire que cela dépend plus de Moustapha que de tout autre. Ce prince s’y est si bien pris jusqu’ici, que s’il continue dans l’opiniâtreté que ses amis lui inspirent, il exposera son empire à de grands dangers. Il a oublié son rôle d’agresseur.

 

         Adieu, monsieur ; portez-vous bien. Si des combats gagnés peuvent vous plaire, vous devez être bien content de nous. Soyez assuré de l’estime et de la considération que je vous porte. Caterine.

 

 

1 – C’est-à-dire que le comte Alexis avait le commandement nominatif. (G.A.)

 

2 – L’Ecossais Elphinston et le Russe Spiritof. Ce dernier était dirigé par le contre-amiral anglais Greig. (G.A.)

 

3 – Il se tint hors de la portée du canon. (G.A.)

 

4 – Alexis Orlof s’évanouit, il est vrai, mais ce fut de peur. (G.A.)

 

5 – C’est Catherine seule qui raconte cet acte de courage. (G.A.)

 

6 – Cela n’est pas exact. Les Russes avaient été bel et bien battus, et s’ils incendièrent la flotte turque, ce furent les contre-amiraux anglais qui leur en donnèrent l’idée. (G.A.)

 

 

 

 

58 - DE VOLTAIRE.

 

A Ferney, 2 Octobre 1770.

 

 

         Madame, je ne vis pas dans le dix-huitième siècle, je me trouve transporté dans les Alpes du temps de la fondation de Babylone. Je vois une héroïne de la maison d’Ascanie, portée sur le trône des Roxelans, qui triomphe sur le Scirus, sur le phase, sur le Pont-Euxin, sur la mer Egée, sur les rives du Danube. M. d’Alembert, qui est actuellement à Ferney, est dans le même enthousiasme que moi, et la seule différence est qu’il l’exprime mieux. Nous haïssons également Moustapha ; nous ne cherchons parmi les arbustes de nos montagnes que des lauriers, pour en orner le portrait de votre majesté impériale ; mais nous n’en trouvons point. Tous les naturalistes disent qu’on n’en trouve plus qu’en Russie.

 

         Après la lettre du 29 auguste, dont votre majesté impériale m’honore, nous nous attendons fermement que votre armée victorieuse aura passé le Danube ; que le vizir aura été battu iterum vers Andrinople ; que la ville de ce méchant Constantin, qui a été baptisé si tard, aura ouvert ses portes ; que les dames du sérail auront été tirées d’esclavage ; que la flotte de la mer Egée aura donné la main à la flotte du Pont-Euxin ; que Moustapha sera parti pour Damas ou pour Alep, etc., etc., etc.

 

         Vous aviez raison, madame, de dire, au commencement de cette guerre, que ceux qui vous l’avaient suscitée travaillaient à votre gloire : certainement votre majesté leur a une grande obligation.

 

         Nous ne laissons pas d’avoir de la gloire aussi. Il y a dans Paris de très jolis carrosses à la nouvelle mode (1), et on a inventé des surtouts pour le dessert qui sont de très bon goût : on a même exécuté depuis peu un motet à grands chœurs (2), qui a fait beaucoup de bruit, du moins dans la salle où l’on chantait ; enfin nous avons une danseuse (3) dont on dit des merveilles.

 

         Malgré nos triomphes, l’âme de M. d’Alembert et la mienne volent aux Dardanelles, au Danube, à la mer Noire, à Bender, en Crimée, et surtout à Pétersbourg, : c’est là qu’elles sont aux pieds de votre majesté, pénétrées d’admiration, de respect, de joies, et remplies de l’espérance de lui écrire à Stamboul.

 

         De votre majesté impériale l’adorateur de latrie, VOLTAIRE, enseveli dans Ferney, et criant : Gloire dans les Hauts !

 

 

1 – Les carrosses de la dauphine et le vis-à-vis de la Dubarry servaient de modèles. (G.A.)

 

2 – Le 15 août, motet d’Azaïs, exécuté au concert spirituel. (G.A.)

 

3 – Mademoiselle Dervieux.

 

 

 

 

59 - DE L’IMPERATRICE.

 

Ce 28 Septembre/9 Octobre.

 

 

         Monsieur, vous aimez les belles âmes : voyez comme celle du comte Alexis Orlof s’est peinte dans la réponse qu’il a faite aux consuls chrétiens de Smyrne ! Je suis persuadée que vous serez content de lui (l’imprimé ci-joint la contient). Ai-je tort, quand je dis que ces Orlof sont nés pour les grandes choses (1) ?

 

         Vous me demandez, dans votre lettre du 21 septembre, si le général Tottleben s’est emparé d’Erzeroum. Je vous ai informé, je pense, que sa dernière conquête était la ville de Cotatis. On ne va pas si vite en guerre, parce qu’il faut faire deux repas par jour, et que, pour que cela se fasse, il faut avoir où trouver de quoi.

 

         Je veux sincèrement la paix, non parce que les ressources me manquent pour faire la guerre, mais parce que je hais l’effusion du sang humain. Si M. Moustapha fait de l’opiniâtre, j’espère qu’il nous trouvera l’année qui vient partout où nous pourrons le persuader qu’il vaut mieux céder aux circonstances pour sauver son empire que de pousser l’entêtement jusqu’à l’extrémité.

 

         Les Grecs, les Spartiates, ont bien dégénéré ; ils aiment la rapine mieux que la liberté. Ils sont à jamais perdus s’ils ne profitent point des dispositions et des conseils du héros (2) que je leur ai envoyé. Je ne parle point des Vénitiens : je trouve qu’il n’y a que le pape et le roi de Sardaigne qui aient du mérite en Italie.

 

         Soyez assuré, monsieur, qu’on ne saurait sentir plus de satisfaction que j’en ressens chaque fois que je reçois de votre lettres ; elles contiennent tant de témoignages de votre amitié, que je ne puis que vous en être très obligée. Caterine.

 

 

P.S – Dans ce moment on vient de m’apporter la nouvelle que Belgorod, en turc Akkermann, sur le Dniester, s’est rendu le 26 septembre par capitulation. Bientôt, je pense, vous entendrez parler de votre Brahilof.

 

 

1 – C’est ainsi qu’Alexis avait été l’assassin du mari de Catherine, Pierre III. (G.A.)

 

2 – Toujours Alexis Orlof. (G.A.)

 

 

 

60 - DE VOLTAIRE.

 

A Ferney, 12 Octobre .

 

 

         Madame, la lettre de votre majesté impériale, du 11 septembre, me confirme dans ma joie continue, mais sans redoublement. Je suis persuadé que si Moustapha, son vizir Azem, et son mufti, étaient informés de l’intérêt que je prends à eux, ils m’en remercieraient en me faisant empaler.

 

         Béni soit Allah, si en effet Ali est roi d’Egypte ; mais cette nouvelle grâce de la Providence, en faveur de Moustapha, me paraît bien douteuse. Nous le saurions à Marseille, qui envoie continuellement des vaisseaux au port d’Alexandrie ; nous en aurions eu des nouvelles certaines par Venise ; personne n’en parle. On ne se fait pas roi d’Egypte incognito. J’ose dire plus : votre majesté aurait déjà, dans ce pays de Pharaon et de Moïse, quelque bon Israélite qui encouragerait la révolution au nom du Seigneur, et qui vous en rendrait compte. Je me borne donc à faire les plus tendres vœux pour que mon cher Moustapha soit chassé à jamais des bords du Nil et de ceux du Danube.

 

         Que votre majesté me permette seulement de plaindre ces pauvres grecs, qui ont le malheur d’appartenir encore à des gens qui parlent turc. Ce sont de petites mortifications que j’éprouve au milieu des plaisirs que me donnent toutes vos victoires. C’est bien assez qu’en aussi peu de temps vous soyez la maîtresse absolue de la Moldavie, de la Valachie, de presque toute la Bessarabie, des deux rivages de la mer Noire, d’un côté vers Azof, et de l’autre vers le Caucase.

 

         Quand votre majesté faisait ses belles lois, dont la première était la tolérance, elle ne se doutait pas qu’une aussi bonne chrétienne deviendrait la protectrice des circoncis du Budziak, tous descendants en droite ligne de Tamerlan et de Gengis-kan. Mais puisque vous êtes tous enfants de Noé (quoiqu’il n’ait jamais été connu de personne, excepté des Juifs), il est clair que vous êtes tous cousins, et que vous devez vous supporter les uns les autres. Cette tolérance de votre majesté pour messieurs les Tartares bessarabes engagera sans doute l’invincible Moustapha à vous demander la paix. Mais que deviendra ma pauvre Grèce ? Aurai-je la douleur de voir les enfants du galant Alcibiade obéir à d’autres qu’à Catherine-la-Grande ?

 

         Je remets toujours, madame, au premier congrès, les intérêts des jeux Olympiques et du théâtre d’Athènes entre vos mains ; mais j’aime mieux m’en rapporter à une bataille qu’à une assemblée de plénipotentiaires. Vous êtes si bien servie par MM. les comtes Orlof et par M. le maréchal de Romanzof, que, malgré mon humeur pacifique, je préfère sans contredit des victoires nouvelles à un accommodement.

 

         Je suis un peu pressé, je l’avoue, parce que, étant fort vieux et malade, je veux jouir au plus tôt. Pour peu que vous tardiez à vous asseoir sur le trône de Stamboul, il n’y aura pas moyen que je sois témoin de ce petit triomphe.

 

         Que votre majesté impériale daigne toujours agréer le profond respect, et la reconnaissance, et les désirs honnêtes du vieil ermite de Ferney.

 

 

 

 

61 - DE L’IMPERATRICE.

 

Le 7/18 Octobre.

 

 

         Monsieur, l’arrivée du prince Henri de Prusse à Pétersbourg (1) a été suivie de la prise de Bender que je vous annonce. L’un et l’autre m’ont empêchée de répondre à vos trois lettres, que j’ai reçues consécutivement. Les nouvelles publiques annoncent aussi que le comte Orlof s’est emparé de Lemnos. Nous voilà entièrement dans le pays des fables : je crains qu’avec le temps cette guerre ne paraisse fabuleuse elle-même.

 

         Si le mamamouchi ne fait pas la paix cet hiver, je ne réponds point de ce qui lui arrivera l’année prochaine. Encore un peu de ce bonheur dont nous avons vu des essais, et l’histoire des Turcs pourra fournir un nouveau sujet de tragédie pour les siècles futurs.

 

         Vous direz, monsieur, que depuis le succès de cette campagne je suis dans les grands airs ; mais c’est que, depuis que j’ai du bonheur, l’Europe me trouve beaucoup d’esprit. Cependant, à quarante ans on n’augmente guère, devant le Seigneur, en esprit et en beauté.

 

         Je pense effectivement avec vous que bientôt il sera temps que j’aille étudier le grec dans quelque université : en attendant, on traduit Homère, en russe ; c’est toujours quelque chose pour commencer. Nous verrons, d’après les circonstances, s’il sera nécessaire d’aller plus loin. L’esprit du peuple turc se range de notre côté ; ils disent que leur sultan est insensé d’exposer son empire à tant de revers, et que les conseils de ses amis deviendront funestes aux musulmans.

 

         Adieu, monsieur ; portez-vous bien, et priez Dieu pour nous.

 

 

1 – Il venait s’entendre avec Catherine pour le partage de la Pologne. Ainsi le gouvernement russe abandonnait, d’une part, les Grecs qu’il avait fait insurger, et de l’autre, il s’apprêtait à dévorer les Polonais qu’il avait toujours prétendu protéger. (G.A.)

 

 

 



 

Publié dans Catherine II de Russie

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