CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - 1743 - Partie 49

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204 – DU ROI

 

A Potsdam, le 15 Juin1743.

 

 

Quand votre ami, tranquille philosophe,

Sur son vaisseau, qu’il a soustrait aux vents,

Voit à regret l’illustre catastrophe

Que le destin fait tomber sur les grands,

 

 

je voudrais que vous vinssiez une fois à Berlin pour y rester, et que vous eussiez la force de soustraire votre légère nacelle aux bourrasques et aux vents qui l’ont battue si souvent en France. Comment, mon cher Voltaire, pouvez-vous souffrir que l’on vous exclue ignominieusement de l’Académie, et qu’on vous batte des mains au théâtre ? Dédaigné à la cour, adoré à la ville, je ne m’accommoderais point de ce contraste ; et de plus, la légèreté des Français ne leur permet pas d’être jamais constants dans leurs suffrages. Venez ici auprès d’une nation qui ne changera point ses jugements à votre égard ; quittez un pays où les Belle-Isle, les Chauvelin (1), et les Voltaire ne trouvent point de protection. Adieu. FÉDÉRIC.

 

Envoyez-moi la Pucelle, ou je vous renie.

 

 

1 – On chansonnait à Versailles la belle retraite de Belle-Isle, et Chauvelin était toujours exilé de la cour. (G.A.)

 

 

 

 

 

205 – DU ROI

 

 

A Magdebourg, le 25 Juin 1743

 

 

Oui, votre mérite proscrit

Et persécuté par l’envie,

Dans Berlin, qui vous applaudit,

Aura son temple et sa patrie.

 

 

         Je suis jusqu’à présent plus errant que le Juif que d’Argens (1) fait écrire et voyager. Nouveau Sisyphe, je fais tourner la roue à laquelle je suis condamné de travailler ; et tantôt dans une province et tantôt dans une autre, je donne l’impulsion au mouvement de mon petit Etat, affermissant à l’ombre de la paix ce que je dois aux bras de la guerre, réformant les vieux abus, et donnant lieu à de nouveaux ; enfin corrigeant des fautes et en faisant de semblables. Cette vie tumultueuse pourra durer deux mois, si le lutin qui me promène n’a résolu de me lutiner plus longtemps. Je crois qu’alors je me verrai obligé de faire un tour à Aix, pour corriger les ressorts incorrigibles de mon bas ventre, qui parfois font donner votre ami au diable. Si alors je puis avoir le plaisir de vous y voir, ce me sera très agréable ; car je crois,

 

 

Pour tout malade inquiété,

A l’œil jaune, à l’air hypocondre,

Exilé par la faculté

Pour se baigner et se morfondre,

Et se tuer pour la santé,

Que Voltaire est un grand remède ;

Que deux mots et son air malin

Savent dissiper le chagrin,

Et que son pouvoir ne le cède

A Hippocrate ni Galien.

 

 

         De là, si vous voulez venir habiter ces contrées, je vous y promets un établissement dont je me flatte que vous serez satisfait, et surtout d’être au-dessus des tracasseries et des persécutions des bigots. Vous avez souffert trop d’avanies en France pour y pouvoir rester avec honneur ; vous devez quitter un pays où l’on poignarde votre réputation tous les jours, et où des Midas occupent les premiers emplois.

 

         Adieu, cher Voltaire ; mandez-moi, je vous prie, vos sentiments, et soyez sûr des miens. FÉDÉRIC.

 

 

 

 

1 – Auteur des Lettres juives. (G.A.)

 

 

 

 

 

206 – DE VOLTAIRE

 

A La Haye, le 28 Juin 1743.

 

 

Sous vos magnifiques lambris,

Très dorés autrefois, maintenant très pourris,

Emblème et monument des grandeurs de ce monde,

O mon maître, je vous écris,

Navré d’une douleur profonde !

Je suis dans votre vieille cour (1)

Mais je veux une cour nouvelle,

Une cour où les arts ont fixé leur séjour,

Un cour où mon roi les suit et les appelle,

Et les protège tour à tour.

Envoyez-moi Pégase, et je pars dès ce jour.

 

 

Mon héros a-t-il reçu mes lettres de Paris (2), dans lesquelles je lui mandais que je m’échappais pour lui aller faire ma cour ? Je les envoyai à David Gérard, et le dessus était à M. Frédéric-Hof. Or, David Gérard n’est pas sans doute assez imbécile pour ne pas sentir que ce M. Frédéric-Hof est le plus grand roi que nous ayons, le plus grand homme, celui qui a mon cœur, celui dont la présence me rendrait heureux pendant quelques jours.

 

J’attends donc à La Haye, chez M. de Podevitz (3) les ordres de votre humanité, et le forespan (4) de votre majesté.

 

Que je voie encore une fois le grand Frédéric, et que je ne voie point ce cuistre de Boyer, cet ancien évêque de Mirepoix, qui me plairait beaucoup s’il était plus ancien d’une vingtaine d’années au moins.

 

 

Pour vous, grand roi, si votre diable

Vous promène au son du tambour

Dans Stetin ou dans Magdebourg,

Mon bon ange, plus favorable,

Va me conduire à votre cour

Au son de votre lyre aimable.

 

 

Je suis ici chez votre digne et aimable ministre, qui est inconsolable, et qui ne dort ni ne mange parce que les Hollandais veulent à trop bon marché la terre d’un grand roi (5). Il faut pourtant, sire, s’accoutumer à voir les Hollandais aimer l’argent autant que je vous aime.

 

 

Quand quitterai-je, hélas ! cette humide province,

Pour voir mon héros et mon prince ?

 

 

(Le reste manque.)

 

 

 

 

1 – Nom du palais de l’envoyé de Prusse à La Haye. (G.A.)

 

2 – On n’a qu’une de ces lettres. Voyez le n° 204. (G.A.)

 

3 – Il représentait alors la Prusse à La Haye. (G.A.)

 

4 – Ou plutôt, vorspann, relais. C’était la permission d’avoir des chevaux de poste. (G.A.)

 

5 – Il s’agit d’un règlement de créances et d’un emprunt que Podowitz ne pouvait arriver à faire.

 

 

 

 

 

207 – DU ROI

 

 

A Remusberg, le 3 Juillet 1743.

 

 

Je vous envoie le passe-port pour des chevaux avec bien de l’empressement. Ce ne seront pas des Bucéphales qui vous mèneront, et ce ne seront pas des Pégases non plus  mais je les aimerai davantage, puisqu’ils amèneront Apollon à Berlin.

 

Vous y serez reçu à bras ouverts, et je vous y ferai le meilleur établissement qu’il  me sera possible.

 

Je suis sur mon départ pour Stetin, de là pour la Silésie ; mais je trouverai le moment de vous voir et de vous assurer à quel point je vous estime. Adieu. FÉDÉRIC.

 

 

 

 

 

208 – DE VOLTAIRE

 

 

A La Haye, dans votre vaste et ruiné palais, ce 13 Juillet 1743.

 

 

Mon roi, je n’ai pas l’honneur d’être de ces héros qui voyagent avec la fièvre quarte (1) ; je deviens manichéen, j’adopte deux principes dans le monde. Le bon principe est l’humanité de mon héros, le second est le mal physique, et celui-là m’empêche de jouir du premier.

 

Souffrez donc, mon adorable monarque, que l’âme, qui est si mal à son aise dans ce chétif corps, ne se mette point en chemin dans l’incertitude de trouver votre majesté. Si elle est pour quelques semaines à Berlin, j’y vole ; si elle court toujours, et si du fond de la Silésie elle va à Aix-la-Chapelle, j’irai l’y attendre dans un bain chaud, qui le sera moins que votre imagination.

 

J’ai l’honneur de lui envoyer une dose d’opium dans ses courses ; c’est un paquet de phrases académiques. Sa majesté y verra le discours de Maupertuis (2), accompagné de quelques remarques de madame du Châtelet. Plût à Dieu que les Français ne fissent pas d’autres fautes que celles que madame du Châtelet a crayonnées ! L’empereur aurait la Bohème, et du moins souperait à Munich (3), au lieu de manquer de tout à Francfort.

 

Mais, sire, malgré les nobles retraites de votre ami de Strasbourg (4), et malgré la faute faite à Dettingen (5), il paraît que les Français n’ont pas manqué de courage ; les seuls mousquetaires, au nombre de deux cent cinquante, ont percé cinq lignes des Anglais, et n’ont guère cédé qu’en mourant ; la grande quantité de notre noblesse tuée ou blessée est une preuve de valeur assez incontestable. Que ne ferait point cette nation, si elle était commandée par un prince tel que vous !

 

Si elle a du courage, son ministère a de la fermeté ; et une nouvelle armée sur la Meuse donnera bientôt aux Provinces-Unies matière à délibérations (6).

 

Je crois le traité entre la Sardaigne et l’Espagne à peu près conclu (7) ; c’est une nouvelle scène sur le théâtre ; et ce qui se passe en  Suède (8) peut encore changer la face du Nord.

 

 

Dans ce choc orageux de cent peuples divers,

Mon héros triomphant tient la foudre et la lyre.

Ses yeux toujours perçants, ses yeux toujours ouverts,

Regardent les erreurs du chétif univers :

Il voit trembler Stockholm, il voit périr l’Empire ;

Il voit les fiers Anglais, ces souverains des mers,

Faux désintéressés qu’un faux espoir attire,

S’enivrant sur le Main de succès fort légers,

Traîner sous leurs drapeaux, ou plutôt dans leurs fers,

Ces Bataves pesants dont la moitié soupire ;

Il voit Brolio qui se retire,

Agissant, raisonnant, et parlant de travers ;

Il voit tout, et n’en fait que rire,

Et je veux avec lui rire à mon tour en vers.

 

 

J’ai peur que ceci ne tienne du transport de la fièvre ; mais le plus grand de mes transports est le désir de voir votre majesté. Où la verrai-je ? où serai-je heureux ? sera-ce à Berlin ? sera-ce à Aix-la-Chapelle ?

 

Je suis à vos pieds, monarque charmant, homme unique, et j’attends vos ordres pour régler ma marche.

 

 

1 – Allusion à Frédéric partant, en 1740, avec la fièvre pour conquérir la Silésie. (G.A.)

 

2 – Il venait d’être reçu de l’Académie française. (G.A.)

 

3 – Charles VII se trouvait chassé de ses Etats héréditaires. Voyez,  le Précis du Siècle de Louis XV, ch. X. (G.A.)

 

4 – De Broglie. (G.A.)

 

5 – Les Français y avaient été battus par suite de l’indiscipline des ducs d’Harcourt et de Grammont. (G.A.)

 

6 – On voit que Voltaire prépare sa négociation. (G.A.)

 

7 – Il y eut, au contraire, traité (septembre 1743) entre Marie Thérèse et Charles-Emmanuel, que les cabinets de Madrid et des Tuileries n’avaient pu gagner. (G.A.)

 

8 – Paix entre la Suède et la Russie, au détriment de la première de ces puissances. (G.A.)

 

 

 

Correspondance Frédéric - Partie 49

 

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